Le Café Littéraire luxovien / Les Petites fugues 2016  
 
 

 

Rencontre avec Jean-Paul Goux

Jean-Paul Goux à Luxeuil - Photo: Bernadette Larrière
Jean-Paul Goux à Luxeuil
Photo Bernadette Larrière

Le Café Littéraire luxovien
recevait l'auteur
Jean-Paul GOUX
le 24 novembre 2016 
pour une Lecture-rencontre,
à 20 h. à la Bibliothèque Municipale
de Luxeuil-les-Bains,
avec l'aide du CRLFC,  dans le cadre des Petites fugues, festival itinérant de littérature contemporaine.

par Marie-Françoise :

      La vision que j'avais gardée de lui traversant le grand salon du Musée du Temps à Besançon lors des Petites fugues 2003 où il avait fait une intervention orale lors du temps fort cette année-là: de la classe, élancé, sur les épaules un long manteau noir, impeccable, le visage en lame de couteau, sérieux et qui semblait un peu absent ou soucieux, encadré de cheveux sombres un peu longs. «Un beau ténébreux!» avait susurré l'un des amis avec qui je conversais, en m'apprenant son nom: Jean-Paul Goux.
      Puis cet été, de lui mon choix parmi les écrivains proposés pour les futures Petites fugues et tout l'automne préparatoire à la rencontre, la lecture de ses œuvres, des œuvres d'une écriture si exigeante, parues dans une grande maison d'édition! Également quelques photos, celle du livre Des écrivains en Franche-Comté par Éric Toulot, et celles d'Olivier Roller proposées cette année 2016 par le site du CRLFC pour la promotion de son festival itinérant annuel où je revoyais le même visage ténébreux, encadré de cheveux gris, le front légèrement plus dégarni, forcément, treize ans après... Tout cela, d'autant qu'il fut professeur d'Université, me laissait présager un auteur un peu hautain, difficile, même si deux vidéos mises en ligne par sa maison d'édition, Actes Sud, où il présente succinctement son dernier roman paru ce printemps 2016: L'ombre s'allonge, le montraient parlant d'une voix sourde et qui ne portait pas... à la limite de la timidité?
      Pourtant je ne craignais pas de le recevoir. J'ai lu et relu quelques-unes de ses œuvres... pris des notes, recopié des extraits (que son personnage Alexis du Séjour à Chenecé appellerait des "greffons"), recherché des passages qu'il m'avait dans un mail indiqué penser lire à voix haute parmi les quelques titres qu'à Luxeuil nous faisions circuler entre les membres du Café littéraire et préparé des questions en rapport avec eux, en vue de cette lecture rencontre.

      Mais lorsque je l'ai découvert en chair et en os accompagné de Nathalie Beau, la personne du CRLFC qui l'avait piloté de Besançon à Luxeuil, que je les découvrais tous deux si, d'emblée, humainement souriants et chaleureux, ce fut pour moi comme si je les connaissais depuis toujours, des amis qu'un premier élan m'aurait portée à embrasser si je ne m'étais retenue. Dans ce moment de prise de contact que nous eûmes tous trois lors d'un petit repas de salade chaude accompagnée pour lui d'un verre de vin, pour être plus facilement disert tout à l'heure, pris dans une pizzeria, avant de nous rendre à la bibliothèque, il fut soucieux de ce que je faisais, de ce que j'étais et comment l'étais devenue. De lui, je savais, ou plutôt croyais avoir deviné par ses livres bien des choses... je ne lui posais pas de questions, je les gardais pour la soirée avec le public. Il m'indiqua comment il envisageait de présenter son dernier livre. Et puis il fut soucieux de ne pas arriver en retard. Nous nous mîmes donc en route, traversant à pieds un Luxeuil aux bâtiments historiques magnifiquement éclairés dont il s'émerveillait. Pendant ce court trajet, encore, il me questionnait, sur la ville cette fois et ses activités, curieux du lieu.

Bibliothèque municipale de Luxeuil - Photo MFG
Le hall de la maison du Bailli / Bibliothèque 
municipale de Luxeuil - Photo MFG

      Et lorsque nous arrivâmes à la bibliothèque, ancienne maison du Bailli bâtie aux 14e et 15e siècles, il s'émerveillait encore, et lorsqu'à l'étage après avoir monté l'escalier de chêne sombre nous trouvâmes le nombreux public déjà installé dans une salle au parquet de bois, bien éclairée, dans une ambiance chaleureuse où j'allais saluer plus personnellement une à une mes amies du Café littéraire, quittant son long manteau il me dit, le suspendant à la patère, penché vers moi en confidence avec un tel sourire ravi, que tout ce qu'il voyait si bien préparé, si chaleureux, le mettait en confiance, que la soirée allait bien se passer, il en était certain.  

 


Marie-Françoise Godey animatrice du Café littéraire luxovien
 et Anne Buisson Responsable de la Bibliothèque municipale de Luxeuil
Photo: Bernadette Larrière

 

     De toute façon, la rencontre avec le public ne pouvait pas mal se passer. De son côté lui aussi avait bien préparé son intervention. Choisissant de faire circuler quelques pages photocopiées de son manuscrit d'origine, à mesure qu'il évoquait les étapes importantes de la genèse de ce qui l'a amené à écrire L'ombre s'allonge. Des notes prises dès le début septembre 2012, rédigées au stylo à encre, d'une écriture serrée et minuscule sur des feuilles A4. Dont il isolait pour nous quelques termes importants. Des noms propres: Walser, Thomas Bernhard, François Julien, Simon, Shonwald. Des mots et expressions:  "la clairière, le processus", "Comment vit-on le temps?", "L'amitié, JP (en précisant que JP n'était pas lui) et son désastre", "la reprise"... Pour arriver, le lundi 10 juin, après des tentatives de départ inutiles et avortées, disait-il, à ce qui sera la première phrase de L'ombre s'allonge: "Maintenant nous nous disons tous qu'il aurait mieux valu qu'il ne se réveille jamais".  Phrase qu'alors il recopia dans ce qui sera les pages de son manuscrit.

 

Jean-Paul Goux à Luxeuil - Photo: Anne Buisson
Jean-Paul Goux à Luxeuil
Photo Anne Buisson

      Revenant sur le mot "reprise", "reprendre", il nous expliqua son sens de "rendre ouvert", "disponible" à ce que Bachelard appelait les "rêveries œuvrantes", (pas celles, vagues, qui sont le flux de la pensée sans objectif, et qu'il appelle "nébuller" dans son récit Le séjour à Chenecé), les rêveries œuvrantes étant celles qui choisissent, celles que Gracq appelle des rêveries agissantes, qui poussent à avancer.
      Il nous fit remarquer que dans L'ombre s'allonge la reprise la plus essentielle des rêveries œuvrantes actives des livres précédents, c'est "le lieu où l'on vit, où l'on fait l'expérience du temps, où s'articulent l'espace et le temps et qui s'appelle, la demeure".
      Qu'un autre exemple de rêverie agissante est "la clairière". 
      Que ce lieu où l'on vit est exploré plus particulièrement dans ses deux trilogies: "Champs de fouilles" et "Les quartiers d'hiver".

Jean-Paul Goux à Luxeuil - Photo: Bernadette Larrière
Jean-Paul Goux et Marie-Françoise Godey à Luxeuil
Photo Bernadette Larrière

      Que la relation d'amitié traverse la plupart de ses livres, une amitié fondée et nourrie par l'usage de la parole: "Il n'y a pas d'amitié sans parole. Il n'y a pas de parole sans voix". Mais dans ses romans elle ne prend pas la forme du dialogue, elle est rapportée de façon récursive, Jean-Paul Goux confiant avoir une répugnance profonde à l'égard de textes à dialogue dont la prose est plate, et préférant mettre à distance, avec des indications comme "racontait-il", pour montrer qu'on est pas dans l'illusion d'une pseudo conversation, mais qu'on rapporte.

      Il nous indiqua que les noms de personnages comme Wilhem, Thubert, Maren... sont choisis pour déconnecter le lecteur de la vie quotidienne, que ceux de lieux le sont pour déconnecter l'endroit qu'il met en scène d'un l'objet réel. Pour en faire vraiment un objet littéraire. Par exemple ce Maranche en province qui n'est pas la campagne... (qui, tel qu'il est décrit depuis les hauteurs, pour le lecteur averti du moins, ressemble tant à Besançon...)
      Jean-Paul Goux dit aimer le vocabulaire technique. Dès sa jeunesse il aimait beaucoup lire Saint John Perse dont la poésie faisait volontiers usage de vocabulaire arraché à son contexte d'emploi technique. Aussi utilise-t-il beaucoup de vocabulaire d'architecture dans ses livres. Il envisage l'architecture comme "un matériau essentiel pour rendre sensible dans l'espace, l'expérience du temps". Aussi dans son roman "L'Embardée", s'il fait de son personnage Simon, l'arrière petit fils d'une famille d'architectes parisiens, si dans "Les jardins de Morgante", des architectes sont chargés d'en relever les plans, s'il y a beaucoup de descriptions d'escaliers, des chambres de bois, si ses personnages aiment regarder les maquettes des villes, évoquer les lieux... eh bien non!, ce n'est pas parce que leur auteur se sent frustré et aurait aimé être architecte, ce que, va savoir pourquoi, le lecteur s'était mis en tête... 
      Quant à la question de savoir si, des lieux si compliqués qu'il décrit dans "Les jardins de Morgante" lesquels sont superposés mais un peu en décalé d'anciens jardins, il avait tracé les plans afin de pouvoir les décrire sans s'y perdre lui-même? Il finit par répondre que, oui, il avait les plans d'une Villa avec ses jardins... qu'il présenta avec ses manuscrits lors d'un séminaire en 1992 sur l'entrée en écriture , travail qui fut publié dans un ouvrage intitulé "Le temps de commencer". En tenant à préciser que "dans Les jardins de Morgante se pose la question de savoir quel est le premier: la peinture qui représente le jardin? le jardin? ou le poème qui décrit le jardin? Et donc la question de savoir si la littérature est antérieure à l'image ou si l'image est antérieure à la littérature."  

      Pour illustrer sa présentation Jean-Paul Goux lut à mesure quelques extraits choisis de L'ombre s'allonge, mais aussi de romans antérieurs : Les hautes falaises, L'Embardée, Les jardins de Morgante. Le public attentif, dans le plus grand silence, écoutait. L'interrompait rarement d'une réflexion à laquelle l'auteur répondait volontiers, puis évitant de se laisser égarer, reprenait le cours de sa pérégrination dans les méandres de son œuvre, cherchant où il en était de ses feuilles étalées sur la table, forcé de sauter des étapes, puisque nous n'avions tout de même pas toute la nuit devant nous... de sa voix basse et qui ne porte pas, sans chercher à la pousser jamais. Peut-être eut-il fallu un micro pour faciliter l'audition de quelques personnes mal entendantes? mais alors, un caractère de confidence, un certain charme en eut été rompu...  

Jean-Paul Goux à Luxeuil © Photo: Marie-Françoise Godey
Jean-Paul Goux à Luxeuil
Photo M-F G

      Au fil de ses propos, on n'apprit peu de la vie privée de cet auteur franc-comtois discret, né à Vesoul en 1948, qui tint à préciser qu'il était né un 5 décembre ce qui lui faisait être un an plus jeune que le prétend l'année du calendrier en cours (comme son Simon de L'Embardée, pensè-je!) et qui vécut à Paris depuis son enfance, passant des vacances dans sa maison familiale de Colombe près de Vesoul, dans le village de son grand-père. Il fut une dizaine d'années professeur dans un collège du Val d'Oise. Puis, bénéficiant d'une bourse, séjourna à Montbéliard pour mener en 1984-85 un travail de recherche sur le monde ouvrier de Sochaux-Montbéliard qui donna lieu à un livre, Les Mémoires de l'Enclave. Après quoi brusque changement de milieu, il fut deux années écrivain résident à la Villa Médicis à Rome, ce qui orienta son écriture du roman Les jardins de Morgante. Au détour d'une phrase on découvrit que son épouse se prénomme Soline, quand la lecture de ses romans, l'avait fait croire, à l'instar de ses personnages, célibataire...

      Lorsque lui fut demandé sur quel nouvel ouvrage portait actuellement sa "nébullation œuvrante", il ne voulut pas répondre, un peu par superstition comme si le dire allait gâcher la chance. Mais il nous confia tout de même sa préoccupation sur la beauté. Il est vrai qu'elle transsude de toutes ses œuvres. Le mot est employé en parlant de celle des lampes de Ronchamp qui ont servi (dans "Les lampes de Ronchamp" éd. de l'imprimeur 2001), ou de l'escalier à vis, chef d'œuvre de compagnon qui revient dans au moins deux de ses romans...
     
Jean-Paul Goux semble un grand contemplatif... comme il fait l'être nombre de ses personnages... qui ne se sentent véritablement "être" que dans la contemplation, et dans un lieu privilégié qui la permette... ce que ne comprennent pas toujours les autres personnages. "Habiter la beauté" est une expression qu'il reprend dans la plupart de ses livres, "habiter la beauté dit-il est une expérience impossible..."

      Ses romans n'en sont pas pour autant déconnectés du monde actuel. Les rapports de violence n'y sont pas exclus, mais sans passer à l'acte. Par le biais de ses personnages il s'insurge contre les aberrations faites en matière d'architecture des lieux à vivre, des jardins, des villes, la spéculation immobilière, les erreurs des médicastres...  Le long passage où s'exprime Clémence dans L'ombre s'allonge et qui fut le dernier extrait qu'il nous lut en est un exemple poignant.

       À la question de savoir s'il écrit pour "contrer le vide du temps destructeur" auquel sont confrontés de livres en livres ses personnages, il conclut sa réponse par: 
      "J'écris pour aborder une question cruciale qui est dans chacun de mes livres, question que le livre aborde par le biais de la fiction et ses objets imaginaires qui permettent de l'évoquer, aussi pour mettre au jour le moment de ma vie où je me tiens, où je suis là, avec ce qui est d'heureux ou de catastrophique, et contribue dans la suite des jours, d'une période, d'un moment de cette vie qui est problématique, quelque chose qu'il faut arriver à dépasser pour continuer à vivre."
 

Jean-Paul Goux à Luxeuil © Photo: Marie-Françoise Godey

Jean-Paul Goux à Luxeuil © Photo: Marie-Françoise Godey
Jean-Paul Goux dédicace à Luxeuil
Photos M-F G

      

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