Le Café Littéraire  / Il est grand temps... d'en venir au livre, avec Pierrette Fleutiaux.
 

 

      Il y a des pointes noires dans les maisons qui attirent les rêves, comme le paratonnerre attire les orages.

Nous sommes éternels

      Tout le monde a peur à tout instant. Pas peur de perdre l'autre dans la mort, Dan, mais peur de le perdre dans la vie, peur du désir qui change, passe par ici puis par là. (…) De l'amour qui trahit.

Nous sommes éternels

      Alors je soutiens que l'amour de Dan et Estelle n'était pas l' "amour humain". Je soutiens que c'était un autre amour, le seul que rien ne pouvait altérer car il prenait sa source dans l'enfance et nul ne peut changer son enfance.

 Nous sommes éternels

      Madame, je voudrais que vous fassiez le récit de Tirésia.
(…) puisque vous êtes écrivain.
(…) vous qui n'êtes pas moi, madame.

 Nous sommes éternels

 

 

      Écrire pour des commanditaires, en général je finis par me défiler. Je ne suis bien que dans la fiction et la plus éloignée possible du témoignage.

Des phrases courtes, ma chérie

      Il n'y a que toi qui a le droit de souffrir, tu nous as tenus par la migraine, etc. ; maintenant tu nous tiens par la vieillesse, il faudrait être un monstre pour dresser son petit malheur à côté du tien !

Des phrases courtes, ma chérie

      Je ne crois pas que la femme dont je parle soit ma mère, ni que le " je " que j'emploie soit moi. Au fur et à mesure que j'écris, une configuration prend corps, plus forte que moi et mes souvenirs, je m'aperçois bientôt que c'est elle qui domine, je ne peux m'empêcher de lui obéir. Inexorablement déjà : gommages, surimpressions, traits chargés ou effacés. J'utilise ma mère, comme j'ai utilisé bien d'autres gens de ma vie, les lieux et paysages, et moi-même.
Ce n'est pas la vérité de ma mère que je poursuis.

Des phrases courtes, ma chérie

 

 

      Et je suis lasse de moi-même.
      Les personnages de mes romans me sont bien plus proches que mon moi actuel.
      Non, personnellement je n'ai rien à me dire.

Bonjour, Anne

      … les tâches quotidiennes, ces inlassables rongeuses du temps des femmes.

Bonjour, Anne

      "Cette femme est plus jeune que moi." Traduction : il y a une vie pour la femme après cinquante ans, même après les enfants et l'amour, ou plutôt en dehors des enfants et de l'amour, et cette vie peut être riche et passionnante, et faire pétiller les yeux.

Bonjour, Anne

      Je ne respectais alors que la littérature âpre, qui monte de sombres et magnifiques constructions avec des phrases d'acier, où les choses ordinaires de la vie n'ont pas de place, puisque la vie est foutue et ne conduit qu'au néant.

Bonjour, Anne

      Je date de 1974 ma première rencontre avec Anne. Avec celle qui n'a pas dit : "Gardez vos textes dans un tiroir", qui n'a pas dit qu'ils étaient trop ceci ou pas assez cela, qu'une part de son être était pour et que l'autre part ne savait pas, celle qui a dit simplement "J'aime".

Bonjour, Anne

      Sortant du bureau d'Anne, après cette première rencontre, il m'est arrivé une chose curieuse. J'ai entendu une phrase s'énoncer d'elle-même dans ma tête. Parfois, la pensée, celle qui trie, classe et ordonne, se retire. Bousculée ou affaiblie pour une raison ou une autre, elle s'ennuage, lâche prise. Alors se passent des choses inattendues. Des mots prisonniers se libèrent, des images entrent en condensation, des aimantations se mettent à l'œuvre, formations nouvelles de l'esprit, tout un paysage.
      "Cette femme est plus jeune que moi."
      Elle, cinquante-sept ans, moi trente-trois. Elle, plus jeune que moi.

 Bonjour, Anne

      Anne Philipe avait une vingtaine d'années de plus que moi. Elle a changé ma perception de la vie. J'ai voulu la retrouver vivante, à partir du terrain de nos années communes, où elle fut mon éditrice et amie. J'ai voulu retrouver Anne-la-mienne et transmettre ce qu'elle a été : un jalon capital dans mon histoire personnelle, un trait à marquer dans l'histoire des femmes, et aussi une trace lumineuse que ne doit pas oublier la littérature.

 Bonjour, Anne

      Les femmes de ma génération ont connu beaucoup d'avancées. Nous n'en voyons que mieux les reculs qui guettent, et les étapes à parcourir. Nous ne sommes pas tranquillisées. Nous sommes les femmes du milieu du chemin.

Bonjour, Anne

 


… le plan de Santiago en poche, je sors me promener.
      À peine ai-je tourné le coin de la rue que je sens mes maudites crampes qui reviennent. Ai-je peur de me perdre ? Non, j'ai mon plan de la ville.
      C'est une impression plus diffuse, de danger latent. Il me semble être suivie. Je m'assois sur la margelle d'un bassin devant une petite église et observe les environs. Il y a beaucoup de gens qui vont et viennent, je ne reconnais personne et pourtant persiste ce sentiment d'un visage déjà vu, qui semble flotter sur les visages de tous les passants.

À l'île de Pâques

 

 

      Votre profession n'aime pas le hasard, monsieur mon ex-psy. Le hasard est votre ennemi, celui qui vous mettrait sur la paille, et ferait de nous tous des contemplatifs, assis à croupetons au bord des chemins. Ce que vous aimez, ce sont les liens de cause à effet, ils font de jolies tresses, ces liens, des cordes et ficelles et nœuds en tous genres, les démêler est une occupation passionnante, cela me plaît beaucoup à moi aussi de remonter tous ces fils un à un, il n'empêche, au bout du dernier nœud que voit-on se profiler ?
       L'incommensurable hasard, celui que j'ai si bien aperçu dans le grand ciel ouvert au-dessus de ma rue déserte, qui s'est glissé vers moi sous la forme d'une lubie évanescente, et qui aurait pu m'emporter.

Les Amants imparfaits

      ― Bon, il faut que tu dormes, et la prochaine fois fais attention à la boisson, il y a un djinn caché dans la bouteille et aussi, tu sais, dans les petits brins d'herbe qu'on roule pour les fumer, et il n'est pas sûr que tu puisses toujours avoir le dessus sur lui.

 Les Amants imparfaits

      Il faut que je respire, Natacha. Respirer, sortir de ces histoires de naissance, de berceaux, tu comprends pourquoi je suis si pressé ? Je marche vers ma stature d'homme, et pour cela il me faut retourner en arrière, tout au début, nager et patouiller dans ce faitout des jumeaux. "Faitout", c'était fœtus bien sûr, qu'ils prononçaient de travers quand ils avaient six, sept ans, mais comme leur intuition était fine, si fine qu'elle les dépassait eux-mêmes bien souvent.

Les Amants imparfaits

 

 

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