Le Café Littéraire luxovien /Robert Desnos, d'Eau et de Courage
 

Le 27 mars 2020, en pleine pandémie du Coronavirus: Covid-19,
le
Café Littéraire luxovien aurait dû évoquer 
Robert Desnos 
à l'occasion du Printemps des poètes  


      Courte biographie :

      Fils d'un banquier, Robert Desnos grandit dans un quartier populaire de Paris. Il débute sa carrière de poète en se faisant publier dans la revue d'avant-garde "Trait d'union". Il rejoint les surréalistes en 1922, empruntant la voie de l'écriture automatique. Il écrit notamment Rrose Sélavy et Le Pélican. Mais dès 1927, il s'éloigne d'André Breton après que ce dernier a rejoint le Parti communiste. Il participe d'ailleurs au pamphlet Un cadavre. Sans renier les innovations auxquelles il a participé, Desnos adopte une écriture plus classique et rédige parallèlement des scénarios pour le cinéma.

      Robert Desnos s'engage également dans le journalisme tout en continuant à écrire des poèmes. Un de ses recueils célèbres est par exemple : Corps et biens, publié en 1930. Desnos participe aussi à des émissions radio de 1930 à 1939, sur l'actualité et les menaces qui planent sur l'Europe. Après la rafle du Vel' d'Hiv', Robert Desnos travaille dans le journal "Aujourd'hui" et s'engage dans la Résistance. En 1943, il écrit son célèbre poème Ce cœur qui haïssait la guerre, en vers libres, poème engagé en faveur de la Résistance. Il s'agit d'une renonciation à ses idéaux pacifistes en faveur de la lutte armée contre l'occupant dans un seul but : défaire Hitler, le nazisme, et recouvrer la liberté.

      Engagé contre le gouvernement de Vichy pendant la Seconde Guerre mondiale, Robert Desnos lutte de façon clandestine pour le réseau de résistance AGIR. Le 22 février 1944, il est arrêté et jeté en prison. Contre toute attente, il est déporté le 27 avril vers Buchenwald, puis est transféré dans le camp de Flöha où il travaille plusieurs mois. Il atterrit ensuite au camp de concentration de Térézin, en Tchécoslovaquie. Malade du typhus et très affaibli, Robert Desnos meurt le 8 juin 1945, la veille de sa libération. De nombreux textes, à l'image de Chantefables et Chantefleurs seront publiés après sa mort.

 

      Extraits de quelques poèmes :

 

La rivière (recueil "Contrée")

D'un bord à l'autre bord j'ai passé la rivière,
Suivant à pied le pont qui la franchit d'un jet
Et mêle dans les eaux son ombre et son reflet
Au fil bleui par le savon des lavandières.

J'ai marché dans le gué qui chante à sa manière.
Etoiles et cailloux sous mes pas le jonchaient
J'allais vers le gazon, j'allais vers la forêt
Où le vent frissonnait dans sa robe légère.

J'ai nagé. J'ai passé, mieux vêtu par cette eau
Que par ma propre chair et par ma propre peau.
C'était hier. Déjà l'aube et le ciel s'épousent.
Et voici que mes yeux et mon corps sont pesants,

Il fait clair et j'ai soif et je cherche à présent
La fontaine qui chante au cœur d'une pelouse.

 

Demain (poème écrit pendant la Résistance, 
recueil "Destinée arbitraire")

Âgé de cent mille ans, j'aurais encore la force
De t'attendre, ô demain pressenti par l'espoir
Le temps, vieillard souffrant de multiples entorses,
Peut gémir : le matin est neuf, neuf est le soir.

Mais depuis trop de mois, nous vivons à la veille,
Nous veillons, nous gardons la lumière et le feu
Nous parlons à voix basse et nous tendons l'oreille,
À maint bruit vite éteint et perdu comme au jeu.

Or, du fond de la nuit, nous témoignons encore
De la splendeur du jour et de tous ses présents.
Si nous ne dormons pas, c'est pour guetter l'aurore,
Qui prouvera qu'enfin nous vivons au présent.

Calixto (Extrait poème, recueil Calixto)

À s'endormir à la légère
Au bruit des sources, sous le ciel,
Rêvant au rythme planétaire,
On plonge, gisant dans la terre,
Et si jamais rêve au réel
Révéla secret ou mystère
C'est en dormant au bruit des eaux
Et du vent fermant ses ciseaux.

 

Jamais d'autre que toi  (Recueil Corps et biens)

Jamais d'autre que toi en dépit des étoiles et des solitudes
En dépit des mutilations d'arbre à la tombée de la nuit
Jamais d'autre que toi ne poursuivra son chemin qui est le mien
Plus tu t'éloignes et plus ton ombre s'agrandit
Jamais d'autre que toi ne saluera la mer à l'aube quand fatigué d'errer moi sorti des forêts ténébreuses et des buissons d'orties je marcherai vers l'écume
Jamais d'autre que toi ne posera sa main sur mon front et mes yeux
Jamais d'autre que toi et je nie le mensonge et l'infidélité
Ce navire à l'ancre tu peux couper sa corde
Jamais d'autre que toi
L'aigle prisonnier dans une cage ronge lentement les barreaux de cuivre vert-de-grisés
Quelle évasion !
C'est le dimanche marqué par le chant des rossignols dans les bois d'un vert tendre l'ennui des petites filles en présence d'une cage où s'agite un serein tandis que dans la rue solitaire le soleil lentement déplace sa ligne mince sur le trottoir chaud
Nous passerons d'autres lignes
Jamais jamais d'autre que toi
Et moi seul seul comme le lierre fané des jardins de banlieue seul comme le verre
Et toi jamais d'autre que toi.

 

De silex et de feu (extrait) (Recueil Corps et biens)

Éraillé béant abritant peste et démence
Il arrive il pénètre au port le paquebot
Hors de son flanc comme l’intestin d’une panse
La cargaison étonnement des cachalots
Est partie à la dérive au sommet du mât
Flotte un pavillon noir Écartez-vous voilures
Tout l’équipage mort moisit dans les hamacs
Proie de l’épidémie aux yeux de pourriture
Sur l’épaule inclinant le manche de sa faux
Tout à l’heure à midi des bureaux sanitaires
L’épouvante danseuse étique aux bijoux faux
Paraîtra saluée par les cris des fonctionnaires
Déjà le feu pétille il est trop tard trop tard
Le ciel contemple les gestes des sémaphores
Cependant que le flot ronge le coaltar
Au flanc des bâtiments Qu’apparaisse l’aurore
Où les ancres levées aux sanglots des sirènes
Tous ces bateaux prendront la mer en liberté
Qu’ils soient croiseurs chaluts ou trafiquants d’ébène
Ou frégate fantôme aux ordres d’Astarté
Mais je crains qu’à leurs proues les moules par milliers
Ne se fixent avant leur départ vers les rades
Où l’anneau les attend aux pierres des piliers
Où l’on boit le tafia avec les camarades
Que m’importe après tout le sort des matelots
Qu’ils crèvent que le port durant dix quarantaines
Soit affamé tant pis pour le méli-mélo
Tant pis pour les marins et pour les capitaines
Mais au gré des courants flotte la cargaison
La vague la balance et le cap la repousse
La glace et le soleil au gré de la saison
Font péter les caissons où s’accroche la mousse
Où flottent maintenant le poivre et la cannelle
Le café la confiture et les bois précieux
Où sont les essences de fleurs et les flanelles
Les barriques de vin la soie brodée de dieux
Quels poissons ont mangé les viandes et le pain
Et les médicaments et les clous de girofle
La saumure a rempli la gourde des copains
Des épaves se sont échouées au bord des golfes
Mais là n’est pas la mer avec tous ses cadavres
Avec ses tourbillons ses huiles et ses laines
Ses continents déserts ses récifs et ses havres
Ses poissons ses oiseaux ses vents et ses baleines
Non ce n’est pas la mer (...)

 

Passé le pont (Recueil Corps et biens)

La porte se ferme sur l'idole de plomb
Rien désormais ne peut signaler à l'attention publique cette maison isolée
Seule l'eau peut-être se doutera de quelque chose
Les clairs matins d'automne la corde au cou plongent dans la rivière
Le myosotis petit chien de Syracuse n'appellera jamais plus la fermière aux yeux pers de son cri de mauvais augure
Du temps de Philippe le Bel à travers les forêts de cristal un grand cri vient battre les murs recouverts de lierre
La porte se ferme
Taisez-vous ah taisez-vous laissez dormir l'eau froide au bas de son sommeil
Laissez les poissons s'enfoncer vers les étoiles
Le vent du canapé géant sur lequel reposent les murmures le vent sinistre des métamorphoses se lève
Mort aux dents mort à la voile blanche mort à la cime éternelle
Laissez-la dormir vous dis-je laissez-la dormir ou bien j'affirme que des abîmes se creuseront
Que tout sera désormais fini entre la mousse et le cercueil
Je n'ai pas dit cela
Je n'ai rien dit
Qu'ai-je dit ?
Laissez laissez-la dormir
Laissez les grands chênes autour de son lit
Ne chassez pas de sa chambre cette humble pâquerette à demi effacée
Laissez laissez-la dormir.

 

Sirène-Anémone (extrait) (Recueil Corps et biens)

Perdus à jamais dans les ombres des corridors
Nous t’appelons du fond des échos de la terre,
Sinistre bienfaiteur anémone de lumière et d’or
Et que brisé en mille volutes de mercure
Éclate en braises nouvelles à jamais incandescentes
L’amour miroir qui sept ans fleurit dans ses fêlures
Et cire l’escalier de la sinistre descente
Abîme nous t’appelons du fond des échos de la terre
Maîtresse généreuse de la lumière de l’or et de la chute
Dans l’écume de la mort et celle des Finistères
Balançant le corps souple des amoureuses
Dans les courants marqués d’initiales illisibles
Maîtresse sinistre et bienfaisante de la perte éternelle
Ange d’anthracite et de bitume
Claire profondeur des rades mythologie des tempêtes
Eau purulente des fleuves eau lustrale des pluies et des rosées
Créature sanglante et végétale des marées

 

De silex et de feu ( extrait ) (Recueil Corps et biens)

La mer ce n’est pas même un miroir sans visage
Un terme de comparaison pour les rêveurs
Un sujet de pensées pour l’engeance des sages
Pas même un lavoir propre à noyer les laveurs

Ce n’est pas un grimoire où dorment des secrets
Une mine à trésor une femme amoureuse
Une tombe où cacher la haine et les regrets
Une coupe où vider l’Amazone et la Meuse

Non la mer c’est la nuit qui dort pendant le jour
C’est un écrin pillé c’est une horloge brève
Non pas même cela ni la mort ni l’amour
La mer n’existe pas car la mer n’est qu’un rêve

Et moi qui l’appelais à l’assaut de la digue
Je reste au pied des rocs jonchés de goémon
Tandis que le soleil ouvert comme une figue
Saigne sur les tourteaux errant dans le limon

Jamais plus la tempête en sapant les falaises
N’abîmera la ville d’Ys les icebergs
Ne dériveront plus à moins qu’il ne me plaise
De recréer les flots les voiles et les vergues

Déjà sentant la mort et la teinture d’iode
Dans la putréfaction qui comblera les mares
Une flore nouvelle apparaît comme une ode
Vers le ciel impalpable où s’éteignent les phares

 

Le poème à Florence (extrait)  (Recueil Corps et biens)

Voici venir les jours où les œuvres sont vaines
où nul bientôt ne comprendra ces mots écrits
Mais je bois goulûment les larmes de nos peines
quitte à briser mon verre à l’écho de tes cris

Je bois joyeusement faisant claquer ma langue
le vin tonique et mâle et j’invite au festin
Tous ceux-là que j’aimai ayant brisé leur cangue
qu’ils viennent partager mon rêve et mon butin

Buvons joyeusement ! chantons jusqu’à l’ivresse !
nos mains ensanglantées aux tessons des bouteilles
Demain ne pourront plus étreindre nos maîtresses.
Les verrous sont poussés au pays des merveilles.

 

Poème à la mystérieuse (Recueil Corps et biens)

J’ai tant rêvé de toi que tu perds ta réalité.
Est-il encore temps d’atteindre ce corps vivant
et de baiser sur cette bouche la naissance
de la voix qui m’est chère ?
J’ai tant rêvé de toi que mes bras habitués en étreignant ton ombre
à se croiser sur ma poitrine ne se plieraient pas
au contour de ton corps, peut-être.
Et que, devant l’apparence réelle de ce qui me hante
et me gouverne depuis des jours et des années
je deviendrais une ombre sans doute,
Ô balances sentimentales.
J’ai tant rêvé de toi qu’il n’est plus temps sans doute que je m’éveille.
Je dors debout, le corps exposé à toutes les apparences de la vie
et de l’amour et toi, la seule qui compte aujourd’hui pour moi,
je pourrais moins toucher ton front et tes lèvres que les premières lèvres
et le premier front venu.
J’ai tant rêvé de toi, tant marché, parlé, couché avec ton fantôme
qu’il ne me reste plus peut-être, et pourtant,
qu’à être fantôme parmi les fantômes et plus ombre cent fois
que l’ombre qui se promène et se promènera allègrement
sur le cadran solaire de ta vie.  

 

Poème de la clandestinité paru dans la revue Europe 
sous le nom de Valentin Guillois :

Le veilleur du Pont-au-change
(extrait)

Au seuil du prochain matin nous vous donnons le bonjour,
À vous qui êtes proches et, aussi, à vous
Qui recevrez votre vœux du matin
Au moment où le crépuscule en bottes de paille entrera dans vos maisons.
Et bonjour quand même et bonjour pour demain !
Bonjour, bonjour, le soleil va se lever sur Paris,
Même si les nuages le cachent il sera là,
Bonjour, bonjour, de tout cœur bonjour !

 

 

 

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