Le Café Littéraire  / À contretemps... au fil des mots, avec Christelle Ravey
 

      Le rêve nous sauve des manques et des non-lieux qui peuplent nos vies, c'est vrai. Mais en les comblant, il les projette sur nos murs en cinéma géant. Immenses, démesurés, du très grand spectacle. Sans qu'on puisse jamais quitter la salle.

Amours en fugue

   

      Car l'artiste est par nature un inadapté de la société dans laquelle il ne peut évoluer qu'en suivant le fil qui le guide. Tout ce qui s'enchevêtre à ce fil pour le solidifier, l'armer est bienvenu. Mais tout ce qui met en péril le fragile équilibre est à bannir sans autre forme de procès.

Amours en fugue 

…le désir qui ne s'éteint pas de sa propre lassitude, ou de sa propre consumation dans les années qui passent à s'aimer, ce désir-là ne meurt jamais. Et si la vieillesse a raison de sa nature première, elle ne peut rien contre le rêve obsédant qu'il devient.

Amours en fugue 

      Le charme de la vie moderne, c'est que vivre en couple n'est plus un besoin. Juste un confort, un plaisir. Du coup, à moins de trouver la relation idéale, bien bête qui s'encombrerait d'un conjoint qui lui gâche l'existence.

Amours en fugue

      Il y a pire que la réalité, il y a le rêve qui prétend la transformer, qui rend présent de nouveau ce que l'on croit avoir enfoui, avec une telle violence, avec un tel éblouissement, que, dormant pourtant, on y plonge de toutes les forces de sa volonté.

Le Tapisseau byzantin

… si le paradis existe, il ne peut être autre chose que la disparition éternelle des souvenirs, l'oubli de toute absence.

 Le Tapisseau byzantin

      On arrive d'ailleurs, on amène dans ses bagages quelques fantômes de fortune, on leur donne bien fort la main pour faire les premiers pas dans cette ville inconnue, et quand on voudrait les avoir abandonnés là-bas, sur le quai du départ, ils restent fidèles au poste, anges gardiens de vos cauchemars, arbitres de vos regrets. Un port comme Marseille est peuplé de ces formes étrangères qui désertent à la nuit les quais des docks et les môles pour s'approcher des fenêtres éclairées. Et dans plusieurs dizaines d'années, les habitants de Marseille seront tous des héritiers de ces vagues à l'âme embarqués par erreur de mille ports oubliés.

Le Tapisseau byzantin


      Je continue semaine après semaine à t'écrire. Diamantis n'est pas encore venu. Parfois m'effleure l'idée qu'il est passé là avant que nous y soyons. Mais non, tout homme sensé serait repassé depuis. Le doute me hante, l'appréhension se glisse par la fenêtre grande ouverte sur le soleil : m'aurait-il oubliée désormais ? Aurait-il préféré ne jamais venir à ma rencontre ? Je continue d'espérer qu'il paraîtra un jour, émergeant soudain de la chaleur matinale. Je le verrai de loin, et je m'empresserai d'ouvrir la porte de la maison…

Le Tapisseau byzantin

      Grâce aux feuilletons télévisés qui rythment la vie de Mamy Nette, Lucile sait depuis longtemps que le problème de la vie est d'être aimée ou de ne pas l'être.

De couleur… mauve

Alors la vie, c'est un puzzle ?
Et quand on est mort, on met le dernier morceau, conclut Lucile en s'agenouillant au sol pour caresser le chat qui miaule devant la porte close qui cache sa pâtée.

De couleur… mauve

Dis, qu'est-ce qui est glacé, rose et vert, et qui ressemble à un rêve ? demande Lucile qui pense à ses tableaux cosmiques favoris.
Je ne sais pas ! Une glace à la pistache ? Une sucette pleine de colorant comme on en fait maintenant ?

De couleur… mauve

      Pendant qu'il s'attarde à nouveau devant de pâles marines, elle suit des yeux le vol d'une mouette qui survole les berges du fleuve et disparaît soudain vers les eaux boueuses de la Saône dans lesquelles Lyon semble avoir déversé toutes ses rancoeurs passées. Plus encore que le Rhône, la Saône semble lourde de secrets trop longtemps étouffés, de douleurs non partagées, de culpabilités non avouées.

De couleur… mauve

      Cette année, Boris aurait cent ans. Boris a dû retourner en Russie pour y rejoindre la terre. L'homme dont le corps modela son empreinte à la sienne, dont le plaisir dansa sur sa peau, dont les rêves et l'ambition s'enchevêtraient à ses espoirs, cet homme ne brille plus dans aucun firmament. Poussières d'étoile sont ses mains, années lumière son regard. Cent ans comme une pluie de secondes contre la vitre de juillet. Cent ans pour une certitude.
Pour pouvoir poser le premier pied sur le chemin qui mène à Pribielkino, il a fallu d'abord qu'elle parvienne à murmurer du bout des lèvres cette simple phrase : "Boris est mort." Il a fallu qu'elle la répète un peu plus fort, en articulant mieux les syllabes : "Boris est mort."

Amours en fugue

 

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