Le Café Littéraire  luxovien/ lire, relire, lier et relier avec Anne Delaflotte Mehdevi
 

 

      Si je n'avais eu ce métier depuis toujours, qui ne prétendait rien que d'associer des outils simples à des gestes patients pour qu'un livre renaisse au moins pour cent à cent cinquante ans, j'aurais sans doute fait comme les autres, je serais partie en poste à l'étranger.

La relieuse du gué, éd.Babel p.65

 

     La belle revanche sur la mort, de savoir que n'importe quand, partout où il y aurait des forêts, le parfum du solitaire de la Montagne, son âme planerait toujours, soufflée, éparpillée dans les feuillages des arbres, couchée à leurs pieds.

La relieuse du gué, éd.Babel p.114

      De tout l'après-midi, je ne quittais pas l'atelier. Je repris en main les livres sages, j'encollai leur dos, les décorai de tranchefiles, collai la mousseline et les manches d'air. Je travaillais mécaniquement, m'efforçant de garder la tête vide, d'imprimer à mes gestes une cadence. C'est ainsi que je me repose le mieux.

La relieuse du gué, éd.Babel p.128

     

      Où me suis-je jamais sentie chez moi ? Est-ce qu'on se libère d'un lieu par l'habitude qu'on en a ?
      Est-on chez soi dès lors que la question ne se pose pas ?

La relieuse du gué, éd.Babel p.116

 

      Je découpai pour le livre du fanum deux cartons fins aux mesures des deux contre-plats. Ils viendraient renforcer l'intérieur des couvertures trop souples, je les encollai, mis sous presse.
La restauration de la couverture du beau livre était terminée. Restaient à les ajuster au bloc cousu de dessins.

La relieuse du gué, éd.Babel p.147

 

      La forêt de parfums, celle de l'incendie, celle du moulin et celle du livre du fanum n'en faisaient peut-être qu'une.

La relieuse du gué, éd.Babel p.191

 

      On approchait du site, Solange m'en présenta les enjeux. Des vestiges de la cité gauloise des origines avaient été découverts lors des premières excavations. On avait arrêté les travaux du futur.

La relieuse du gué, éd.Babel p.203

 

      J'avais tout si bien préparé, je m'étais donné tant de mal pour bien faire, tout était prêt à " l' " accueillir. Je voulais qu'" il " revienne frapper à la porte de ma maison neuve, cet homme qui semblait me parler de bien plus que de l'avenir.

La relieuse du gué, éd.Babel p.64

 

      Le silence fut déchiré par des bruits de lutte et d'air battu qui parvenaient du jardinet : le chat de l'épicière mangeait un oiseau. N'aurais-je donc jamais la paix ? Quelques plumes me rappelle-raient son festin pendant des jours encore. Je haïssais ce chat depuis longtemps. J'avais dès le deuxième jour de mon installa-tion ici compris qu'il ne fallait pas jeter dans le jardinet de miettes pour les oiseaux, pour ne pas les attirer dans ce piège muré, cette prison. (...)
J'aurais bien pendu ce matou noir et gras au moignon funeste de cet arbre qui ne donnait pas de fruit.
      En toute bonne foi, de nous deux, il aurait été plus facile de m'y pendre moi.

La relieuse du gué, éd.Babel p.175

Comment peut-il se sentir plus à sa place ici, au nord du cercle polaire, que jamais nulle part ailleurs ? Comment cette terre nue peut-elle lui parler autant, à lui, le paysan qui en forçait là-bas le grain multiplié et dense ? Parce que la solitude y est "naturelle"? Parce qu'il ne s'y trouve personne pour lui reprocher la sienne?

Sanderling, éd.Gaïa p.11


Landry, à l'aube, passe devant les chiens sans les réveiller. Les oiseaux animent déjà le ciel. Par réflexe il y cherchera toujours le sien. Il retourne là d'où il vient, apaisé par l'idée qu'il avait un ami et connu le Groenland, là où la terre nue vit, gèle et dégèle, où, dans les cimetières, les croix sur les morts bougent encore.

Sanderling, éd.Gaïa p.30


Il y a des lieux qui tissent des liens bien lourds, mais qu'on ne peut défaire. J'ai essayé. Impossible. Je me sens plus chez moi, c'est à dire à mon aise, sans y penser, à étudier les champignons de mon bois!

Sanderling, éd.Gaïa p.100


Figurez-vous qu'on en est aujourd'hui, et c'est un exemple parmi d'autres, à concevoir la possibilité, en pénétrant la dimension de la physique quantique, c'est à dire de l'infiniment petit, de créer un cerveau humain artificiel, un ordinateur si vous préférez, forcément plus performant qu'un cerveau humain puisque immortel, il pourrait accumuler de la connaissance à l'infini. Au profit de quoi, de qui ? Vous voyez, il existe un hiatus chez l'Homo sapiens sapiens, entre sa capacité extraordinaire à innover et son incapacité à anticiper les conséquences de ses inventions. Son cerveau, archaïque en cela, ne sait gérer qu'une urgence à la fois.

Sanderling, éd.Gaïa p.102

 

On pressent la puissance des champignons, d'ailleurs il nous reste toujours à leur endroit ce fond de peur. N'auriez-vous pas parié que les champignons sont des plantes, puisqu'ils sont immobiles, grandissent en terre ? Mais alors pourquoi n'ont-ils pas de racine et pourquoi sont-ils incapables de photosynthèse ? Et de quoi se nourrissent-ils ? Ils peuvent entre autres se nourrir de matières organiques, comme nous. Vous voyez l'ambiguïté? Animal ou végétal?

Sanderling, éd.Gaïa p.103

Les hommes sont accablés par l'omniprésence de la chape coulée sous le ciel, par la cendre qui n'en finit pas, comme un poivrier sans fond renversé, de saupoudrer le continent.
Combien de mois encore, à vivre écrasé par le haut, aspiré par la vase?

Sanderling, éd.Gaïa p.309


Pourquoi diable est-ce que le bon Dieu s'est donné la peine de faire une nature mauvaise... Tant qu'à faire quelque chose autant le faire bien. Surtout lui.
C'est pas la création qui est mauvaise, elle, elle est bien, c'est la nature de l'homme que je voulais dire qu'est mauvaise...
Ah bon ! Mais pourquoi qu'il a créé un homme qu'était pas d'équerre avec sa création alors ?

Sanderling, éd.Gaïa p.362


La Nature, la Nature... On avait bien raison de s'en méfier. De la mater tant qu'on pouvait. On lui doit rien, va ! Sans compter que ces histoires de volcans, c'est même pas " notre " faute, que cette raclée-là, on ne l'avait pas méritée. Il n'y a pas de justice. Salope. Qu'est-ce qu'on va devenir ?

Sanderling, éd.Gaïa p.279

 

      Dans ce décor, la perte de John était presque douce, son histoire, la nôtre, un conte, les adieux à la ruelle inévitables, émouvants et superbes. C'était à la carte. Ma confusion à être bientôt "riche-et-par-hasard" s'était résolue dans une contemplation divagante où j'essayais des rôles (...)

Le portefeuille rouge, éd.Gaïa p.283

 

      Sur les étagères, Fred et Abel avaient laissé en reliques quelques boîtes grises en carton souple de charentaises, des marcels dans leur pochette plastifiée, une antique trancheuse à jambon, une balance semi-automatique avec son grand cadran triangulaire central, quelques conserves de pilchards à la sauce tomate, périmées elles aussi, comme la boîte de Banania, les sachets de Treets unicolores, les malabars et le prix des choses.

Le portefeuille rouge, éd.Gaïa p.102


      Et cette encre à la texture de velours que nous devons à la guêpe, ou plutôt à une blessure, celle qu'elle inflige à une feuil-le, qui grossit en tumeur, qu'on n'appelle pas cancer ou d'un autre mot qui fait peur, mais noix de galle. Il y a d'autres choses dans cette encre, de la gomme arabique extraite de l'acacia, et des sels métalliques aussi. Des hardes d'homme, une encre qui mêle l'animal, le végétal et jusqu'au minéral, et les comédies et tragédies de Shakespeare en prime! 
      La matière et l'esprit. La table périodique des éléments, complétée par la grâce du poète.

Le portefeuille rouge, éd.Gaïa p.36


Existait-il une musique constituée d'une
seule note égarée entre deux plages de
silence illimité? N'était-ce pas cela
une photo? Une image comme une
brèche où l'imagination engouffrait
drames, joies, expériences vraies
ou fabulées? Un puits sans
fond, une note hors mesure,
sans temps et sans clé.

Fugue, éd.Gaïa p.333
 


Je ne savais pas si j'avais envie
de tout changer ou si je devais prétendre
qu'il ne se passait
rien et ne rien changer.

Fugue, éd.Gaïa p.215

 

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