Le Café Littéraire  / Temps de vivre, temps de lire, avec Xavier Bazot
 

 

 

      En littérature je distinguerai une structure verticale, historique, à laquelle ressortissent la plupart des romans, bâtis sur une intrigue, qui relie un point A à un point Z, d'une structure horizontale, géographique, l'illustrent les nouvelles de Pavese, les livres de Carlo Emilio Gadda, ou l'intrigue est absente, ou ne se conclut pas, qui préfèrent s'attarder à restituer une atmosphère, un paysage.

Camps volants



      Si vous refusez le principe de castration, qui nous exhorte, s'agit-il du choix d'un métier, d'une épouse, ou d'une maison, au gain d'une seule, à renoncer aux multiples voies qui s'ouvrent à nous […]; que s'obstine votre goût du provisoire, entrave à conduire un projet sur une longue durée, vous ne commencerez jamais à rien construire, et vous retrouverez à quarante ans sans aveu, ni feu, ni lieu, autrement dit: sans travail, ni famille, ni maison, mis au ban de la société pour n'avoir honoré aucun de ces trois mots d'ordre auxquels elle exige, en faveur de sa propre construction, que se soumettent ses membres.

Camps volants


      J'ai perdu ma maison natale, le seul endroit à nous être naturel et légitime, et cherche une manière d'habiter en ce monde.

Camps volants

      Lecteur des relégués: Ovide au bord de la mer Noire, Carlo Levi ou Cesare Pavese au fin fond de l'Italie du Sud, qui culbutèrent de la vie moderne dans une société quasiment conservée à l'état de nature, je me félicitais, en outre, de partager leur expérience, vraie finalité du désir de voyager, laquelle consiste non à franchir de vierges horizons, mais à remonter dans le temps.

Camps volants

      Rien de mieux sédentaire que la vie itinérante du cirque, médite Harlow en étendant son linge sur le fil tiré entre sa caravane et le poteau de tour en face. De place en place, à la mode de l'escargot, nous transportons notre maison commune, que nous rebâtissons: le chapiteau; remorquons nos maisons particulières, que nous disposons autour; de village en village recomposons notre propre hameau, que nous ne quittons guère.

Camps volants

      Jamais je ne reverrai mes compagnons car nous n'avons, loué soit Dieu, pas d'adresse à échanger, ne vivons notre amitié que dans l'instant, comme à l'ère bénie où «la poste n'existait pas et où les hommes, une fois qu'ils s'étaient perdus de vue, se croyaient morts et, en effet, disparaissaient dans la nature.»

Camps volants

      Je ne suis pas un marginal, la marge n'est pas une réalité, imaginons que vous partiez pour Vladivostok, chacun vous dit : «Comme c'est loin!» Quand vous y arrivez ce n'est plus loin, puisque vous y êtes. Me situer au bord égale me trouver au centre, car le monde n'existe que par la perception que j'en ai.

Camps volants

      «Que votre être soit votre seule demeure!» me souhaite mon Argonaute en m'indiquant la route.

Camps volants

 

     En route nous croisons maints camping-cars, immatriculés dans divers pays d'Europe, avec à leur bord des couples de retraités qui voyagent, des familles, les vélos arrimés à l'arrière, qui partent en vacances.
      Tandis qu'on nous convainc d'abdiquer notre mode de vie, remarque mon coéquipier, le monde le copie.

Camps volants

      Je ne puis endurer longtemps l'absence du regard d'autrui puisque j'intègre plus vite que prévu la masse des handicapés qui, en vue de surmonter leur peur de ne savoir exister sans témoins, ne se séparent pas de leur mère, collent à un époux, se munissent d'enfants.

Stabat Mater

      Si tu le gardes, je ne veux pas me constituer prisonnier d'une famille, je m'en vais, si tu ne le gardes pas, nous devons en tirer les conséquences, nous séparer.

Stabat Mater

      Criminel l'acte d'engendrer puisque sciemment, transmettant le traumatisme, passé, de notre expulsion, léguant l'horreur, future, de notre agonie, nous créons des condamnés à mort, infortunés les parents qui ne voient pas périr leur enfant, s'éteignent dans l'incertitude, heureux ceux qui ont pu s'assurer que sa vie entière a traversé exempte d'affliction cette vallée de larmes, que sa fin a été douce, sans effroi ni géhenne; que les soutienne la conviction d'avoir donné, grâce à son passage ici-bas, la vie éternelle à l'âme dont ils ont facilité la courte incarnation, que les conforte l'idée qu'ils pourront, dans cinquante ans, comme si on appuyait sur un bouton, à l'évocation du petit cadavre s'écrouler en sanglots avec la même fraîcheur qu'au premier jour.

Stabat Mater

 

      […] ton chemin est jonché de cadavres, t'est restituée ta liberté, qu'amèrement tu regrettais dès que se proposait la tendresse d'une autre femme, qui prétend jouir de plusieurs vies doit assumer plusieurs morts.

Stabat Mater

      Nous guettons un signe de ta part, alors que ce signe, ce fut ton passage.

Stabat Mater

      Ta mort est à l'intérieur de moi un corps dur, qui ne s'intègre pas, ne se dilue pas, qui occupe, je ne veux pas en faire le deuil, qui efface, tu m'as donné envie, non d'avoir un autre enfant, mais d'avoir Théodore, puisque j'en ai eu l'expérience je pourrais me tenir quitte de la paternité, tu manquerais non seulement en tant que fils mais comme frère aîné, nous ne reviendrons pourtant au monde qu'avec un autre bébé, «même si je suis à nouveau heureuse, dit Assunta, mon bonheur ne sera plus jamais complet car avec Théodore j'ai connu des moments de bonheur complet».

Stabat Mater

 

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