Le Café Littéraire / Le Voyage

 

 

      Je ne suis jamais allée en Amérique, et avec ma peur de l'avion, cela ne risque pas d'arriver. On ne peut plus y aller en bateau. Et puis, à quoi bon? Les médias débordent d'images d'Amérique, ça me suffit amplement. Georg n'a jamais compris pourquoi je n'avais pas envie de voyager. (...) Qu'espère-t-on en tirer? Les monuments sont toujours plus beaux en photo, et si on se contente des photos, on évite le risque du mauvais temps où le problème de trouver un endroit où faire pipi. Sinon, le quotidien à l'étranger présente une ressemblance décevante avec celui de la maison, dès que l'on gratte un peu la surface exotique. 

Jens Christian Grøndahl, Quelle n'est pas ma joie

 

Il a trop voyagé, moi pas assez. Moi, je n'ai de nomade que l'esprit. Je vais gaiement à la suite de Renaud, puisque je l'adore. Mais j'aime les courses qui ont une fin. Lui, amoureux du voyage pour le voyage, il se lève joyeux sous un ciel étranger, en songeant qu'aujourd'hui il partira encore. Il aspire aux montagnes de ce pays proche, à l'âpre vin de cet autre, au factice agrément de cette ville d'eaux peignée et fleurie, à la solitude de ce hameau perché. Et il s'en va, ne regrettant ni le hameau, ni les fleurs, ni le vin puissant... 

Colette et Willy, Claudine en ménage

 

      Comme le génie, les voyages sont un don des dieux. Mille circonstances diverses les préparent en secret, et quoi que l'on en pense, il est rare qu'ils soient entièrement le fait de notre volonté. Ils surgissent spontanément des plus profondes exigences de notre nature - et les plus profitables ne nous conduisent pas seulement à découvrir de nouveaux lieux, mais aussi de nouvelles richesses intérieures. Le voyage peut être une des formes les plus bénéfiques de l'introspection.

Lawrence Durrell, Citrons acides

 

      Une des dispositions constantes de l'homme est de souhaiter être ailleurs que là où il est.

Jacques Réda

 

      ― On part ?
      On part.
      Maud ne pose pas de questions, elle est prête. On interrompt les contacts, on ferme, on boucle, on roule, on disparaît, passage de la frontière, pluie et soleil, ouverture de la maison, respire, maintenant, respire. Ecoute, regarde, sens, touche, bois, respire. Je saurai plus tard où aller. Je te dirai.

Philippe Sollers, L'Étoile des amants

      Un voyage devrait permettre d'apprendre qui sont les autres, d'où ils viennent, afin de savoir qui nous sommes et pourquoi nous sommes ainsi. Colin Thubron, dont je continue de lire le magnifique voyage, En Sibérie, écrit cela d'une autre façon. Il dit: «Un voyageur a besoin d'attacher du sens au lieu où il se trouve et, ainsi, d'en donner à sa propre personne». 

Philippe B. Tristan, Carnets de Sibérie

 

      Ce qui importe, ce n'est pas le voyage, c'est celui avec lequel on voyage.

Jean-Luc Gendry, Ne m'embrassez pas,
ce serait trop grave


      On ne juge pas les livres de voyages comme les autres ouvrages. Ils peuvent en effet être lus de deux façons différentes: par un lecteur curieux et par celui qui cherche à vérifier certains points. Le lecteur curieux veut aller dans un pays étranger en se laissant peut-être simplement emporter sur la barque aérienne de l'imagination tirée par les rêves, il ne sait rien et on peut tout lui raconter, on peut lui représenter des paysages et des temples de pierre, des fantaisies colorées, dépeindre des gens d'ailleurs, il veut uniquement qu'on lui montre quelque chose de possible et de beau, et non la réalité. Tout autre en revanche est le regard de celui qui, rentré chez lui, voudrait retrouver son expérience dans le livre et le livre dans son expérience, qui en quelque sorte se confronte à l'auteur et tente de percer le caractère étranger. Seuls les livres de voyages capables de passer avec succès la double épreuve : enflammer d'abord l'imagination, puis satisfaire après coup à la véracité, peuvent nous être précieux.

Stefan Zweig, Voyages


      Ce qu'il y a de meilleur à l'étranger, ce sont les compatriotes qu'on y rencontre.

Paul-Jean Toulet, Journal et voyages

      Voyager, c'est demander d'un coup à la distance ce que le temps ne pourrait nous donner que peu à peu.

Paul Morand

 

      La plus grande aventure, c'est de voir surgir quelque chose d'inconnu, chaque jour, dans le même visage. C'est plus grand que tous les voyages autour du monde.

Alberto Giacometti

 

      Si jamais je ne fus voyageur, si je le suis moins que jamais en ce soir de ma vie, c'est que comme tous les hommes qui ont reçu la grâce de vivre durant leurs vacances loin des villes, et dont la maison est bâtie sur une colline, j'ai à ma porte ces jeux de la lumière et du brouillard, et que je préfère à tout. Que trouverais-je ailleurs ? Il n'est pour chacun de nous qu'un endroit du monde où nous ayons part au secret du monde. Le pittoresque n'existe pas. Si nous ne sommes que des spectateurs d'un paysage étranger, si illustre soit-il, il ne nous apporte rien, hors la fatigue et le sentiment du temps perdu.
      Nierais-je pourtant les plaisirs du voyage ? Ils tiennent pour les jeunes gens dans la joie physique du mouvement, sous quelque mode que ce soit. Mais ces plaisirs n'ont rien à voir avec la possession du monde dont le mystère ne s'accomplit qu'en un lieu familier où la terre nous connaît et où nous connaissons la terre.
      Au vrai, que de voyageurs, s'ils étaient sincères, conviendraient qu'ils se moquent bien des paysages ! Ce sont des créatures qu'ils cherchent. Chasseurs en quête du gibier qu'ils aiment et qui ne se trouve aisément que dans un certain climat, sous un certain ciel. D'autres, mais ceux-là sont peu nombreux, c'est Dieu qu'ils vont traquer au désert, et l'endroit de la planète qu'ils chérissent, c'est le plus désolé et le plus nu : là où plus rien ne subsiste que la lumière entre le ciel et eux. Ainsi Charles de Foucauld…
      Pour moi, j'ai toujours su que ce qui ne m'était pas familier me demeurait impénétrable. Je ne me rappelle presque rien des pays que j'ai visités. Je ne connais rien du monde que par un contact qui s'est établi au cours de toute ma vie, et surtout je ne possède rien de la terre que dans la solitude.

François Mauriac, Nouveaux Mémoires intérieurs

      Les voyages, ça sert surtout à embêter les autres une fois qu'on est revenu!

Sacha Guitry, Le petit carnet rouge


      Quand on ne voyage qu'en passant, on prend les abus pour les lois du pays.

Voltaire

 

      Pour bien aimer un pays, il faut le manger, le boire, et l'entendre chanter.

Michel Déon


      En route pour l'Inde !
      Luttes de maints capitaines, récits de tant de marins morts maintenant,
      Ils viennent, furtifs, et se répandent dans mon esprit,
      Comme des nuages grands ou petits dans le ciel inviolé.

      Tout au long de l'histoire, descendant les pentes,
      Tel un ruisselet qui coule et tantôt s'enfonce, tantôt reparaît à la surface,
      Une pensée incessante, une chaîne d'idées variées
regarde, mon âme,
pour toi, pour que tu les voies, ils reparaissent,
      Les projets, les traversées, les expéditions ;
      De nouveau Vasco de Gama met à la voile,
      De nouveau les connaissances s'enrichissent, la boussole,
      On découvre des terres, des nations naissent, tu nais, Ô Amérique,
      Pour de vastes desseins, le long noviciat de l'homme est terminé,
      Rondeur du globe, tu es enfin un fait accompli.

Walt Whitman, Feuilles d'herbe

 

      Parmi les voyageurs, on distinguera cinq degrés: ceux du premier degré, le plus bas, sont les gens qui voyagent et sont vus ce faisant, —ils sont proprement menés en voyage, comme aveugles; les suivants voient réellement le monde eux-mêmes; les troisièmes tirent de leur vision quelques expérience vécue; les quatrièmes assimilent le vécu de façon vivante et l'emportent avec eux; enfin, il y a quelques personnes d'énergie supérieure qui doivent nécessairement, après l'avoir vécu et assimilé, revivre pour finir tout ce qu'elles ont vu en le projetant au-dehors, en actes et en œuvres, dès qu'elles sont revenues chez-elles.

Nietzche.

 

      Un voyageur en général, c’est quelqu’un qui va au bout du monde pour un bout de conversation.

Barbey d’Aurevilly.

 

      Hélas, les voyageurs n’ont ordinairement pour observer que les lunettes qu’ils ont apportées de leur pays et négligent entièrement le soin d’en faire retailler les verres dans les pays où ils vont.

Potocki, Le manuscrit trouvé à Saragosse

                                                                                                       sailboat.gif - 18382 Bytes«Les voyages sont ceux faits sur la mer avec les bateaux, pas avec les trains. L'horizon doit être vide et doit détacher le ciel de l'eau. Il ne doit rien y avoir tout autour et l'immense doit peser au-dessus, alors c'est le voyage. Certains pleuraient, malgré la misère qui les forçait, la perte qui les tourmentait. À part un petit nombre et les pires, nul n'avait l'esprit d'aventure. L'argent du billet avait été pris sur les économies de plusieurs familles. C'était leur investissement sur l'avenir. Ils seraient remboursés par la réussite de leur parent. La tâche écrasante, l'obligation de faire fortune, effrayait comme l'étendue de la mer. À ceux qui pleuraient, je disais que cette eau salée irait grossir l'océan. Le voyage devait servir à oublier le point de départ. Il durait presque un mois et à la fin débarquaient des hommes prêts, le nez en l'air.»

 Erri De Luca, Le jour avant le bonheur

 

      Je crois que l’on en apprend plus sur un pays en lisant, et en particulier en lisant ses romans, qu’en le visitant.

Anthomy Burgess, Hommage à QwertYuiop.

 

       Les voyageurs sont sujets à mentir. (Bescherelle)
Au mieux, on raconte, au pire, on écrit. Ce qui veut dire qu’on ment. (Pierre Masson) …et l’expression " emmener en bateau " associe inconsciemment le voyage, la fraude et la fabulation…

Jacques Meunier, On dirait des îles.

 

      Mais que cherchent-t-elles nos âmes, à voyager ainsi
      Sur les ponts de bateaux délabrés,
      Entassées parmi des femmes blêmes et des enfants qui pleurent
      Que ne peuvent distraire ni les poissons volants
      Ni les étoiles que les mâts désignent de leur pointe ?

Georges Séféris.

      Je réponds ordinairement à ceux qui me demandent raison de mes voyages: que je sais bien ce que je fuis, mais non pas ce que je cherche.

Michel de Montaigne,Essais.

 

      Ces robustes navires, à l’air désœuvré et nostalgique, ne nous disent-ils pas dans une langue muette : quand partons-nous pour le bonheur ?

Charles Baudelaire, Le Spleen de Paris.

 

      Un voyage se passe de motifs. Il ne tarde pas à prouver qu’il se suffit à lui-même.

Nicolas Bouvier, L"Usage du monde.

 

      Le voyage est une espèce de porte par où l’on sort de la réalité comme pour pénétrer dans une réalité qui semble un rêve.

Guy de Maupassant.

 

      Plus loin que la route, c’est les arbres… Plus loin encore, c’est les pays inconnus… Et puis rien du tout.

Louis-Ferdinand Céline.

 

      Toute question et toute incertitude sont portées à l’extrême lorsque délaissant les parties dessinées de cette carte… on s’aventure dans ses zones laissées en blanc.

Victor Segalen, Equipée.

 

      Peut-être l’idée est-elle d’aller aussi loin que possible – jusqu’au bout de soi-même – jusqu’à un territoire où le temps se convertit en espace, où les choses apparaissent dans toute leur nudité et où le vent souffle, anonyme.

Kenneth White, La route du bleu.

 

      Ce que je désire, c’est un coin de moi-même encore inconnu.

Paul Gauguin.

 

      J’ai pleuré, sangloté à la vue de ce pays étrange.

Empédocle.

 

      Nous avons fait ce voyage pour trouver notre vie.

Chant Iroquois.

 

      J’ai parfois l’impression de vagabonder autour du monde dans le seul but d’accumuler le matériau de futures nostalgies.

Victor Seth.

 

      Quand à moi, je voyage non pour aller quelque part, mais pour marcher. Je voyage pour le plaisir de voyager. L’important est de bouger, d’éprouver de plus près les nécessités et les embarras de la vie, de quitter le lit douillet de la civilisation, de sentir sous mes pieds le granit terrestre et les silex épars avec leurs coupants.

Robert Louis Stevenson

 

     Mais oui, Antonello. Tu es de la race des nomades. Tu crois qu'il y a toujours quelque chose de bon à découvrir au hasard des chemins et tu as raison. Arrivé au terme, tu auras vécu plusieurs vies alors que nous aurons consumé la nôtre dans un confort sans surprise.

Jean Diwo, Au temps où la Joconde parlait.

 

      …aux voyageurs les femmes leur sont interdites. Elles ne courent pas les routes. Ils couchent parfois avec celles qu’ils trouvent à portée de leurs mains, troublées par chance (...) mais elles ne les suivent pas, elles sont trop absorbées dans leurs travaux éternels.

Paul Nizan, Aden Arabie.

 

      Je sais d’expérience, que courir le monde ne sert qu’à tuer le temps. On revient aussi insatisfait qu’on est parti. Il faut faire quelque chose de plus.

Ella Maillart.

 

      …voyager est un des plus tristes plaisirs de la vie; entendre parler un langage que vous comprenez à peine, voir des visages sans relation avec votre passé ou votre avenir, c’est de l’isolement sans repos et sans dignité.

Madame de Staël.

 

      Le voyage n’est nécessaire qu’aux imaginations courtes.

Colette.

 

      Il est bon de voyager quelques fois ; cela étend les idées et rabat l’amour propre.

Sainte-Beuve.

 

      On croit qu’on va faire un voyage, mais bientôt c’est le voyage qui vous fait, ou vous défait.

Nicolas Bouvier L"Usage du monde.

 

      Aller au loin et revenir au pays est une chose très importante. Celui qui part n’est pas le même que celui qui revient.

Jacques Meunier, On dirait des îles.

 

      Le monde est une barque, la vie est un voyage, c’est seulement le but qui compte. Et le but n’est pas la barque. Voyager ne saurait être un but, sinon pour quelques êtres frivoles. Nous devons nous en aller pour revenir en nous-mêmes, aux sources mêmes de notre création.

Alain Gerber, Le Jade et l’Obsidienne.

 

      Le voyage: ce n'est pas toujours de pays en pays qu'il s'accomplit. La transhumance a lieu parfois dans le silence et l'immobilité du corps ― un peu comme sur la route, quand il arrive que l'esprit s'envole à l'infini à la vitesse de la lumière. Quand on retombe sur terre, quelques secondes après semble-t-il, trente kilomètres ont passé, on ne reconnaît plus le paysage. Le temps de lever les yeux, tout a changé, on se demande comment. Un grand quart d'heure, en fait, pendant lequel l'œil extérieur est resté vigilant, le cerveau a fonctionné en toute indépendance. Tandis que l'âme voyageait, les pieds, les mains ont fait ce qu'il fallait... Ainsi soudain s'aperçoit-on d'une modification profonde: on n'est plus là où l'on était, plus ce qu'on croyait être.

François-René Daillie, Le Cabalaire

 

      Avant, je rêvais de partir et revenais toujours. Je pars sans bouger à présent, et il n’y a pas de retour. On ne part pas, écrivait Rimbaud, ce qui pourrait aussi s’entendre par : on ne cesse de partir, et les vrais voyages ne sont pas ceux qu’on croit.(…)
      Au fond, les vrais voyages sont immobiles. Immobiles et infinis. Solitaires. Silencieux.

Guy Goffette, Partance et autres lieux

 

      « Depuis cette fin décembre 1938, je ne suis plus jamais repartie, sauf peut-être en imagination, et je ne repartirai plus. Israël n'a rien d'extraordinaire, ce n'est pas ça, c'est parce qu'aujourd'hui je trouve que les voyages sont une stupidité: le seul voyage dont on ne revient pas toujours les mains vides est intérieur, là, il n'y a ni frontières ni douanes, et on peut même atteindre les planètes les plus lointaines. On peut aussi flâner dans des endroits qui n'existent plus, rendre visite à des gens qui ne sont plus. On pourrait d'ailleurs se rendre dans des lieux qui n'existent pas et ne pourraient jamais exister, mais où l'on est bien. Ou, du moins, pas mal.» 

Amos Oz, Une histoire d'amour et de ténèbres

 

Il est de bon ton aujourd'hui de louer les vertus de l'errance. Nombre de voyageurs, adeptes des détours, nous servent leur soupe: «Il faut savoir se perdre pour se retrouver», disent-ils. «Le chemin vaut mieux que la destination», ajoutent les plus confucéens. «Il faut lâcher prise», concluent ceux qui ne pratiquent pas l'escalade. Question voyage, Goisque et moi ne nous sentions pas du tout promeneur. Nous n'étions pas des professionnels de la flânerie ni des chemins de traverse.
      Nous nous situions plutôt du côté de la thèse de Tolstoï. Le vieux prophète écrivait dans La Guerre et la Paix: «Lorsqu'un homme se trouve en mouvement, il donne toujours un but à ce mouvement. Afin de parcourir mille verstes, il doit pouvoir penser qu'il trouvera quelque chose de bon au bout de ces mille verstes. L'espoir d'une terre promise est nécessaire pour lui donner la force d'avancer.»

Sylvain Tesson, Berezina

 

Je savais que le véritable voyage se fait au retour, quand il inonde les jours d'après au point de donner cette sensation prolongée d'égarement d'un temps dans un autre, d'un espace à un autre. Les images se superposent, secrète alchimie, profondeur de champ où nos ombres semblent plus vraies que nous-mêmes. Là est la vérité du voyage.

Michèle Lesbre, Le canapé rouge

 

 

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