Moi, j'allais vers une sérieuse migraine, il reprit, de celles qui une
fois piquées ne vous lâchent plus; et chaque fois qu'on tourne les yeux
on croit perdre l'équilibre, c'est du fer qu'on vous roule dans la tête.
Ce n'est pas drôle, rétorqua Barbin, à ma mine de compatir. J'avais
demandé à la veuve de l'hôtel deux aspirines, dit Barbin, mais avec
l'habitude ce médicament ne fait plus rien, on dit médicament c'est de
la bibine tu ne crois pas. et il y avait cette comptine allemande,
j'avais lu ça et maintenant je le savais par coeur , elle ne sciait
l'os de crâne (Barbin y avait mis sa main pour me montrer: «Harponnée
là», il dit, en roulant ses gros yeux):
Traun trat, mennchin Krat,
Pfui, arg dick Weib, du Balg schalks Magd,
habt miche verjagt, Eidex euch in den Leib!
François
Bon, Calvaire des chiens
J'avais
une migraine affreuse, je ne pensais plus, je ne vivais pas. J'étais
indifférente à toutes choses.
George
Sand, Histoire de ma vie

La migraine prend à Madame quand elle veut, où elle veut, autant qu’elle
le veut. (...)
L'affection dont les ressources sont infinies pour les femmes, est
la migraine. Cette maladie, la plus facile de toutes à jouer, car elle
est sans aucun symptôme apparent, oblige à dire seulement :"J'ai la
migraine". (...)
Aussi la migraine est-elle, à notre avis,
la reine des maladies, l'arme la plus puissante et la plus plaisante
employée par les femmes.
Honoré
de Balzac, Physiologie du mariage
Mon corps ne m'existe à moi-même que sous deux formes courantes, la
migraine et la sensualité. Pourquoi, à la campagne, dans le Sud-Ouest,
ai-je des migraines plus fortes, plus nombreuses? Qu'est-ce que je
refoule? De quels dérèglements mes migraines sont-elles la trace?
Roland
Barthes
Matinée toute occupée à amadouer une forte migraine que j'ai traînée
tout le jour d'hier et qui ne m'a guère laissé dormir de la nuit.
De nouveau l'esprit disjoint, disloqué, mon organisme tout entier est
comme ces maisons trop sonores où du grenier l'on entend tout ce qui se
fabrique dans la cuisine.
André
Gide
Il faut un chaos pour accoucher d'une étoile.
Nietzche
Dans l'angle du sourcil sont blottis cinq diablotins suspendus à
l'extrémité d'une scie pour qu'elle s'enfonce plus avant dans la tête.
Alfred
de Vigny
«Ma
migraine me pourmenoit si rudement qu'à grand'peine j'ouvrois la
bouche...Je ne suis pas sorti de la maison parce que la migraine m'a
atrocement tourmenté pendant trois jours. Je suis resté tout le dimanche
sans rien prendre. Aujourd'hui, après cinq heures du soir, j'ai commencé
à manger...Depuis deux ans, je n'avais pas eu une si violente attaque de
migraine».
Jean
Calvin (4 octobre 1546)
Le
spécialiste vint avec sa trousse chargée de tous les rhumes de ses
clients, comme l'outre d'Eole. Il prétendait que migraine ou colique,
maladie du cœur ou diabète, c'est une maladie du nez mal comprise....
Marcel
Proust, Le côté de Guermantes
Mon mal de tête endormi s'est réveillé et je ne sais en vérité si je
devrais terminer cette lettre dans la position où je me trouve.
Victor
Hugo
La maison est dans un état pitoyable : depuis que l'on répare la salle
à manger, surtout, on a l'air d'habiter au milieu des ruines. J'ai pour
distraction la conversation des ouvriers, le père Senart qui ne me
paraît pas fort du tout, et l'illustre Migraine qui sort de mon cabinet
à l' instant. Il me tarde bien de m'en aller, et de bécoter tes bonnes
joues.
J'ai cet après-midi une migraine atroce avec des oppressions telles que
j'ai du mal à tenir à ma table.
Gustave
Flaubert, Correspondance
Comme elle ne pouvait atteindre sa tête avec ses mains, elle essaya de
baisser sa tête vers ses mains et découvrit avec plaisir que son cou se
pliait et se repliait de tous côtés comme s'il eût été un serpent.
Lewis
Carroll, Alice au pays des
merveilles
Je vais bien ce matin, sauf ma tête oh ma tête !
La douleur têtue ne veut rien lâcher,
pas même un bout ténu.
Du côté de l'oreille sa rage sourde
aboie,
chienne acariâtre à l'oeuvre :
la tuer, c'est ma mort.
Il me faut supporter cette hyène,
cette peste qui me fait hoqueter,
balbutier.
Des heures, des heures plus longues que les
jours ;
et ne me parlez pas des nuits !
Elle me lacère le cuir,
m'étrille la moindre pensée
depuis des années, des lustres. Après
toutes les ruses,
les scènes, les potions, les couteaux,
je n'ai plus qu'un seul remède :
―
rastati ! rastou ! rasta !
rasta ! rastati ! rastou !
Alain
Jean-André, Ma tête
A dix heures, nous étions revenus à bord du yacht et les deux hommes
radieux m'annoncèrent que notre pêche pesait onze kilos.
Mais j'allais payer ma nuit sans sommeil !
La migraine, l'horrible mal, la migraine qui torture comme aucun supplice
ne l'a pu faire, qui broie la tête, rend fou, égare les idées et
disperse la mémoire ainsi qu'une poussière au vent, la migraine m'avait
saisi, et je dus m'étendre dans ma couchette, un flacon d'éther sous les
narines.
Au bout de quelques minutes, je crus
entendre un murmure vague qui devint bientôt une espèce de
bourdonnement, et il me semblait que tout l'intérieur de mon corps
devenait léger, léger comme de l'air, qu'il se vaporisait.
Puis ce fut une sorte de torpeur de l'âme,
de bien-être somnolent, malgré les douleurs qui persistaient, mais qui
cessaient cependant d'être pénibles. C'était une de ces souffrances
qu'on consent à supporter, et non plus ces déchirements affreux contre
lesquels tout notre corps torturé proteste.
Bientôt l'étrange et charmante sensation
de vide que j'avais dans la poitrine s'étendit, gagna les membres qui
devinrent à leur tour légers, légers comme si la chair et les os se
fussent fondus et que la peau seule fût restée, la peau nécessaire pour
me faire percevoir la douceur de vivre, d'être couché dans ce
bien-être. Je m'aperçus alors que je ne souffrais plus. La douleur s'en
était allée, fondue aussi, évaporée. Et j'entendis des voix, quatre
voix, deux dialogues, sans rien comprendre des paroles. Tantôt ce
n'étaient que des sons indistincts, tantôt un mot me parvenait. Mais je
reconnus que c'étaient là simplement les bourdonnements accentués de
mes oreilles. Je ne dormais pas, je veillais, je comprenais, je sentais,
je raisonnais avec une netteté, une Profondeur, une puissance
extraordinaires, et une joie d'esprit, une ivresse étrange venue de ce
décuplement de mes facultés mentales.
Ce n'était pas du rêve comme avec du
haschich, ce n'étaient pas les visions un peu maladives de l'opium ;
c'étaient une acuité prodigieuse de raisonnement, une manière nouvelle
de voir, de juger, d'apprécier les choses et la vie, avec la certitude,
la conscience absolue que cette manière était la vraie.
Et la vieille image de l'Écriture m'est
revenue soudain à la pensée. Il me semblait que j'avais goûté à
l'arbre de science, que tous les mystères se dévoilaient, tant je me
trouvais sous l'empire d'une logique nouvelle, étrange, irréfutable. Et
des arguments, des raisonnements, des preuves me venaient en foule,
renversés immédiatement par une preuve, un raisonnement, un argument
plus forts. Ma tête était devenue le champ de lutte des idées. J'étais
un être supérieur, armé d'une intelligence invincible, et je goûtais
une jouissance prodigieuse à la constatation de ma puissance...
Cela dura longtemps, longtemps. Je
respirais toujours l'orifice de mon flacon d'éther. Soudain, je
m'aperçus qu'il était vide. Et la douleur recommença.
Pendant dix heures, je dus endurer ce
supplice contre lequel il n'est point de remèdes, puis je dormis, et le
lendemain, alerte comme après une convalescence, ayant écrit ces
quelques pages, je partis pour Saint-Raphaël.
Guy
de Maupassant, Sur l'eau