Le Café Littéraire  luxovien/  
Françoise Sagan, en quelques phrases...

 

 

      Dès le mois de mai, les près pliaient déjà sous l'été. L'herbe haute, amollie de chaleur, penchait, séchait et se rompait jusqu'au sol. Au-dessus du bassin, plus loin, des buées traînantes fumaient dans le soir; et la maison elle-même, avec sa façade rose et ridée, semblait, entre ses volets du haut refermés sur quelque secret, et ses portes-fenêtres du bas écarquillées sur quelque surprise, la maison semblait une vieille dame assoupie, au bord d'une congestion faite d'incertitudes.

 De guerre lasse

 

     Si les heures passent très vite à Longchamp, les années n'y entrent pas; on y vieillit de trois ans pendant une course mais on y prend plus une ride, ensuite, pendant quinze ans. De toute manière, les rides que l'on y recueille sont celles de l'excitation, de l'énervement, du désappointement, de l'enthousiasme et de l'exultation; mais ce ne sont pas des rides sérieuses; en tout cas pas celles, dévastatrices et déshonorantes, de l'ennui.

 La laisse

 

      L'excès, c'est un goût ou un sens. On le promène à travers la vie, et ce qu'on trouve délicieux à l'existence, c'est qu'elle offre toujours de nouveaux excès à faire.

 Figaro, 28 août 1987

 

      Elle aplatit les platanes au long des routes, elle allonge et distord les lettres lumineuses des postes à essence, la nuit, elle bâillonne les cris des pneus devenus muets d'attention tout à coup, elle décoiffe aussi les chagrins : on a beau être fou d'amour, en vain, on l'est moins à deux cents à l'heure.

 Avec mon meilleur souvenir

 

      Il y a des moments de bonheur parfait, quelquefois dans la solitude dont le souvenir, plus que celui de n'importe qui d'extérieur, peut, en cas de crise, vous sauver du désespoir. Car on sait qu'on a été heureux, seul et sans raison.

 La chamade

 

      Car, de même que la mémoire enregistre et grave les souvenirs d'enfance ou de jeunesse bien plus profondément que ceux de l'âge mûr, de même certains ascendants, certaines séductions, d'ordre physique ou moral, s'ils ont été subis à l'âge tendre, c'est-à-dire l'âge ingrat, continuent, trente ans après, à exercer leur pouvoir. Peut-être parce que, ce que l'on aime vraiment à ces jeunes âges malheureux, c'est l'inaccessible (...)

 Des bleus à l'âme

 

      Ce livre [La laisse] est idéal pour prendre le train ? formule que l'on trouve généralement insultante pour un auteur si on ne considère pas, comme moi, que le train, les banquettes, la solitude rythmée des roues sur les rails sont autant d'atouts pour découvrir un livre et s'y abandonner.

 Derrière l'épaule

 

      Une lumière qui coiffait les blés de ce tableau, les rejetait et les lissait tous du même côté. Comme elle avait crêpé les cimes des arbres, au garde-à-vous à présent sous leur crinière laquée ; comme elle avait arrêté et corrompu à coups d'éclat et d'argent une rivière pourtant pressée vers la mer ; on avait l'impression que c'était la lumière qui avait tracé ce paysage innocent et cru, juste avant que Pissarro n'arrive, et ne le recrée tel qu'il était : immobile. Dans une immobilité aussi fausse et attirante que cette éternité qu'il semblait à la fois représenter et promettre... J'avais adoré beaucoup de tableaux dans ma vie, souvent plus subtils, plus compliqués ou plus fous que celui-là, mais ce que j'y aimais, c'était qu'il me donnait l'image du bonheur et surtout qu'il était accessible.

 La laisse

 

      Elle avait eu, à un moment ou un autre, l'occasion d'y croire, ou, sinon l'occasion, du moins le vif désir ; et en fin de compte, cela ressemble beaucoup, presque à s'y méprendre, à la vie vécue : la vie rêvée.

 Des bleus à l'âme

 

      Elle finit, dans cet appartement désert, à force de démarches incertaines et indifférentes, par trouver un miroir et par s'y regarder. Il fallait, évidemment, qu'elle se remît du fond de teint, du noir aux cils, du rouge aux lèvres et qu'elle ranimât ainsi, d'une manière factice, la seule vérité qu'elle sentait en elle et qui était son squelette.

 Des bleus à l'âme

 

      Certains parfums sont mélancoliques, menaçants, d'une métaphysique agressivité, telle l'odeur des feux de bois à l'automne, le plus classique...
" Tiens, encore un été de passé, un hiver à venir ''... et le corps tremble de cette succession lente, inexorable, des saisons, et du peu de feux de bois qu'il lui reste à humer.

Françoise Sagan et Guillaume Hanoteau, Il est des parfums...

 

      Ma vérité, si on admet qu'un être humain puisse vivre une vérité claire et durable, ma vérité se trouve sans doute dans mes livres, aussi primaires qu'ils paraissent être parfois à ma sensibilité ou à mon intelligence initiale. Écrire, ce n'est pas se révéler, c'est projeter de soi-même l'image que l'on voudrait voir retenue par les autres, une image essentielle à découvrir pour chacun.

 Derrière l'épaule

 

      L'opinion des autres (...) c'est une sorte d'écume aussi vaine que celle qui s'amuse avec les rochers et ce n'est pas cela qui vous use. Ce qui vous use, c'est la vague : et la vague, c'est le reflet de soi-même mille fois affronté abruptement dans quelque glace, et ce reflet est mille fois plus pur, mille fois plus dur que celui qui traîne, trop souvent attendri, dans le regard de ces fameux autres.

 Des bleus à l'âme

 

      J'avais le temps de tout, je n'avais plus le temps de rien. Ce n'était pas mal.
      Au fond, la seule idole, le seul Dieu que je respecte étant le temps, il est bien évident que je ne peux me faire plaisir ou mal profondément que par rapport à lui. Je savais que ce peuplier durerait plus que moi, que ce foin, en revanche, serait fané avant moi ; je savais que l'on m'attendait à la maison et aussi que j'aurais pu rester facilement une heure sous cet arbre. Je savais que toute hâte de ma part serait aussi imbécile que toute lenteur. Et cela pour la vie. Je savais tout. En sachant que cette science n'était rien. Rien qu'un moment privilégié.

Des bleus à l'âme

 

      Elle haïssait ses dimanches de femme seule : les livres lus au lit, le plus tard possible, un cinéma encombré, peut-être un cocktail avec quelqu'un ou un dîner, et, enfin, au retour, ce lit défait, cette impression de n'avoir pas vécu une seconde depuis le matin.

Un certain sourire

 

      De toute façon, à trente-cinq ans, on a forcément raté quelque chose. Une histoire d'amour, une idée de soi-même. Après, ça va en s'accélérant.

 Un piano dans l 'herbe

 

 

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