Le Café Littéraire  luxovien/  
les lieux, l'amitié, le sens de la durée 
et les jeux du temps 
chez Jean-Paul Goux

 

 

dans le regret de ce qu'on n'a pas su saisir quand il était encore temps,
et qui a disparu quand on l'a compris.

Mémoires de l'Enclave (éd. Mazarine, p11)

 

           Comme chacun des habitants d'un pays quelconque se représente par la pensée la forme et les contours inimitables que l'histoire et la géographie ont donnés à ce pays qui est le sien, chacun possède sans doute aussi, bien imprimé dans la chair vive de son esprit, la forme d'un territoire plus ou moins étendu qui est le territoire intime de ses affinités: le mien a la figure d'un carré presque parfait, appuyé comme un as de carreau sur l'un de ses angles. Villersexel au Sud, Luxeuil au nord, Colombe à l'ouest et Ronchamp à l'est.

Les lampes de Ronchamp (éd. de l'imprimeur, p9)

 

           On aimerait comprendre ce fait troublant que la lampe électrique, parfaitement sûre, est laide, quand la lampe de sûreté, jamais vraiment sûre, paraît belle: ce n'est pas une explication à la manière de Marsaut, je crois que la lampe de sûreté est belle précisément parce qu'elle n'est pas sûre; elle porte en elle-même ce risque qui a accompagné le mineur pendant quelques générations et qui consiste à travailler tout en mettant un gaz explosible en contact avec une flamme. Y a-t-il beaucoup d'objets techniques, qui mettent en jeu quelque chose d'aussi élémentaire et vital qu'ici la lumière, et qui puissent ainsi partager avec l'œuvre d'art cette qualité d'être un risque encouru?
(...) Les lampes qui ont servi sont celles qui touchent le plus, dont on se dit qu'elles sont les plus belles: comme celle de la vitrine, où le laiton des réservoirs et des galeries, le fer des cuirassés, montrent de menues déformations, des traces de chocs, la patine inimitable de l'usage.

Les lampes de Ronchamp (éd. de l'imprimeur, p44)

 

           Déjà ! me suis-je dit quand Vincent m'a prévenue (...)
« Déjà ! » À peine pouvait-on commencer à accepter comme un fait nécessaire, inscrit dans l'ordre immuable des choses, le déclin et la fin de ceux qui nous précédaient immédiatement, ceux de la génération d'avant, et voici que ça commence pour ceux qui sont de notre âge et que nous connaissons depuis toujours. Et puisque le temps est venu pour eux, déjà!, c'est que pour nous aussi il est temps de penser à la fin.

L'ombre s'allonge (Actes Sud, p15)

 

            Dans l'inventaire régulièrement mis à jour de ses détestations, dénigrements, lassitudes et dégoûts, considérable était la part qu'il accordait à la Ville, à ce qu'elle était à ses yeux devenue sous l'effet d'une méthodique application des incessantes transformations imposées par les prodigieux progrès de la marchandise des avant l'époque où nous avions commencé à comprendre où nous vivions et où nous habitions ― jusqu'au jour où, de la ville que nous avions aimée, il ne resterait même plus ce qu'on peut encore trouver sur le site d'une vieille usine désaffectée, une petite portion de la cheminée de brique ou un porche de pierre hautement décoratifs et riches de mémoire.

L'ombre s'allonge (Actes Sud, p45)

 

            Pour la première fois l'expression convenue d'un flot de lumière qui se répand lui avait paru prendre un sens: courant sur le palier, entre les rives de l'entrée, le soleil du matin débordait d'une fenêtre et inondait la pièce où ils pénétraient. Il marchait dans le soleil, ne voyait toujours que lui parmi le ciel, au-delà de la fenêtre, lorsqu'il avait vu monter les toits, et maintenant, le nez au carreau, c'était la ville sous ses yeux ― il s'était dit: la ville entière.

L'ombre s'allonge (Actes Sud)

 

            Il me semble, disait-il, qu'il n'est rien dans l'amitié qui ne puisse et ne doive faire l'épreuve de la parole (…)  

                                                                                                  L'ombre s'allonge (Actes Sud, p35)


            Je vois bien maintenant que si je ne lui ai rien raconté, c'est que je n'ai pas osé, et non pas parce que j'aurais cru qu'il comprendrait ce que je dirais et pourrait ainsi découvrir la vérité de son état alors qu'il aurait fallu lui cacher la vérité: c'est à moi-même d'abord que je craignais de faire reconnaître cette vérité par le fait que je l'aurais énoncée à voix haute, si grande, si puissante nous paraît être la différence de la pensée et de la parole qui la profère, comme si la parole avait le pouvoir non pas simplement de mettre au jour la pensée mais bien de la faire advenir, exister, pour nous d'abord, pour nous surtout, et pour autrui ensuite, éventuellement.

L'ombre s'allonge (Actes Sud, p38)


            Comment se faisait-il qu'en ce début du XXème siècle où toutes les techniques de l'industrie qui allaient dominer l'époque cherchaient les moyens et inventaient les moyens d'appliquer le principe de continuité et de fluidité dans la fabrication d'objets mécaniques complexes, faite de milliers d'opérations discrètes, isolables, exactement au même moment l'esthétique dominante, celle qui était la plus caractéristique de la même époque, toutes pratiques artistiques confondues, ait privilégié et cultivé la fragmentation, la discontinuité, le fragment et le discontinu?

L'ombre s'allonge (Actes Sud, p43)


             À Clémence. Vous dites toujours que la seule vraie façon d'habiter, c'est la maison, que tout le reste n'a trait qu'à la nécessité de se loger. (…)

            Vous dites que la maison c'est l'escalier: alors l'appartement c'est le couloir, et puis il y a le balcon. (...)                                                    

L'Embardée ou Les quartiers d'hiver I (Actes Sud, p 82)                                                                                                                                                            

          

            À Chaumercenne, les escaliers s'entrecroisent, se superposent, s'entrelacent, engendrent des figures spatiales complexes, merveilleuses. L'un d'eux relie le jardin supérieur d'une résidence de la Fourche aux couloirs d'accès des chambres: c'est un escalier à vis, enveloppé dans un cylindre elliptique, et incliné sur un escarpement de la colline.

L'Embardée ou Les quartiers d'hiver I (Actes Sud, p 82)


            On ne sait jamais pourquoi on est aimé, on ne sait pas toujours quand on l'est, nous apprenions à être aimés, les trois ensemble, chacun pour lui-même.

L'Embardée ou Les quartiers d'hiver I (Actes Sud, p35)

 

            À quel point étions-nous incapables de nous aimer nous-mêmes, à quel point faut-il avoir été dressé à se détester soi-même pour être ainsi impuissant non pas même à croire qu'un autre puisse chercher à vous plaire, mais pour concevoir que le désir puisse lui en venir ?

L'Embardée ou Les quartiers d'hiver I (Actes Sud, p53)

 

            ... ou bien est-ce que déjà on se demandait comment, pourquoi, il pouvait bien vous aimer comme un frère celui qui n'était pas votre frère et n'avait aucun motif de vous aimer comme un frère? est-ce que déjà on se demandait comment, pourquoi pouvait vous aimer celui qui était tellement meilleur que vous, celui qui n'avait aucun motif de vous aimer puisque vous étiez si peu de chose, tellement mauvais ?


Les hautes falaises ou Les quartiers d'hiver II (Actes Sud, p61)


           ... car la ville s'était toujours construite avec les restes de ses démolitions successives, ou comme la rue de Buci conservait dans son tracé l'allure brusque du ruisseau qu'elle avait recouvert, comme l'immuable canevas d'innombrables rues qui lui donnait à lui, en marchant dans sa ville, le sentiment de traverser les épaisseurs du temps.

L'Embardée ou Les quartiers d'hiver I (Actes Sud, p 59)

 

            "Nous sommes d'une génération qui sera certainement la dernière dans ce monde auquel nous appartenons où les enfants pour exister auront dû combattre ceux qui les avaient faits."

            Encore si nos mères avaient été seules à nous enfoncer méthodiquement dans la détestation de nous-mêmes, si nous avions pu trouver auprès de nos pères un contrepoids à leur bêtise saccageuse.

            Ils [nos pères] ne nous ont jamais aidés en rien, ils nous ont patiemment enfoncés et constamment plongés dans la détestation de nous-mêmes, jour après jour ils nous ont pourri la vie.

L'Embardée ou Les quartiers d'hiver I (Actes Sud, p 83 -107- 115)


            … j'ai été modeste et je me suis senti petit quand j'élevais les yeux vers ceux que j'admirais, mais je n'ai pas méprisé ce que je faisais quand je regardais ce qui se faisait autour de moi, et je n'ai jamais cru devoir justifier mon travail dans des articles, des manifestes, des colloque siècles congrès, j'ai toujours cru que le moment viendrait, quand je serai encore là, où la nécessité et parfois l'excellence de ce que j'avais fait seraient enfin visibles.

            On ne sait pas ce qu'on fait, mais comment saurait-on encore le faire si l'on ne croyait pas à sa justesse, quand bien même elle nous échapperait? J'ai travaillé dans le noir, l'absence de preuve, l'incognito.    

L'Embardée ou Les quartiers d'hiver I (Actes Sud, p 100)

                                               

            Tout ce que nous haïssons dans nos villes, tout ce qui nous fait bondir le cœur par sa bêtise et sa laideur, tout ce qui rend nos villes invivables et l'extension des lieux invivables aux abords de nos villes, c'est à nos ingénieurs de pères que nous la devons. Tout ce qui nous a pour jamais éloignés de l'idée qu'on s'est faite depuis toujours du bonheur et de la beauté d'une ville, tout ce qu'on a aimé dans une ville depuis toujours, le désir que nous avons d'une ville quand nous rêvons l'image de la ville, ce sont nos pères qui l'ont anéanti parce qu'ils étaient des ingénieurs. Nous sommes nés dans un temps où la mort commandait à la vie (…)

L'Embardée ou Les quartiers d'hiver I (Actes Sud, p 123)

                                                                              

                  

            Nous n'avons jamais su élever la voix, et nous avons gardé une voix ténue et sourde, appropriée uniquement aux entretiens particuliers: nous n'avons jamais su parler en public.

L'Embardée ou Les quartiers d'hiver I (Actes Sud, p 128)

                                                                          

                   

            Nous les avons vus devenir d'immenses vieillards qui n'en finissaient pas de vieillir. À chacun de leurs anniversaires, aux changements de saison, en fin d'année, nous nous sommes longtemps demandé si ce n'était pas pour eux la dernière fois, mais les mêmes années immobiles recommençaient toujours et nous avons cessé de nous figurer des dates climatériques, ils étaient là depuis toujours et ils seraient là pour toujours, dans leur invariable et interminable présent. Nous pensions qu'ils étaient morts depuis longtemps et que leur décès lorsqu'il viendrait ne changerait rien, ne ferait qu'enregistrer un acte déjà consommé. Nous nous demandions à qui, à quoi servaient ces vies mortes, entièrement vouées à leur propre entretien, nourries aux gélules et aux piqûres, entre deux séjours sur le lit à hautes pattes d'un hôpital ou d'une clinique. Nous pensions que plus rien chez eux, venant d'eux, ne pourrait nous atteindre désormais, que le mal était fait et lui aussi consommé.

L'Embardée ou Les quartiers d'hiver I (Actes Sud, p 136)


            Deux pièces pour faire à toute heure le jour et la nuit, dans un silence que la nature ne connaît pas, conçu et construit par un architecte, une chose artificielle ajoutée par un homme à l'ordre des choses naturelles, comme un des secrets de l'obscur objet du désir de bâtir.

L'Embardée ou Les quartiers d'hiver I (Actes Sud, p 152)


            À qui laisse-t-on ce qu'on laisse? Comment se le figure-t-on celui qui viendra après vous et trouvera ce que vous avez laissé pour lui? Qui sera-t-il, celui- là qui ouvrira vos casiers? est-ce qu'on se figure le visage familier d'un fils ou d'un petit-fils, ou bien pense-t-on à l'image irreprésentable d'un arrière-petit-fils, ou à celle de son fils, c'est-à-dire à personne puisqu'ils n'existent pas encore au moment où l'on pense à eux et où cependant, par là même, on les fait exister?

L'Embardée ou Les quartiers d'hiver I (Actes Sud, p 153)


            C'était l'hiver et il y eut la neige, le lendemain ou un autre jour. Elle était tombée dans la nuit et elle tombait encore, le matin, quand j'ai ouvert la fenêtre du balcon — la merveille des villes, quand c'est l'hiver. Il faisait doux, sous la neige, et j'étais bien à regarder la neige tomber sur la ville, sans penser à rien, si c'est ne penser à rien que de regarder la neige tomber avec cette solennelle lenteur et ce bourdonnant silence des heures de neige, en sentant monter l'enfantine et merveilleuse excitation de la neige. J'entendais le silence de la neige qui tombe, dans l'impatience, le désir que cela ne s'arrête pas, dans cette excitation qui se cherche à toute force un objet — plus de neige, encore plus de neige!—, quand c'est une pure excitation qui n'a pas d'autre objet que le bonheur d'être avec la neige, dans la ville.

L'Embardée ou Les quartiers d'hiver I (Actes Sud, p 173)


            On ne dit pas en vain du silence qu'il peut être profond, soit qu'une certaine forme d'appréhension de l'espace, non dans ses dimensions superficielles mais bien dans son volume, ne puisse devenir vraiment sensible qu'au moment où l'oreille parvient à saisir ses contours, à percevoir les limites de son enceinte, en sorte que le silence serait un attribut de l'espace, soit que l'appréhension du silence ne puisse elle aussi devenir sensible qu'au sein de l'espace quoi lui confère du relief, ainsi qu'on le vérifie a contrario lorsqu'on se bouche les oreilles et qu'on établit non pas le silence mais une plate absence de bruit, en sorte que l'espace serait une propriété du silence.

L'Embardée ou Les quartiers d'hiver I (Actes Sud, p 176)


             Tout m'était expliqué par cette légende de l'homme patient qui vit incognito. Cet amour conçu depuis toujours pour le secret de l'armoire, ce besoin d'être seul et ce sentiment d'être seul au milieu de tous, ce sentiment bizarre d'être invisible à autrui et cette envie bizarre de rester invisible, ces enthousiasmes pour les images qui existent sans qu'on les voie, cette façon d'endurer dans le silence les mots de la condescendance ou du mépris, tout s'éclairait à la lumière de ce récit qu'achève Alexis à l'instant où sa vie s'achève, ce récit qui le fait reconnaître juste à l'instant où il disparaît à jamais: j'étais Alexis, Alexis Chauvel.

Le séjour à Chenecé ou Les quartiers d'hiver III (Actes Sud, p 90)


            J'ai ainsi relu aussitôt les soixante-dix-neuf pages du petit livre en notant ces phrases qui m'éblouissaient, qui me parlaient de moi dans une aveuglante clarté, j'ai prélevé pour la première fois ce que plus tard — je vais vous dire —, j'ai aimé appeler des greffons (...)

Le séjour à Chenecé ou Les quartiers d'hiver III (Actes Sud, p 78)


            La nuit était inaccessible, terriblement lointaine, il fallait réduire cette infranchissable distance des heures qui m'en séparaient par la fraction de la journée en multiples étapes, en courtes échéances qui deviendraient accessibles par leur proximité, oblitéreraient ainsi l'effrayant spectacle d'un temps immensément vide, devant moi, impossible à combler.

Le séjour à Chenecé ou Les quartiers d'hiver III (Actes Sud, p 69)

 


            peut-être faut-il seulement le temps pour atteindre ce point où l'on sait enfin qu'il n'y a rien à comprendre et où on l'admet non pas comme une défaite de la pensée ni comme une complaisance aux fadeurs de l'indicible, mais seulement comme on fait sa juste place à cette part d'irréductible obscurité qui enveloppe les affections et les haines.

Les Jardins de Morgante (éd. Payot, p12)


en sorte qu'il avait dû, lui, Wilhelm, avait-il raconté, élaborer au fil des années, toute une rhétorique de l'assentiment, toute une stratégie du contournement de l'obstacle, un style de discours particulièrement dispendieux, coûteux en énergie et en intelligence déployées, en sorte que cette manière de parler qui était la sienne, enveloppante, riche en arabesques, en volutes et en détours, c'était pour une large part à Chaunes lui-même qu'il la devait, à Chaunes, dont la manière abrupte de s'exprimer avait exigé de lui qu'il apprenne à l'amadouer, à le circonvenir subtilement, parce qu'il suffisait qu'il perde de vue un seul instant qu'il avait en face de lui un être d'une susceptibilité absolue pour qu'aussitôt soit rompu le toujours très fragile lien de la parole …

Les Jardins de Morgante (éd. Payot, p53)


 Et non pas seulement parce que le lecteur de roman savait en s'engageant dans une œuvre de quelque ampleur que la durée même de sa lecture, ce temps-là qu'il lui faudrait consacrer à cheminer de page en page pour atteindre le bout, allait occuper une part de sa vie pendant des jours, mais surtout parce qu'un jardin était, avec le roman et la musique, un art au fondement duquel se trouvaient le sens de la durée et les jeux du temps.

Les Jardins de Morgante (éd. Payot, p64)


ils étaient seuls, ils se racontaient leurs histoires comme font toujours ceux qui sont entre quatre murs, non pas du tout pour passer le temps mais justement pour fabriquer le temps, construire les repères qui vont leur permettre d'échapper, au moins pendant quelques heures, pendant ces heures où ils racontent, au sentiment effrayant d'une durée immobile et d'une pure permanence.

Les Jardins de Morgante (éd. Payot, p77)


Il comprenait, il disait qu'il comprenait, avait raconté Maren dans le petit salon, racontait-il, quand ils ne furent plus que trois à s'y retrouver, quelle sorte de haine avait pu concevoir Morgante pour ces jardins, lorsqu'il les vit prendre forme....

Les Jardins de Morgante (éd. Payot, p 291)


... Il y eut ainsi pour nous (...) parmi les pièces en façade, des chambres vertes, acidulées, matinales par nature, et légères comme un lendemain d'orage, des chambres jaunes, amples, glorieuses, alertes comme un départ et solennelles comme un appel de trompette, et des chambres rouges, évidemment lourdes, chauffées par les soleils de cent mille après-midi, et puis, parmi les pièces intérieures, toutes sortes de chambres bleues, feutrées, douces, veloutées, tirant sur le violet parfois, austères comme une salle de conseil, glissant parfois vers le bleu pâle, fragiles alors et comme appropriées aux chuchotements des effusions tendres, toutes sortes de pièces grises enfin, argentées ou perlées ici, comme les soupiraux ouverts à l'horizon des ciels d'orage, et sombres, là, ou parfaitement blanches, mais inquiétantes de toute façon, comme un grand vide sans ombre où l'on pourrait crier à jamais inutilement.

Les Jardins de Morgante (éd. Payot)


« Chaunes disait, avait raconté Maren, qu'il n'y avait rien de plus important en général, mais en particulier dans un jardin, que les ciels, et l'hiver était justement la saison des ciels, parce qu'à aucun autre moment de l'année n'étaient réunis, selon lui, ces facteurs qui contribuaient à donner à un ciel sa valeur: une lumière oblique, des nuages, d'amples et rapides variations atmosphériques.

Les Jardins de Morgante (éd. Payot, p297)



            Ce que j'étais venu chercher (...)
c'était la preuve, matérialisée
dans un espace géographique privilégié parce que borné,
la preuve que les temps se mêlent dans la mémoire des hommes
comme ils se mêlent dans la mémoire de chacun,
comme ils se mêlent dans ces pages de Chateaubriand
qui me servaient alors de guide et que je relisais chaque soir (…)

Mémoires de l'Enclave (éd. Mazarine, p 20)


… ce vendredi de la dernière semaine d'avril dont la date m'a rétrospectivement frappé, m'a paru être un de ces signes auxquels on attache tant de prix aux premiers temps d'une rencontre amoureuse et par quoi on transfigure le hasard en destin …

Mémoires de l'Enclave (éd. Mazarine, p22)


            Ce qui d'emblée m'apparut sympathique c'est que Robert C* me proposa d'aller faire un tour en voiture pour me montrer deux ou trois choses: voilà quelqu'un qui comprenait que les souvenirs s'accrochent à des lieux et que c'est bien à partir des lieux qu'une mémoire collective à quelque chance de s'organiser!

Mémoires de l'Enclave (éd. Mazarine, p131)


            Il n'est pas nécessaire d'avoir en face de soi un homme vivant pour entendre une voix vivante. Sans quoi, il n'y aurait pas de littérature. La littérature supplée à ce défaut qui fait une impossibilité à l'homme de se faire entendre partout et éternellement. (...) Cette voix vivante qui passe la mort et l'absence, c'est la littérature. Il ne suffit pas qu'elle informe, il faut qu'elle vive, qu'elle ait un ton bien à elle, qu'elle touche.

Mémoires de l'Enclave (éd. Mazarine, p351)


C'est Paris, un boulevard de Paris
avec ses petits immeubles de quatre ou cinq étages et leurs balcons filants.
C'est l'hiver, les platanes viennent d'être taillés, il y a du vent,
on est au cinquième, dans le pan d'angle de l'immeuble :
la Colonne de Juillet est exactement derrière ma nuque ;
autrefois, avant la construction du gros pâté de l'Opéra,
on pouvait regarder l'heure
à l'horloge de la gare de Lyon.


dans : Portraits d'écrivains en Franche-Comté
(Éric Toulot photographe, CRLFC et Néo-éditions 2001)

                                            

 

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