Le Café Littéraire luxovien /mises en lumière

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      « Voulez-vous être calme? Respirez doucement devant la flamme légère qui fait posément son travail de lumière.»

 Gaston Bachelard 
(cité par Françoise Ascal dans: 
Un rêve de verticalité)

 

Faut-il que tout soit consommé, consumé, d'un vivant, pour que de l'invisible où il s'en est allé une lumière nouvelle, à la fois ténue et très pure, commence à sourdre, à s'épancher, bouleversant en secret le visible? Ce n'est que maintenant qu'elle pressent combien est ample, inépuisable, le mystère d'un visage, d'une vie. 

Sylvie Germain, Petites scènes capitales

 

      En cet après-midi de février, la lumière était si nette qu'elle agissait sur les collines, les rideaux d'arbres et les rocs comme un mordant sur une planche de cuivre. C'était ce que Melchior appelait une lumière didactique. Elle montrait tout. Il n'y avait rien à deviner. Melchior préférait une lumière plus théâtrale, qui établissait des deuxièmes et troisièmes plans, des découvertes, des épaisseurs. 

François Weyergans, La démence du boxeur

 

      Ils restèrent tous deux à observer l'étendue bleue qui, partant du pied de la falaise, s'ouvrait en éventail vers l'horizon: les bouches du Ponant au nord, avec l'île des Pendus et la ligne noire tirant sur le gris de Cabo Malo s'avançant dans la mer au sud-ouest. (...) L'effet de lumière et de brume devenait plus évident vers le milieu de l'après-midi, quand le soleil commençait à descendre et éclairait à contre-jour, échelonnées sur plusieurs plans dans des tons qui allaient du gris presque noir au gris clair, les irrégularités successives de la côte à mesure que celles-ci perdaient de leur relief. 
Combien peut peser la lumière? demanda soudain le Croate. Faulques réfléchit un peu. Puis il haussa les épaules. 
Plus ou moins la même chose que l'obscurité. Environ trois kilos au centimètre carré. 
Markovic fronça les sourcils un instant. 
Vous parlez de l'air. 
Évidemment. 

Arturo Pérez-Reverte, Le peintre de batailles

 

Je reste à l'abri pendant les heures centrales qui écrasent même les ombres à terre. La lumière à un poids, à l'aube c'est de l'aluminium, au couchant c'est du cuivre, au milieu c'est du plomb. 

Erri de Luca, Histoire d'Irène

 

La lumière ne se voit pas, elle est l'Atlantide, elle se voit, elle éclaire, elle fait voir. Gouffre de la lumière, creusement lumineux. La lumière palpite dans le ciel et avec les reflets verts et bleus de la mer, poudroie les rochers rouges. La lumière accompagne l'éternité du flux inextinguible des fleuves au lit froissé par la clarté, le limon est plissé. La lumière danse à la pointe des vagues, se mélangeant à l'écume, et c'est écume de lumière. Et l'écume de la mer se mêle à l'écume de la lumière, avec le triangle profond de la terre, de la mer et du ciel. 

Patrice Llaona, Écrits sur la Lumière ou En d'autres mots

 

      «Comment peut-on regarder la lumière? Je vois seulement des choses. 
      Regarde entre les choses. Puis la matière des choses. Tu y trouveras la lumière.» 
      Ils se taisent. La nuit vient. (...) 
      « N'est-il pas trop tard? Il y aura bientôt plus de nuit que de jour. 

      —
Tant que tu vois, c'est la lumière que tu vois. Nous sommes les enfants de la lumière. Dans l'obscurité nous ne sommes rien.» 
      (...) Johannes se tourne sur le côté afin d'apercevoir encore un peu la ligne de l'horizon, les formes qui s'y découpent. Elles possèdent alors la netteté d'un tracé à la pointe d'argent. 
      Il dit: « La lumière ne rend pas seulement les choses visibles. Elle révèle leur nature. Un velours n'est pas un étain. Ta main le sait. La lumière le prouve dans son reflet. Les broderies d'or n'ont ni le fil ni la rugosité absorbante d'un drap de lin. Les perles et les femmes possèdent des lueurs différentes. La peluche d'un tapis doit parler au-dessous de ton pied tout autant que l'éclat d'une ardoise ou d'une céramique. L'haleine d'un homme sans dents se perçoit sur sa bouche. La lumière dit une vérité immuable: nous sommes là. Chose parmi les choses, matière parmi la matière. Il ne suffit pas de respirer, de se mouvoir ou de penser. Nous sommes là parce que nous voyons notre présence dans la lumière qui nous est offerte. Il se peut que Dieu ait choisi la lumière pour seule preuve de la présence de l'homme dans l'univers. Celui qui crée une image peinte ne fait rien d'autre que de monter à ses semblables la chambre où ils demeurent. Il emprunte à l'esprit divin un peu de son pouvoir. Il dit: la lumière vient de là. Regardez l'ombre qu'elle trace, l'éclat des matières à son contact. Il n'y a pas d'autre vérité que celle que nous avons sous les yeux chaque fois que la nuit s'est éloignée. Il n'y a rien d'autre à peindre. Une chambre peinte, celui qui la regarde doit pouvoir y entrer et y dormir.» 

Jean-Daniel Baltassat, Le valet de peinture

 

Au centre de la cité sainte d'Héliopolis se dressait l'immense temple de Râ, le dieu de la lumière divine qui avait créé la vie. 

Christian Jacq, Ramsès le fils de la lumière

 

«C'est la matière qui imagine le ciel. Puis c'est le ciel qui imagine la vie. Puis c'est la vie qui imagine la nature. Puis la nature pousse et se montre sous différentes formes qu'elle conçoit beaucoup moins qu'elle les invente en fourgonnant dans l'espace. Nos corps sont l'une de ces images que la nature a tentées auprès de la lumière» 

Pascal Quignard, Terrasse à Rome

 

Depuis le temps des dieux, l'Égypte est la fille unique de la lumière, et le fils de l'Égypte est assis sur un trône de lumière. À toi de me succéder, Ramsès, de poursuivre mon œuvre et d'aller au-delà, toi dont le nom est «Fils de la Lumière» 

Christian Jacq, Ramsès le fils de la lumière 

 

      C'est moi le faucon qui habite la lumière, celui que son diadème et son rayonnement ont rendu puissant, j'irais et je reviendrais d'une extrémité du ciel à l'autre. Dieux de la Douat qui repoussent (se reforment) aux cous qui se tendent, vous Infatigables qui halez les Etoiles … 

Livre des morts égyptien ou rituel de la Sortie au jour
 Chapitre 78 

 

      (Je suis) un Faucon séjournant 
      dans la splendeur (de la Lumière); 
      oui, je suis un Faucon) 
      dont le pouvoir s'étend 
      sur (sa propre) Lumière ! 

Texte des Sarcophages, Égypte ancienne

 

      Jivago travaillait à son ancien bureau, près d'une fenêtre, dans la salle des internes. (...) 
      La pièce claire, ensoleillée, peinte en blanc, baignait dans cette lumière crémeuse de l'automne doré qu'on voit briller après l'Assomption, alors que les premiers gels craquent, le matin, que les mésanges d'hiver et les pies se cachent dans les bosquets chamarrés, éclatants, au feuillage déjà éclairci. Pendant ces journées, le ciel atteint une profondeur extrême, et dans la colonne d'air transparent qui le sépare de la terre, on sent courir vers le nord une limpidité froide d'un bleu foncé. 
      Les distances renvoient les sons avec une sonorité glacée, précise, distincte. Les lointains s'éclaircissent découvrant au regard toute une vie, pour de longues années. On ne pourrait supporter cet air raréfié, si ces moments n'étaient aussi courts, s'ils n'arrivaient à la fin des courtes journées, au seuil de crépuscules hâtifs. 
      La lumière embrassait la salle, cette lumière du soleil d'automne qui se couche très tôt, une lumière de verre et d'eau, juteuse comme une pomme mûre. 

Boris Pasternak, Le Docteur Jivago

 

       ...le signe sinon la preuve que la maison de Morgante savait offrir à chacun de ses occupants (et jusque dans leurs attentes les plus intimes, les plus secrètes, et partant apparemment les plus rétives à toute organisation préméditée) ces éléments indissociables pour lui de l'idée et de la sensation même d'une maison, de la même façon que l'infinie variété des jeux de l'ombre et de la lumière engendrée par l'organisation complexe et apparemment seulement anarchique des expositions, des sources de lumière et des répartitions deCeramique de Nicolas Beuchot / Atelier poterie du Centre social Saint Exupéry de Luxeuil niveaux pouvait légitimement combler les attentes les plus précises, les exigences les plus fines, et offrir à ce même occupant, nous offrir, à nous qui en découvrions chaque jour les extraordinaires richesses, une vertigineuse anthologie des lumières réunissant enfin les éléments jusqu'alors dispersés dans l'espace et dans le temps, éparpillés dans mille maisons diverses, ou dans cette maison-là précisément qui figurait pour chacun et dans la mémoire de chacun la maison par excellence, avec ses lumières de maison (...) 

Jean-Paul Goux, Les jardins de Morgante

 

      Ci respira à pleins poumons avant de pénétrer dans le labyrinthe de ruelles qui formaient la bourgade, une succession de bicoques calquées les unes sur les autres dont les bois vermoulus se répétaient à angle droit tels de vieux dominos étourdiment alignés. De temps en temps, des lanternes scintillantes coloraient de leur lumière les petites portes ouvertes d'où émergeaient l'odeur de thé, tandis que des files de paysans se dessinaient sur les chemins telles des âmes insaisissables.

Le lecteur de cadavres, d'Antonio Garrido

 

      L'énorme bâtisse tombait en ruine. Les crevasses et les brèches étaient dénoncées par la lumière qui s'en échappait de tous côtés comme un phare. Mais cette lumière, si pure et triomphale pour les voyageurs attardés au flanc des monts aveugles, n'était à l'intérieur du caravansérail qu'une lampe fumeuse au verre crasseux. Sa pauvre clarté ne parvenait même pas à percer l'ombre de la pièce commune où gisaient pêle-mêle bêtes et gens.
      (...)
      Son regard se fixa sur la lampe sordide. La mèche, baignée par la graisse de mouton fondue, fumait beaucoup. Suie et poussière souillaient le verre ébréché, fêlé. Mais cet enduit, justement, donnait à la lumière filtrée à travers son épaisseur l'essence qui enchantait Ouzoz. Aussi peu teintée que la fleur de safran la plus pâle, elle touchait les yeux comme une caresse. Et sa faible et confuse clarté transfigurait la misère, la crasse, les tares du caravansérail et de ses dormeurs.
      (...) Or, cette nuit, les jeux de la lampe fumeuse effaçaient, lavaient chez les compagnons d'Ouzoz toute disgrâce et tout stigmate. Il n'y avait là que bergers et routiers au sommeil, enveloppés d'étoffes à la vérité lamentables, sales, effilochées, déchirées, guenilleuses, mais que la magie de la pénombre changeait en molles et nobles draperies de même qu'elle suspendait soies et velours aux murs délabrés.

Joseph Kessel, Les Cavaliers

 

      La première clarté du jour pointait par les fenêtres. Mais le matin hivernal n'avait qu'une pauvre lumière à offrir. L'éclat hybride de l'obscurité et du jour se balançait, incertain, sur le sommet des choses, et enveloppait leur silhouette. 

Stefan Zweig, La contrainte

 

      Ces gens-là ne devaient pas aimer la lumière, car les trois ampoules électriques étaient soigneusement voilées par d'épaisses toiles coloriées qui ne laissaient passer que le strict minimum de rayons. 

Georges Simenon, L'ombre chinoise

 

      Les lampes disposées en rampe centrale au plafond de la rame de TGV ressemblaient aux pas d'un animal géométrique - un animal créé pour allaiter l'homme. 
(...)

       Station Boucicaut. Une lumière liquide coulait sur les voûtes de carrelage blanc; et cette lumière semblait paradoxe atroce couler vers le haut. 
(...)

      Le ciel est légèrement vert, 
      Comme un éclairage de piscine; 
      Le café est amer, 
      Partout on assassine; 
      Le ciel n'éclaire plus que des ruines. 
(...)

      Maintenant le soleil traverse les nuées, 
      Sa lumière est brutale; 
      Sa lumière est puissante sur nos vies écrasées; 
      Il est presque midi et la terreur s'installe. 
(...)

                     «que tout ce qui luit soit détruit.»
      Les habitants du Soleil jettent sur nous un regard impassible: 
      Nous appartenons définitivement à la Terre 
      Et nous pourrirons, mon amour impossible, 
      Jamais nos corps meurtris ne deviendront lumière. 
(...)

      Le corps tendu, affamé de caresses et de sourires, 
      Continue à vibrer dans la lumière du matin 
      Dans l'éternelle, la miraculeuse lumière du matin 
      Sur les montagnes. 
(...)

Michel Houellebecq, Renaissance

 

      Au sous-sol, dans un couloir dont la moitié des lumières étaient éteintes pour la nuit et au moins quatre autres tremblotaient, créant cette atmosphère d'asile psychiatrique de film d'horreur qu'ont toujours les recoins des bâtiments administratifs, j'ai déniché le local de service. Facile à trouver, en fait, puisque c'était la seule porte du couloir sous laquelle passait la lumière jaune d'une ampoule à incandescence. 
      C'est un signe révélateur, même dans les bâtiments neufs. 
      Qu'elles que soient les lumières dont sont équipés les autres, les agents de ménage n'ont droit qu'à cette simple ampoule nue de cent watts, vissée à une douille du modèle le plus basique. Parfois, elle est garnie d'une cage en fil de fer, pour la protéger d'une attaque de manche à balai. Parfois non. 

Russell Wangersky, Les courses

 

     

Lampe de mineur / Ceramique / Atelier poterie du Centre social Saint Exupéry de Luxeuil      On aimerait comprendre ce fait troublant que la lampe électrique, parfaitement sûre, est laide, quand la lampe de sûreté, jamais vraiment sûre, paraît belle: ce n'est pas une explication à la manière de Marsaut, je crois que la lampe de sûreté est belle précisément parce qu'elle n'est pas sûre; elle porte en elle-même ce risque qui a accompagné le mineur pendant quelques générations et qui consiste à travailler tout en mettant un gaz explosible en contact avec une flamme. Y a-t-il beaucoup d'objets techniques, qui mettent en jeu quelque chose d'aussi élémentaire et vital qu'ici la lumière, et qui puissent ainsi partager avec l'œuvre d'art cette qualité d'être un risque encouru? (...) Les lampes qui ont servi sont celles qui touchent le plus, dont on se dit qu'elles sont les plus belles: comme celle de la vitrine, où le laiton des réservoirs et des galeries, le fer des cuirassés, montrent de menues déformations, des traces de chocs, la patine inimitable de l'usage. 

Jean-Paul Goux, Les lampes de Ronchamp

 

      Quand il ne resta plus rien des dix pièces d'or, Aladdin eut recours à la lampe: il la prit à la main, chercha le même endroit que sa mère avait touché ; et comme il l'eut reconnu à l'impression que le sable y avait laissée, il la frotta comme elle avait fait; et aussitôt le même génie qui s'était déjà fait voir, se présenta devant lui; mais comme Aladdin avait frotté la lampe plus légèrement que sa mère, il lui parla aussi d'un ton plus radouci: 
Lampe d'Aladdin / Céramique de Laurence Buisson / Atelier poterie du Centre social Saint Exupéry de Luxeuil       «Que veux-tu, lui dit-il dans les mêmes termes qu'auparavant? Me voici prêt à t'obéir comme ton esclave, et de tous ceux qui ont la lampe à la main, moi et les autres esclaves de la lampe, comme moi!» 
      Aladdin lui dit: « J'ai faim, apporte-moi de quoi manger.» Le génie disparut, et peu de temps après il reparut, chargé d'un service de table pareil à celui qu'il avait apporté la première fois; il le posa sur le sofa, et dans le moment il disparut. 

Les Mille et Une Nuits/Histoire d'Aladdin ou la lampe merveilleuse, 
Anonyme, traduction Antoine Galland

 

      Les lampes étincellent, étincelaient, étincellent. Sur la grande surface blanche du plafond il y a, de loin en loin, de petits tourbillons de lumière. Les piliers soutiennent le dôme éblouissant, il n'y a pas d'autre ciel. Les ampoules électriques sont cachées dans des boîtes transparentes, et la matière plastique en fusion gonfle ses cloques sur les parois. Les disques d'acier poli ressemblent à des scies; ils tournent à toute vitesse en sifflant, ils coupent tout ce qu'ils trouvent, l'air, l'eau, le bois, les tôles des voitures, le crâne des hommes. Rien n'est tranquille, ou calme, ou reposé. Il y a des forces extrêmes qui jaillissent, sous forme de flèches, de barres, de torsades. La salle d'Hyperpolis est en train de bouillir, avec ces feux secrets dissimulés sous le plancher, derrière les portes, de l'autre côté du plafond. (...) Les regards de la lumière indécente viennent vous trouver, où que vous soyez. Peut-être, quand il fera nuit... Mais il n'y a jamais de nuit. Les turbines géantes qu'on ne connaît pas envoient sans cesse le courant électrique le long des fils, d'une tour à l'autre, par dessus les vallées, les montagnes, les routes, et l'électricité se répand dans Hyperpolis, elle embrase au même instant tous les petits bouts de fil de fer, tous les tubes d'hélion, de carbone, de néon, elle allume les molécules de l'air, les miroirs, les ballons de polystyrène, elle allume les corps des femmes, les corps des hommes, et c'est pour ça qu'il n'y a jamais de repos. Il faudrait éteindre toutes ces ampoules électriques qui sont à l'intérieur des femmes et des hommes, mais, impossible, les turbines n'arrêtent pas de travailler, l'électricité n'arrête pas de courir le long des câbles, entre les pylônes géants. 

JMG Le Clézio, Les géants

 

      Pour la première fois l'expression convenue d'un flot de lumière qui se répand lui avait paru prendre un sens: courant sur le palier, entre les rives de l'entrée, le soleil du matin débordait d'une fenêtre et inondait la pièce où ils pénétraient. Il marchait dans le soleil, ne voyait toujours que lui parmi le ciel, au-delà de la fenêtre, lorsqu'il avait vu monter les toits, et maintenant, le nez au carreau, c'était la ville sous ses yeux il s'était dit: la ville entière. 

Jean-Paul Goux, L'ombre s'allonge

 

      Je m'attendais, en sortant, à contempler le vide et l'infini. Je posai le pied au milieu d'une ville bizarre, une ville de rêve ou de cauchemar. Une foule allait et venait, se pressait, grouillait dans de vraies rues, bordées de boutiques et de restaurants. M. Adrien me guida jusqu'à un trou béant, où je vis sans trop d'émotion la terre baignée dans un ruissellement de lumière électrique. Les promeneurs tournaient, tournaient autour de ces lumières comme des papillons autour d'un verre de lampe.

 Michel Jeury, Nounou

 

      La première impression fut colossale, bien que New York n'eût pas encore l'enivrante beauté nocturne qu'elle a aujourd'hui. Manquaient les ruisselantes cascades de lumière de Time Square et le ciel de rêve étoilé de la ville, dont les milliards d'étoiles artificielles opposaient, la nuit, leur éclat incandescent à celui des vraies étoiles du ciel. 

Stefan Zweig, Le monde d'hier

 

Céramiques Atelier poterie du Centre social Saint Exupéry de Luxeuil      Le jour, elle ne prête guère attention aux façades des immeubles, mais le soir, dès que les fenêtres s'éclairent, elle les regarde avec curiosité, avec avidité. Tous ces rectangles de lumière qui s'ouvrent dans l'obscurité la mettent en émoi; ils trouent la nuit, ils percent la pierre, les briques, le béton, ils révèlent de l'intime tout en le maintenant voilé. (...) La lumière qui luit dans l'enclos de certaines fenêtres lui semble plus douce, plus soyeuse, que celle qui brille chez elle, ou plus glacée et vivifiante. Mais surtout, ce sont ces silhouettes anonymes qui la troublent, ces esquisses de vie saturées de mystère dans leur banalité.

Sylvie Germain, Petites scènes capitales

 

      On reprit l'ascenseur. Sur la plate-forme du troisième étage, la fraîcheur de l'air me fouetta agréablement le visage et les sens. Des rangées de lampes à gaz, que M. Adrien nommait «rampes», dessinaient joliment les formes de la Tour. Des rayons électriques plongeaient sur la ville. Un phare puissant projetait dans le ciel les trois couleurs de notre République, frôlant le bas des nuages. Des projecteurs mobiles balayaient d'énormes pâtés de maisons et, par instants, sous leur lumière, des éclairs jaillissaient des vitres, des croix dorées des églises, et même des eaux de la Seine; puis des arabesques lumineuses découpaient le ciel en mille morceaux. C'était très joli, mais j'avais vu des orages, de jour ou de nuit, faire aussi bien. 

Michel Jeury, Nounou

 

      Petit garçon, je faisais souvent le même rêve: en habit noir de Ninja, je me déplaçais sur les toits d'une ville endormie. La nuit était à mes pieds, et des lumières scintillaient, ici et là, comme les feux des bateaux sur un océan sombre. Cette ville n'était pas Tokyo. Elle m'était étrangère et l'angoisse m'excitait. Dans une rue étroite et déserte des lanternes accrochées sous les auvents balançaient leur lueur menaçante. J'avançais à pas feutrés sur chaque tuile jusqu'à l'extrémité de la toiture. Soudain, je m'élançais dans le vide. 

Shan Sa, La joueuse de go

 

      «L'expérience est une lanterne allumée, que l'on porte dans le dos au bout d'un bâton et qui n'éclaire que le chemin parcouru.»

 Confucius

 

      LA LANTERNE

                Tu as cherché les feux de ce mot 
                dans la nuit et sur de vieilles cartes. 
                Et voici : il brille sous les eaux 
                en un lieu d'où s'est retirée la mémoire. 
                Lentes eaux incomprises par un scribe de bureau 
                qui alluma, il y a deux siècles, 
                cette perle où méditent les aulnes. 
                Quel hasard a guidé cette main obscure 
                et réconcilié, entre les rives argileuses et les roseaux, 
                l'eau et le feu des antiques croyances ? 

*Il s'agit d'une rivière 

Alain Jean-André, Ulysse vagabond

 

      «Devant les deux fenêtres ouvertes, les rideaux légers se déployaient parfois vivement et se mettaient à battre l'air avec ces longues ondulations et ces claquements d'une oriflamme soudain lâchée au vent, mais par la fenêtre tournée vers la ville il semblait que c'était cette chaude lumière elle-même qui venait ainsi gonfler le léger tissu crème et qui en le soufflant le jaunissait ils retombaient sans raison apparente, s'agitaient encore un peu, cependant tandis que le soleil, tous obstacle écartés, pénétrait dans la chambre, découpait sur les carreaux de terre cuite un grand rectangle oblong qui allait se déformant peu à peu, tendait au losange, s'enfonçait toujours, atteignait les pieds de la grande armoire, et puis, sur leurs panneaux bleutés, les petites amours rose tendre qui prenaient alors une carnation de peau blonde qu'ils perdaient aussitôt que les rideaux légers, en se déployant de nouveau devant la fenêtre, occultaient le soleil et leur rendaient, à ces petits amours des panneaux bleutés, leur chair de gros bébés replets. Avec cet air de plein vent circulant entre les fenêtres ouvertes et ces claquements de toile dans les éclipses de la longue lumière de l'après-midi, imprévisibles comme de furtives passées de nuages dans un vaste ciel clair, avec cette vitesse même des déplacements de la lumière qui faisait songer à ces brusques changements de cap d'un voilier ballotté par la houle, la chambre de la tour prenait, l'après-midi, plus que jamais, des allures de chambre marine la chambre d'un observatoire planté comme un phare sur un rocher au milieu des eaux ou la chambre de poupe d'un navire hauturier. Les rideaux légers retrouvaient leur aplomb, le soleil portait sur l'ombre bleue des murs blancs un trapèze oblique et déformé qui glissait lentement et atteignait le lit où les draps viraient au blond, au rose, à ce mauve doré dans lequel nous baignions tout entiers.»

 Jean-Paul Goux, Les jardins de Morgante

 

      À un moment de notre seconde rencontre, vers la toute fin des quatre heures qu'elle avait passées à me parler, Bénédicte Ombredanne m'a désigné l'esplanade qui s'étend devant la comédie française. Regardez, l'ai-je entendu me dire, regardez comme la lumière est belle, vous avez eu raison de l'affirmer dans votre livre, c'est à l'automne que la lumière est la plus belle, aujourd'hui elle est miraculeuse, on la sent vibrer dans l'atmosphère comme des milliards de particules. 

Éric Reinhardt, L'amour et les forêts

 

      Les jours marquants d'une vie dégagent une lumière plus vive que les jours ordinaires. 

Stefan Zweig, Le monde d'hier

 

      ... Ce qui avait eu lieu avec Émilie, rien ne pourrait en atténuer l'éclat, mais la lumière qu'il dispensait, plutôt que de la regarder fixement et de ne plus rien voir, il fallait s'en détourner pour découvrir grâce à elle ce qu'elle arrachait à l'obscurité et qu'elle mettait au jour il avait décidé de rencontrer d'autres jeunes filles. Un peu comme dans la nuit d'été l'astre de première grandeur fixe d'abord sur lui toute l'attention mais fait bientôt surgir du grand noir les mille étoiles ignorées qui l'entourent... 

Jean-Paul Goux, Les hautes falaises

 

Céramique de Chantal Beuchot / Atelier poterie du Centre social Saint Exupéry de Luxeuil      Accroché à la falaise, le restaurant de luxe surplombait à la foie la piscine et la mer de Cortés. De nuit, le paysage était aussi impressionnant qu'en plein jour, gagnant en romantisme et en mystère ce qu'il perdait en profondeur. Des lanternes en cuivre pendaient le long des treilles et des photophores colorés nimbaient chaque table d'une lumière intimiste.

 La fille de papier, Guillaume Musso

 

      Il perçut l'odeur d'esprit de lavande, de linge repassé et d'algue marine qui composait le parfum de Vinca, et la vit à trois pas de lui. Elle le regardait de haut en bas et lui versait la lumière assombrie et troublée de ses yeux dont le bleu refusait d'imiter les nuances changeantes de la mer. 

Colette, Le blé en herbe

 

      ...le jour était tombé, non pas exactement d'un coup comme on dit que la nuit s'installe sous les tropiques sitôt que le soleil à disparu de l'horizon, mais plutôt comme si le passage progressif à l'obscurité d'une fin d'après-midi d'hiver était resté sensible mais avait été prodigieusement accéléré, dans une précipitation anormale du cours du temps. Il était sorti de la voiture au milieu d'une lumière aberrante qui n'était pas la nuit, qui n'était pas le jour, ni le crépuscule du soir ou du matin, une lumière malade, mal formée, ténébreuse et inquiétante, car même dans la direction de Chevroches, l'étroite bande blanche collée sur l´horizon, en évoquant les lueurs d'une aube proche, renforçait l'impression d'un désordre temporel cataclysmique qui aurait conjoint dans le même moment les heures de la venue du jour et celles de la venue de la nuit. 

Jean-Paul Goux, Les hautes falaises 

 

      ... ensuite je continuais sans but mon chemin dans le labyrinthe de ces ruelles plus sombre à mesure que je m'éloignais de la place principale. Les grands arcs des lampes électriques, ces lunes des vastes boulevards, ne flambaient plus ici, et au-dessus du maigre éclairage, on commençait enfin à apercevoir de nouveau les étoiles et un ciel noir, nuageux. 

Stefan Zweig, La ruelle au clair de lune 
(dans le recueil de nouvelles:  Amok) 

 

      Je ne me doutais pas que je n'étais pas plus loin de ta pensée quand il y avait entre nous vallées, montagnes et rivières, qu'à cette heure où il n'y avait entre toi et mon regard brillant que la mince vitre éclairée de ta fenêtre. Je regardais là-haut, toujours là-haut: là il y avait de la lumière, là était la maison, là tu étais, toi mon univers. (...) Et toute la soirée, cette soirée d'automne nuageuse et douce, je restai devant tes fenêtres jusqu'à ce que la lumière s'éteignit. 

Stefan Zweig, Lettre d'une inconnue
(dans le recueil de nouvelles:  Amok) 

 

      Était-ce le jour ou la nuit? L'aube ou le crépuscule? L'unique fenêtre était si étroite, les vitres poussiéreuses si opaques qu'elles n'admettaient aucune lumière, et il ne semblait pas non plus y avoir d'éclairage dans la salle de bains, au-dessus du lavabo par exemple, ou encastré dans le plafond. Il y avait pourtant un genre de lumière dans la pièce. La lumière livide d'une journée sans soleil, cette lueur maussade, diffuse, qui semble ne pas avoir de source. 

Joyce Carol Oates, Mudwoman

 

      Tout commence par «la catastrophe ultraviolette». Chauffons progressivement un morceau de fer. Sa couleur se modifie, elle passe du gris au rouge sombre vers 600°C. Devient rouge orangé, puis jaune, pour atteindre le blanc éblouissant aux environs de 2000°C. Ces changements de couleur correspondent aux rayonnements de différentes longueurs d'ondes, émis par le corps chauffé. 

Michel Devaux, Un univers à votre image, 
Rencontre avec les quanta

 

      La lumière est une onde électromagnétique, dans laquelle ce sont les champs électriques et magnétiques qui vibrent. Pour la lumière visible, la fréquence la plus basse est celle de la lumière rouge, et la plus haute, celle de la lumière bleue et violette.

Alberto Casas González, Voyage dans le cosmos: La matière noire -
à la recherche de la plus grande inconnue de l'Univers

 

      ...l'expérience, «Les fentes de Young » montre non plus la nature corpusculaire de la lumière mais sa nature ondulatoire. 
      (...)
      Parce que vous avez pris cette décision d'observer, la lumière projetée ne vous apparaît plus comme deux ondes qui interfèrent, mais comme des corpuscules. Deux bandes lumineuses se dessinent sur l'écran. Parce que vous avez consciemment pris cette option de "regarder". 
      (...)
      Rappelez-vous... Dans la lointaine nuit cosmique, les photons savaient que la conscience allait émerger dans notre univers, qu'ils seraient observés dans le futur. Par nous-mêmes ou d'autres civilisations. Le futur à envoyé l'information dans les archives du passé: la lumière à pris l'apparence du corpuscule, délaissant sa parure d'onde. Elle s'est transformée en matière, créant ce que nous appelons le réel, notre réel. 

Michel Devaux, Un univers à votre image, Rencontre avec les quanta 

 

      Les hommes vivent avec leur lumière. Ils ont creusé une petite chambre dans la réalité, et ils ont installé leur ampoule de 120 watts. La lumière est jaune. Ils ne connaissent pas d'autre lumière, ni la lumière blanche du soleil, ni la lumière noire de la nuit. 

JMG le Clézio, Les géants

 

      Mais comme les couleurs sont absentes, l'image me rappelle d'autant plus ce qu'est une photo: une empreinte de la lumière, telle qu'elle se reflète sur la peau, la laine, la terre, l'asphalte et l'écorce. Les silhouettes des corps et du lieu impriment leur marque sur l'émulsion du film lorsque les lamelles de l'obturateur s'écartent et se rejoignent derrière l'œil de verre de l'appareil, telle une rose de fin acier noir et mat. Les lamelles s'ouvrent pour le soleil et se referment pour la nuit, comme si ce bref instant était un jour. J'ai oublié ce qui s'est passé ce jour-là, il ne reste que ces contours de grains noirs et gris, et c'est comme de regarder une radiographie des entrailles du temps. 

Jens Christian Grøndahl, Bruits du cœur

 

      Je montai sur le pont en tâtonnant. Il était désert. Et, comme je levais mon regard vers la tour fumante de la cheminée et vers les mâts dressés tels des fantômes, une clarté magique m'emplit brusquement les yeux. Le firmament brillait. Autour des étoiles qui le piquaient de scintillations blanches, il y avait de l'obscurité, mais malgré tout le ciel étincelait. On eût dit qu'un rideau de velours était placé là, une formidable lumière, comme si les étoiles n'étaient que des fissures et des lucarnes à travers lesquelles passait la lueur de cette indescriptible clarté, jamais je n'avais vu le ciel comme cette nuit-là, d'un bleu d'acier si métallique et pourtant tout éclatant, tout rayonnant, tout bruissant et tout débordant de lumière, d'une lumière qui tombait, comme voilée, de la lune et des étoiles, et qui semblait brûler, en quelque sorte, à un foyer mystérieux. Comme une laque blanche, toute les lignes du navire brillaient crûment au clair de lune, sur le velours sombre de la mer, les cordages, les vergues, tous les apparaux, tous les contours disparaissaient dans cette splendeur flottante: les lumières des mâts et, plus haut encore, l'œil rond de la vigie semblaient suspendus dans le vide, comme de pâles étoiles terrestres parmi les radieuses étoiles du ciel. (...) C'est ainsi qu'en tâtonnant je m'approchai peu à peu de la proue du navire, complètement aveuglé par la lumière qui semblait tomber des choses, avec une vivacité toujours plus grande pour pénétrer en moi. Cette lumière des étoiles, d'une blancheur glacée et d'un éclat éblouissant, me faisait déjà presque mal; mais je voulais m'enfuir quelque part dans l'ombre, m'étendre sur une natte, ne plus sentir en moi, mais simplement au-dessus de moi, ce rayonnement réfléchi par les choses, tout comme l'on regarde un paysage de l'intérieur d'une chambre plongée dans l'obscurité. 

Stefan Zweig, Amok 

 

      La lune en son premier quartier rasait la falaise. Courbe et rougeâtre, elle ne versait pas de lumière au paysage, et le phare tournant du phare de Granville semblait, à chaque feu rouge, à chaque feu vert, l'éteindre. Mais la nuit, à cause d'elle, ne submergeait pas les masses de verdure, et le crépi blanc de la villa, entre les poutres apparentes, semblait faiblement phosphorescent.

Colette, Le blé en herbe

 

      La surface de l'étang semblait réfléchir plus de lumière que le ciel n'avait à en offrir. Les moutons, blottis dans sa clarté, semblaient eux aussi s'être fait une raison et avoir renoncé au soleil. De petites flaques clignotaient tout au long de la Highway Seven en direction de Feathertown et en sens inverse, vers Cleary, longue traînée de nids-de-poule brillant d'une lueur mouillée.

Barbara Kingsolver, Dans la lumière

 

      Il avait l'impression d'avoir longtemps marché dans les ténèbres, s'enfonçant dans le crépuscule, et d'avoir soudain, dans un ravissement, vu briller au loin une lumière, aussi blanche qu'une étoile, la lumière d'une maison où il pouvait se reposer et on l'accueillerai ainsi qu'un hôte précieux. 

Stefan Zweig, La scarlatine 

      

      La vie n'est pas bruit ni orage, 
      Elle est ainsi: il neige, 
      La maison est éclairée 
      Quelqu'un s'approche. 
      Lentement, la sonnerie étincelle, 
      Il entre. Lève les yeux. 
      Pas un bruit. Les icônes flambent. 

Maria Tsvetaïeva, Le ciel brûle

 

Céramiques de Nicolas Beuchot et Mauricette Gobillard/ Atelier poterie du Centre social Saint Exupéry de Luxeuil       La violente explosion primordiale à laissé derrière elle des reliques encore observables qui révèlent des informations sur les premiers moments de l'Univers. Ainsi, au moment de la formation des premiers atomes, l'Univers est devenu transparent et la lumière à pu se diffuser dans tout l'Univers.

Alberto Casas González, Voyage dans le cosmos: La matière noire - à la recherche de la plus grande inconnue de l'Univers

 

      Les blêmes lointains du ciel, où étincelaient mille lumières, semblaient infiniment hauts; les étoiles étaient là, paisibles, dans leur scintillement silencieux; seulement parfois l'une d'elles se détachait brusquement de la ronde adamantine et se précipitait dans la nuit d'été. Elle se précipitait dans l'obscurité, peu importe que ce fut dans des vallées, des abîmes, des montagnes ou des eaux lointaines, sans savoir où elle allait et poussée par une force aveugle, comme une vie projetée subitement dans la profondeur de destins inconnus. 

Stefan Zweig, Le jeu dangereux 

 

      Une lumière qui habille la lumière.
      Et une autre qui la dénude.
      Ce sont trois couches de lumière.

      Mais vient alors un arbre
      qui retient le processus
      de cette pluralité presque agonique,
      en montrant que la lumière est la même,
      couverte ou nue.

      Pourtant la lumière dispose
      d'innombrables aspects
      et va les chercher dans l'abîme
      en une mystérieuse procession.
      Mais vient alors une parole,
      la plus frêle de toutes,
      la parole qui montre
      que la lumière aussi est une parole,
      le verbe dissous dans ses plus parfaites particules,
      le verbe converti en poudre d'image
      pour pouvoir expliquer la courbe du néant.

      Ou seulement peut-être l'éclairer.

Roberto Juarroz, Poésie verticale

 

      S'il n'y avait pas eu l'étoile, il n'y aurait pas d'œil. Cela, on en est presque sûr. La bouche du volcan est ouverte au-dessus des constructions de béton blanc, et l'on voit l'intérieur de l'espace brûlant. La lucarne du haut-fourneau est béante, comme cela, au-dessus de la tête, elle souffle son air embrasé. Flamme immobile et ronde, qui brûle sur place. Elle n'est pas loin. On ne peut pas la toucher, mais elle n'est pas loin. Les nuages qui traversent le ciel passent devant ce trou, mais ce n'est pas très loin. La lumière traverse l'air en pluie serrée, et les coques des voitures, et les plaques de ciment et de goudron étincellent. Peut-être que la lumière puise dans la terre, arrache les objets et les extirpe, les suce vers le haut, les fait envoler. La lumière est invisible, pourtant elle est là. Il y a tout le temps un éclair qui franchit l'espace, d'un bout à l'autre de la plate-forme d'alluvions, un éclair de blancheur invincible. L'éclair tue la blancheur. Il révèle les couleurs pendant quelques secondes, puis il les tue. Elles se carbonisent sur place, en se tordant, comme de la matière plastique dans le feu. Cette brûlure est terrible (...) Et l'étoile n'arrête pas. Elle continue à briller, à brûler, heure par heure, jour après jour, pendant des mois, des années, des siècles. 

JMG Le Clézio, Les géants

 

      Ci allait la retenir lorsqu'une déflagration les surprit. Il leva la tête. Au-dessus d'eux, des guirlandes de lumières scintillaient dans le ciel, s'éteignant et s'allumant. Des éclats verts et rouges éclairaient leurs visages dans d'incessantes explosions de lumière, tels des milliers de soleils naissant dans le firmament. 
     
Les feux d'artifice ! (Ci fut émerveillé par les bouquets fleuris qui brillaient dans le ciel.) ils sont magnifiques. (Il chercha la complicité d'Iris Bleu, mais trouva son regard absent, perdu dans la nuit.) 

Le lecteur de cadavres, d'Antonio Garrido

 

      En soufflant, il tâtonna le long de la cloison du corridor, jusqu'à la porte de sa fille, qui était près de la sienne, mais, horreur! C'est précisément là, précisément, à cette porte dans le couloir, à cette unique porte qu'un mince fil de lumière tremblait à travers la jointure et, par le trou de la serrure, se détachait un point blanc révélateur: à quatre heures du matin, elle avait encore de la lumière dans sa chambre, et, nouvelle preuve, voici que, justement, à l'intérieur de la chambre, le contact électrique craqua, le fil blanc de lumière disparut totalement dans le noir... 

Stefan Zweig, Destruction d'un cœur

 

      C'est là-haut en Écosse. Il n'y a que là où les nuits d'été sont si claires, que le ciel à l'éclat laiteux d'une opale et que la campagne n'est jamais sombre, que tout semble doucement éclairé de l'intérieur et que seules les ombres, pareilles à de gigantesques oiseaux noirs, s'abattent sur ces nappes de lumière. 

Stefan Zweig, Conte crépusculaire
(dans le recueil de nouvelles: Brûlant secret)

 

     Tout de suite après Pâques, je partis donc pour Naples, où je m'installais à Santa-Lucia, au bord de la mer. Les soirées au clair de lune étaient magnifiques, et quel effet de lumière sur un ciel sans fin! Dans les pays du Nord, la lune répand de l'argent, ici de l'or. Les torches des pêcheurs jetaient un reflet long comme une obélisque sur la surface de l'eau; on avait l'impression d'entrevoir poissons et plantes aquatiques se remuer au fond de la mer. Des milliers de lumières brûlaient devant les boutiques des commerçants; une procession d'enfants, cierges à la main, se dirigeait vers l'église Santa-Lucia, et sur tout cela le grand spectacle lumineux du Vésuve dont la flamme rouge comme du sang illuminait les nuages de fumée. 

Hans Christian Andersen, Le conte de ma vie

 

      Les voitures de police déboulèrent par Sunset East, les unes derrière les autres, gyrophares en action, comme une ligne bien nette de lumière. À l'intérieur du restaurant routier, plusieurs camionneurs dignes héritiers des conducteurs de diligences de jadis, perdirent tout intérêt pour leurs cheeseburgers et leurs bières. Ils regardaient, derrière les baies vitrées, ce qui se passait à l'autre bout du parking, tandis que les lumières rouges et bleues clignotaient à travers les arbres. 

Patricia Cornwell, La ville des frelons

 

      Comme la vie se prolonge tard dans la nuit à Naples, l'immense promenade était agitée par le brillant essaim des lanternes des voitures qui s'avançaient deux par deux, les unes à pas de tortue, les autres à vive allure sous l'alignement mince et statique de lumières électriques désignant le rivage. Et des myriades d'étoiles étaient suspendues au-dessus de la terre, des voix bourdonnantes, de l'amoncellement des maisons, du chatoiement des lumières et recouvraient les ombres étales et muettes de la mer. 

Joseph Conrad, Le Comte (éd. Andersen 2014)

 

      Moi qui éprouvais depuis l'enfance une mystérieuse fascination pour la lumière, j'avais à l'adolescence sérieusement rêvé de devenir astronome, allant jusqu'à installer sur la terrasse où l'on faisait sécher le linge un télescope qui me permettait d'observer sans me lasser le ciel étoilé. 
       Surtout après l'intensification de la guerre, l'obscurité de la ville dont tout éclairage était banni par le contrôle de la défense antiaérienne avait ravivé en moi mon adoration pour la lumière. En pleine nuit, protégé par un capuchon antiaérien, je levais les yeux vers le ciel nocturne semé d'étoiles, et des constellations émanait une lumière vive comme sur les encyclopédies montrant la position des étoiles. Les faisceaux des nombreux projecteurs vers le bas et le haut du ciel, ayant localisé un avion de reconnaissance ennemi en un point où ils se croisaient, se déplaçaient avec lui. Cela,dans mes yeux de garçon, se reflétait comme un poisson fantastique nageant dans le ciel étoilé, tandis que les éclairs des projectiles des canons antiaériens qui éclataient tout autour me faisaient penser aux lumières resplendissantes des feux d'artifice de mes souvenirs d'enfance. 
       Le fuselage des B29 semant leurs bombes incendiaires à basse altitude, chatoyant au-dessus du sol qui brûlait, et la couleur des flammes grandioses qui dévoraient la ville n'étaient pour moi rien d'autre qu'un des aspects magnifiques de la lumière. 
       Et c'est aussi grâce à la lumière que j'avais eu la sensation réelle de la paix. Une nuit, juste après la fin de la guerre, j'avais observé la ville depuis les hauteurs d'un cimetière. L'éclairage jaillissait comme une respiration des groupes de maison épargnées par les incendies. Les lampes paraissaient hésitantes, après ces longs mois de couvre-feu, mais la lumière des ampoules nues qui s'échappait des maisons faisait ressentir le souffle d'une vie de liberté. 
       Si je m'étais fait engager par une entreprise de fabrication de néons, c'était également à cause de cet intérêt inné pour la lumière. J'éprouvais une pleine satisfaction à jouer avec les éclairages de couleurs qui se déployaient, se reflétant sur le ciel nocturne, grâce à l'association des enseignes, des lampes colorées et des tubes au néon. Mais l'ironie veut que ces magnifiques lumières avaient fini par devenir pour moi une source de tourment. 

Akira Yoshimura, Le convoi de l'eau

 

C'est la fin de l'après-midi, cette heure que je préfère, quand le soleil est bas et la lumière horizontale sur les visages et les murs. Si je sortais sur la terrasse, je verrais la mer derrière les traits apaisés d'Inge. La mer aussi est calme en un jour comme celui-ci, très sombre sous l'horizon, dans une palette de tons qui varient du turquoise au bleu-noir, à l'instar des estampes japonaises. 

Jens Christian Grøndahl, Bruits du cœur

 

      Claude Gellée dit Le Lorrain dit: « S'il n'y a pas d'apparences de ce monde, on ne peut pas peindre des images de lui. On ne peut que peindre la lumière qui brûle ses formes. 
De quelle lumière parlez-vous? 
Je parle de la lumière qui l'éclaire. 
Et vous pensez que le soleil brûle la terre qu'il éclaire? 
Oui. 
Peut-être avez-vous raison. 
Je pense que la lumière du soleil est la seule chose belle puisqu'elle permet de découvrir toutes les choses. 

Pascal Quignard, Terrasse à Rome

 

Ma technique se résumait en deux points: je regardais les choses et barbouillais ensuite une toile. Et les influences? Que pouvais-je en dire? La lumière. J'en revenais toujours à la lumière, aussi bien dans les toiles que j'aimais regarder que dans celles que j'aimais peindre. Ce qu'elle provoquait à la surface des choses, ce qu'elle semblait suggérer sur ce qu'il y avait à l'intérieur, cherchant une voie pour apparaître. 

Stephen King, Duma Key

 

Le soleil de septembre versa une jaune lumière nette et rajeunie sur la mer, bleue au loin, verdie au bord par les sables immergés. 

Colette, Le blé en herbe

 

Céramiques de Mauricette Gobillard et Marie-Françoise Godey/ Atelier poterie du Centre social Saint Exupéry de Luxeuil

      Est-ce que la lampe est un ventre? 
      Est-ce que la lumière est ronde? 
      Est-ce qu'elle enferme et cache le monde, le lointain désirable, juste derrière la table lorsque minuit règne? 
      Est-ce que la lampe est un œuf à l'intérieur duquel je tourne, vire et cogne? 
      Est-ce que j'attends de naître? 

Françoise Ascal, Entre chair et terre 
(éd. Le Réalgar mars 2017)

 

                La lampe éteinte ouvre une nuit 
                Presque égale entre terre et ciel. 
                S'il pouvait y avoir là-bas une fenêtre 
                Par où je verrais ta lampe allumée 
                Ton ombre passer parfois devant elle 
                Ta main effacer entre nous le noir 
                Espace qu'un feu ne peut raccourcir ! 

François-René Daillie, Temps large

 

      Par chance il n'y avait personne d'autre dans cette partie du cimetière, en ce jour mélancolique de novembre. La couche de neige granuleuse, métallique, baignait les choses d'une lumière neutre, froide et pure, sans ombre. Le genre de lumière qui perce le cœur tant elle est froide, pure, neutre, clinique inhumaine. 

Joyce Carol Oates, Mudwoman

 

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