Le Café Littéraire luxovien /  cures

 

Au bout de deux heures, ils arrivèrent dans une petite ville d'eaux où ils avaient passé quelques jours ensemble cinq ou six ans plus tôt. Ils voulaient s'y arrêter pour la nuit. Ils garèrent la voiture sur la place et descendirent. Rien n'avait changé. En face se trouvaient l'hôtel où ils avaient habité cette année-là, et le vieux tilleul devant l'entrée. À gauche de l'hôtel s'étendaient d'anciennes arcades en bois et, à l'extrémité, l'eau d'une source ruisselait dans une vasque de marbre. Des gens s'y penchaient, comme autrefois, avec leur verre à la main. 

Milan Kundera , L'insoutenable légèreté de l'être

 

À une centaine de mètres, une fontaine laissait couler un filet d'eau. (...)
       Dans cette eau-là, des milliers de gens avaient dû venir tremper leurs malheurs, réclamer des soins, réclamer des amours, réclamer des enfants, ourdir des vengeances. Après des siècles, ça fait de l'eau très chargée. Louis avait toujours aimé les fontaines miraculeuses. Il pensa brièvement y tremper son genou. Encore que rien n'assurait que cette fontaine était miraculeuse. Mais en Bretagne et près d'un calvaire, c'était évident, faut pas prendre les gens pour des cons, le dernier des imbéciles sait reconnaître une fontaine miraculeuse quand c'en est une. Le lieu était beau et Louis s'y plut. 

Fred Vargas, Un peu plus loin sur la droite

 

« Les eaux! avait fini par conseiller le docteur Prilépine, à court de décoctions. Mais quand je dis "les eaux", je ne parle pas des mornes eaux de source, des puantes eaux souffres, des brunes eaux tourbeuses. Je parle des eaux vivantes et vivifiantes de l'océan.(...)» 
       Le calme semblait s'être installé. Dans la grande maison de Saint-Germain-en-Laye, on parlait du miracle prochain des bains de mer et Rose avait prié, sans grand entrain
car elle craignait les déceptions pour qu'il s'accomplît. Elles avaient pris le train pour Deauville. 

Agnès Desarthe, Ce cœur changeant

 

Une semaine plus tard, son frère ayant reçu l'ordre de se rendre dans le fort lointain de Stari-Yourt pour escorter un convoi de blessés, il l'y suivit. Il y demeura plusieurs semaines, paressant, fumant la pipe ou dormant sous la tente. Le site lui plaisait davantage. Les sources thermales régionales grondaient, couronnées d'une valeur blanche. Sur le torrent principal, il y avait trois moulins où venaient les lavandières. Toujours remuantes, elles foulaient, battaient, frottaient le linge avec les pieds. Ce tableau le subjuguait car ces femmes, disait-il, étaient «toutes belles et bien faites». 

(...)

Des distractions de la petite ville d'eaux promenades sur les boulevards à l'heure de la musique, papotages dans les pâtisseries, représentations des troupes de passage, pique-niques, cavalcades Léon se tint à l'écart. Cette vaine agitation prenait à ses yeux un caractère de parodie. Tout ce qu'il détestait maintenant, la vie mondaine, «trouvait là sa caricature». Il préférait profiter des eaux, tout en buvant encore de l'alcool, et se posait l'éternelle question: «Suis-je devenu meilleur?» 
      (...) 
      Après un mois et demi de repos à la station thermale, le seigneur, suivi de son serf revenu à la santé, et de son chien Boulka, se rendit dans une autre station, à Geleznovodsk. Après les eaux sulfureuses, les eaux ferrugineuses. 
      «Je me suis baigné, ai bu... Bu, baigné... Baigné, bu... Mal aux dents, mal dans les jambes. J'ai vu mourir des corps, donc je suppose que mon corps mourra aussi; mais rien ne prouvant que l'âme meure, je dis qu'elle est immortelle...» 

Vladimir Fédorovski, Le roman de Tolstoï

 

En 1950, les médecins lui prescrivirent une cure. Ils lui conseillaient d'aller sur le Continent, aux thermes les plus renommés où beaucoup de gens avaient guéri. (...) 
      Les thermes se trouvaient dans un endroit dépourvu de tout charme et de soleil; dans l'autobus qui l'emmenait de la gare à l'hôtel, on ne voyait que des collines couleur de terre et quelques touffes d'herbe haute autour d'arbres spectraux et dans le car aussi, tout le monde lui sembla malade et sans couleur. 
      (...) 
      Un soir, le Rescapé passa devant la table de grand-mère et sembla hésiter à prendre place, alors elle enleva son manteau et son sac pour libérer un siège à côté d'elle, il s'assit, ils se sourirent en se regardant dans les yeux et ce soir-là ils restèrent sans manger ni boire. Le Rescapé souffrait du même mal qu'elle et ses reins aussi étaient pleins de calculs. 
      (...) 
      D'ailleurs grand-mère disait toujours que sa vie se partageait en deux: avant et après sa cure, comme si l'eau grâce à laquelle elle avait éliminé ses calculs s'était révélée miraculeuse à tous les niveaux. 

Milena Agus, Mal de pierres

 

À Aix-les-bains, la ville d'eau préférée de Walter entre toutes celles de l'Europe, les choses allaient mieux. L'hôtel Bernasçon, perché sur la colline d'où il domine la ville et la vallée, donnait l'impression qu'il y avait deux villes, la haute et la basse, et pourtant la population peu nombreuse ne permettait nullement de s'isoler comme à Paris. Mais la jolie station française, à proximité des premiers sommets des Alpes, semblait, dès qu'on avait mis le pied sur son sol bienfaisant, réduire au minimum craintes, menaces et nervosités, fausse sécurité pourtant, parce que, bien plus qu'à Paris, Nice ou New York, toute la vie se concentrait au casino, dans les établissements de bains et le parc où se trouvent les sources que l'on boit. 
      
Aix-les-Bains, répétait volontiers Walter, me repose corps et âme: c'est une ville assez calme pour qu'on ne s'enfonce pas les ongles dans les paumes, pas assez pour vous donner le cafard. 

Fanny Hurst, Back street

 

J'avais toujours aimé les jardins : ceux des villes d'eaux comme celle où j'étais né avec leurs parterres souvent trop fleuris et trop dessinés et les bancs sur lesquels les vieilles dames en cure tuent le temps d'ennui qui leur reste.

Patrick Samuel, L'errance du sanglier

 

      Le repos n'est chez lui qu'épisodique, le bonheur n'est qu'éphémère. Tantôt il est à Lugano, tantôt à Naumburg, à Algula, puisa Bayreuth, à Lucerne, à Steinabad, à Chillon, à Sorrente; et il se dit que les bains de Bad Ragaz pourraient calmer son moi douloureux, qu'il pourrait bien être touché par la grâce des eaux salutaires de Saint-Moritz, des sources de Baden-Baden, puis le voilà encore à Interlaken, à Genève, aux thermes de Wiesen. L'espace d'un instant il croit découvrir dans l'Engadine des affinités avec lui-même, il se voit libéré; et puis non, il lui faut à nouveau une ville du Sud, Venise ou Gênes, Menton ou Nice, il tente, brièvement, sa chance à Marienbad, tantôt l'attirent les forêts, tantôt c'est un ciel serein, d'autres fois il estime que la tranquillité peut seulement lui venir d'une petite ville riante où l'on fait bonne chère. 

Stefan Zweig, Nietzsche et l'ami 
(dans le recueil "Hommes et destins")

 

    À Budapest, les Volotinen oublièrent vite les fatigues du voyage lorsqu'ils se furent installés au fameux hôtel thermal Gellért, situé au pied d'un pont sur le Danube. C'était un établissement bien tenu et riche de traditions, l'un des plus beaux du bloc de l'Est. Dans ses thermes, on pouvait croiser de nombreuses célébrités telles que l'haltérophile hongrois György Regez, qui était, dans sa catégorie, l'homme le plus fort du monde, ou János Kádár en personne, que l'on surnommait ironiquement la Lumière de la Hongrie, tout en espérant, pour beaucoup, qu'elle s'éteigne. 

Arto Paasilinna, Le dentier du maréchal,
madame Volotinen et autres curiosités

 

      ...je me rappelle que le soir, nous sommes restés jusqu'à une heure tardive assis tous deux près de la fenêtre ouverte et que Marie m'a raconté mille choses sur l'histoire de la balnéothérapie, le déboisement de la cuvette autour des sources au début du XIXe siècle, les premières habitations et auberges néoclassiques édifiées anarchiquement sur les pentes et l'essor que très vite tout cela avait pris. Les maîtres d'oeuvre, maçons, peintres, plombiers et serruriers, plâtriers et stucateurs venaient de Prague, de Vienne et de toutes les contrées de l'empire, beaucoup même de Vénétie. Un jardinier de la cour du prince Lobkowitz entreprit de transformer la forêt en un parc à l'anglaise, il planta des arbres indigènes et rares, aménagea des pelouses agrémentées de nombreuses haies, des allées, tonnelles, et belvédères. Des hôtels de plus en plus fiers sortirent du sol, et des casinos, des établissements de bains, des cabinets de lecture, une salle de concert et un théâtre où bientôt se produisirent les coryphées des arts les plus divers. En 1873 fut érigée la grande colonnade de fonte et désormais Marienbad compta au nombre des stations les plus mondaines d'Europe. Parlant des eaux minérales et particulièrement des sources d'Auschowiz et là, dit Austerlitz, avec son art du comique et de la dérision qui lui est propre, elle déballa devant moi toute la palette des termes à la disposition du diagnostic médical ―, Marie me révéla que les cures étaient expressément recommandées pour des maux à l'époque très répandus dans les milieux bourgeois, obésité, troubles de l'estomac, paresse intestinale et autres embarras du bas-ventre, menstruations irrégulières, indurations hépatiques, dysfonctionnement biliaire, crises de goutte, hypocondrie splénique, maladies des reins, de la vessie, de l'appareil urinaire, adénomes et lésions de type scrofuleux, mais aussi faiblesses des systèmes nerveux et musculaires, asthénie, tremblement des membres, paralysies, écoulements de mucosités et de sang, éruptions cutanées chroniques et encore presque toutes les affections possibles et imaginables.

W.G.Sebald, Austerlitz

 

      Situés à trois kilomètres à l'est de la ville, à l'orée de la forêt de Raisme, le casino et l'établissement thermal, après un bref passage à vide, connaissaient une activité de pleine saison. L'inaction faisait des douches, bains et massages une diversion dont profitaient officiers, sous-officiers et hommes de troupe. Édouard qui souffrait de douleurs dans les reins accepta pour la première fois à la faveur de la "drôle de guerre" de se soigner. Après avoir tâté des douches d'eau minérale radio-active qui jaillissait à 26°, il se décida à l'approche des premiers froids à faire l'expérience des bains de boue devant laquelle il avait reculé jusque-là. 
      Il mettait son hésitation sur le compte de une répugnance bien naturelle en face de cette plongée dans une matière semi-liquide, limoneuse et chargée de maléfices chimiques. L'expérience lui apprit qu'il s'agissait de tout autre chose, d'une signification et d'une profondeur beaucoup plus inquiétantes. (...) Bien qu'il fut peu enclin à la méditation philosophique, Édouard se sentit tomber pendant les longues minutes solitaires du bain de boue dans une rumination funèbre à laquelle les vapeurs méphitiques prêtaient un tour infernal. 

Michel Tournier, Les météores

 

      Ville d'eaux, Söderköping cultivait cette vocation unique jusqu'à l'intolérable. Non seulement elle possédait plusieurs sources diversement thérapeutiques, mais elle était encore traversée par un canal compliqué de bras qui la morcelaient en une collection d'îles minuscules. Faut-il dire enfin qu'il semblait y pleuvoir plus abondamment que nulle part ailleurs en Suède et que ma prime jeunesse, gorgée de tant d'humidité, dans cette «petite Venise scandinave», m'apparaît rétrospectivement comme le pardessus trempé qu'on dépouille avec des gestes de dégoût, sitôt qu'on est mis à l'abri, sans savoir où l'accrocher, parce qu'il ruisselle, doutant au fond qu'il sèche jamais.

François-Olivier Rousseau, La gare de Wansee

 

      Cette station thermale avait commencé comme elles commencent toutes, par une brochure du docteur Bonnefille sur sa source. Il débutait en vantant les séductions alpestres du pays en style majestueux et sentimental. Il n’avait pris que des adjectifs de choix, de luxe, ceux qui font de l’effet sans rien dire. thundercloud.gif - 136388 Bytes Tous les environs étaient pittoresques, remplis de sites grandioses ou de paysages d’une gracieuse intimité. Toutes les promenades les plus proches possédaient un remarquable cachet d’originalité propre à frapper l’esprit des artistes et des touristes. Puis brusquement, sans transitions, il était tombé dans les qualités thérapeutiques de la source Bonnefille, bicarbonatée, sodique, mixte, acidulée, lithinée, ferrugineuse, etc., et capable de guérir toutes les maladies. Il les avait d’ailleurs énumérées sous ce titre : affections chroniques ou ai aiguës spécialement tributaires d’Enval;  et la liste était longue de ces affections tributaires d’Enval, longue, variée, consolante pour toutes les catégories de malades. La brochure se terminait par des renseignements utiles de vie pratique, prix des logements, des denrées, des hôtels. Car trois hôtels avaient surgi en même temps que l’établissement casino-médical. C’étaient: le Splendid Hôtel, tout neuf, construit sur le versant du vallon dominant les bains, l’hôtel des Thermes, ancienne auberge replâtrée, et l’hôtel Vidaillet, formé tout simplement par l’achat de trois maisons voisines qu’on avait perforées afin d’en faire une seule.  
       Puis, du même coup, deux médecins nouveaux s’étaient trouvés installés dans le pays, un matin, sans qu’on sût bien comment ils étaient venus, car les médecins, dans les villes d’eaux, semblent sortir des eaux, sources, à la façon des bulle bulles de gaz. 

Guy de Maupassant, Mont-Oriol

 

      (...) la question se pose ainsi: régulariser l’alimentation et fortifier les nerfs, l’un ne va pas sans l’autre; et il faut agir sur les deux moitiés du cercle.
     
Mais le voyage à l’étranger?
     
Je suis ennemi de ces voyages à l’étranger.
     
Veuillez suivre mon raisonnement: si le développement tuberculeux commence, ce que nous ne pouvons pas savoir, à quoi sert un voyage? L’essentiel est de trouver un moyen d’entretenir une bonne alimentation.» Et il développa son plan d’une cure d’eaux de Soden, cure dont le mérite principal, à ses yeux, était évidemment d’être absolument inoffensive. Le médecin de la maison écoutait avec attention et respect.

Tolstoï, Anna Karénine

 

      Ils auraient juré qu'ils étaient à Vichy depuis une éternité alors qu'ils n'en étaient qu'à leur cinquième jour. Déjà ils s'étaient créé un horaire qu'ils suivaient minutieusement comme si cela avait de l'importance et les journées étaient marquées par un certain nombre de rites auxquels ils se prêtaient avec le plus grand sérieux.
(...)
       Chacun ici n'accomplissait-il pas le même geste aux même heures de la journée, et pas seulement autour des sources pour les verres d'eau sacro-saints?
(...)
       Ils appartenaient à des milieux déterminés qui avaient leurs règles, leurs tabous, leurs mots de passe. Certains étaient riches, d'autres pauvres. Il y en avait de très malades que la cure ne faisait que prolonger et d'autres à qui elle permettait de ne pas trop se surveiller le reste de l'année.
       Ici, tous étaient confondus.

Georges Simenon, Maigret à Vichy

 

       Il y a ici ce qui manque presque toujours aux petites villes russes: trottoirs et bordures bien entretenus, contreforts semés de gazon, de massifs de fleurs. Cette ville a un air de joyau attentivement soigné. C'est que nous sommes dans une ville d'eaux presque exclusivement réservée aux vacanciers, aux soins et à la détente...
      Cela m'a fait vaguement penser à Vittel. Je préfère évoquer Vittel que Vichy, on comprendra pourquoi... Les Russes appellent Belokourikha la petite ville suisse. La ville n'est pas très ancienne, moins de 150 ans. Elle s'est construite autour d'une source, chaude soi-disant, qui était entourée de serpents. Les quelques habitants à la ronde couvaieunt cette source de terre, afin de chasser les serpents qui vivaient autour... Mais ils savaient aussi utiliser cette eau pour se soigner. C'est donc par eux qu'un dénommé Semion Kazantsev, sorte de prospecteur en la matière, apprend l'existence de cette source et de ses pouvoirs cicatrisants.

Philippe B. Tristan, Carnets de Sibérie

 

      Dans les villes d'eaux et, semble-t-il dans toute l'Europe, lorsqu'un directeur d'hôtel donne une suite à un client, il s'inspire moins des désirs et des besoins de celui-ci que de l'opinion qu'il se fait de lui; il faut remarquer qu'il se trompe rarement.

Fedor Dostoïevski, Le joueur

 

       Immédiatement après ces deux jours aussi démoralisants pour lui que pour les gens de Desenzano, le Dr K. passe trois semaines à l'établissement thermal du Dr von Hartungen à Riva, qu'il rejoint par bateau à vapeur dès avant la tombée de la nuit. Un domestique en long tablier vert retenu à l'arrière par une chaînette de laiton conduit le Dr K. à sa chambre, d'où, celui-ci, au crépuscule, voit le lac aux eaux étales reposer dans un calme absolu. Dans cette nature aux tonalités bleues, rien ne semble se mouvoir, pas même le vapeur déjà reparti et parvenu assez loin du rivage. Dès demain commence la routine des soins. Autant que possible, le Dr K. veut essayer, entre les différentes aspersions froides et le traitement électrique qui lui a été prescrit, de retrouver une sérénité pleine et entière.(..)

W.G. Sebald, Vertiges

 

      Don Luis avait été porté à son lit de la même manière que la veille. Il avait éprouvé un grand bien à se plonger dans l'eau chaude de Royat.  Il n'avait jamais vu Maria aussi gaie que ce soir, au dîner, presque trop gaie. (...) Eh bien, il faudrait absolument qu'il guérisse à présent. Les médecins insistaient pour pour deux ou trois mois de traitement. Et pas de vin! C'était long. Il remua son pied avec impatience et la douleur habituelle le reprit. Pourquoi ne pas débuter en passant une semaine près des sources, afin de bien commencer son traitement. 
(...)
Don Luis passait toute la matinée les pieds dans l'eau. Une petite table en fer placée dans un endroit peu profond de la piscine lui permettait de faire une partie de mouche avec monseigneur d'Agen, tandis que les bulles d'air montaient entre leurs orteils. Il faisait chaud, les cartes collaient à la table et le jeu avançait lentement. Le duc, qui n'avait que de vagues connaissances scientifiques, se mit à discuter de la propriété des eaux, de leur histoire, à décrire la pendule à eau, puis il parla de musique et de l'opéra, qu'il affectionnait tout particulièrement.
(...)
«Je dois, mon cher ami, vous remercier non seulement de votre hospitalité dans votre charmante demeure qui cache, comme je l'ai découvert, une cave excellente, mais encore ma guérison. Je suis maintenant complètement rétabli. Je pourrais jouer un rôle honorable dans  une affaire d'honneur, mais non pas seulement au pistolet ou comme second. Les eaux de Royat ont toutes les qualités que vous leur attribuez. Leur action m'a rajeuni. Pour un peu, je la croirai surnaturelle. En tout cas je suis obligé de reconnaître que leur action galvanise la vie.»

Hervé Allen, Anthony Adverse

 

      «Vous êtes en peine de ma douche, ma très chère, je l'ai prise huit matins comme je vous l'ai mandé; elle m'a fait suer abondamment; c'est tout ce qu'on en souhaite; et bien loin de m'en trouver faible, je m'en trouve plus forte. Il est vrai que vous m'auriez été d'une grande consolation; mais je doute que j'eusse voulu vous souffrir dans cette fumée: pour ma sueur, elle vous aurait un peu fait pitié; mais enfin je suis le prodige de Vichy pour avoir soutenu la douche courageusement. Mes jarrets en sont guéris; si je fermais les mains, il n'y paraîtrait plus»    

Madame de Sévigné, lettre à sa fille (du 8 juin 1676)

 

      J'ai terminé cette première journée en allant découvrir l'espace balnéaire du principal sanatorium. Je pense qu'il appartient à la ville. Une grande piscine constituée de plusieurs bains, avec des jets aériens ou subaquatiques... On peut y passer des heures... nager, se prélasser sur un courant de bulles, ou tenter de remonter le fort courant d'un couloir circulaire. Et puis, lorsque vous en avez marre de la piscine, vous pouvez vous rendre à l'espace banya, où la température est réglée à un niveau supportable, même agréable. Rien à voir avec le banya du «lac Blanc»! Et puis, en sortant du banya, vous pouvez aller vous rafraîchir dans un jacuzzi, dont les bulles caressantes et relaxantes vous prépareront à une profonde nuit de sommeil...

Philippe B. Tristan, Carnets de Sibérie

 

       Une source chaude jaillissait sous l'auberge. L'eau fumante remplissait une vasque naturelle avant de s'écouler à travers la palissade de roches volcaniques lisses et grises, jusqu'à rejoindre un torrent qui courait en parallèle au bassin. Plusieurs moines étaient déjà immergés dans l'eau chaude, leurs faces rondes et inexpressives tournées vers le jardin de l'auberge. 

Didier Decoin, Le Bureau des Jardins et des Étangs

 

Trop dilettante, en effet, et se perdant avec sa vie d'oisiveté, Shimamura cherchait parfois à se retrouver. Ce qu'il aimait alors, c'était de partir seul en montagne. Tout seul. Et c'était ainsi qu'il était arrivé un soir à la station thermale après une semaine passée en course dans la Chaîne des Trois Provinces. Il avait alors demandé qu'on lui fît venir une geisha...
(...)
Pour éviter sans doute l'engorgement par la neige, l'écoulement des eaux des bains se faisait par une rigole tracée contre les murs de l'hôtel. Devant l'entrée, l'eau s'étalait en une large flaque qui ressemblait à un étang minuscule. Sur les dalles qui menaient à une porte, un gros chien noir était en train d'y boire. Un alignement de skis, qu'on venait probablement de sortir d'une réserve pour les exposer à l'air, devait attendre les futurs clients; une faible odeur de moisissure s'en dégageait, adoucie et comme sucrée par la vapeur qui montait de l'eau chaude.

Yasunari Kawabata, Pays de neige

 

       (...) je m'étais éloigné des côtes et je me déplaçais ici et là dans les montagnes d'Amori. Même si l'on était dans la deuxième moitié du mois d'avril, il faisait encore froid dans ces régions montagneuses, il y avait encore pas mal de neige. (...) Je ne sais pas quel était le nom exact du lieu mais je me souviens que j'avais passé quelques nuits d'affilée dans un petit hôtel désert, non loin d'un lac. Dans ce vieux bâtiment en béton sans intérêt, les repas étaient certes frugaux (pas mauvais cependant) mais les tarifs incroyablement bon marché. Qui plus est, dans un coin du jardin, il y avait un bassin d'eau thermale en plein air où l'on pouvait se baigner toute la journée. L'hôtel venait de rouvrir avec le printemps et j'étais quasiment le seul client. (...) 
      Puis je sortis de la chambre et, par la porte de derrière, je me rendis au bain thermal du jardin. Comme il se trouvait en plein air, sans plafond ni cloison, il fallait supporter un froid glacial entre le bâtiment et le bain, mais une fois plongé dedans, l'eau chaude réchauffait le corps jusqu'aux os. 
      À ces heures silencieuses qui précèdent l'aube, je restai immergé seul dans l'eau chaude et, tout en écoutant le clapotis de la glace que la vapeur avait fait fondre et qui s'égouttait (...) 

Haruki Murakami, Le meurtre du Commandeur
(livre 2 : La Métaphore se déplace)

 

      Devant le pavillon des curistes, trois cents vieilles dames à chevelure mauve se reposent sur des chaises vertes en écoutant (d'un œil seulement) deux ou trois musiciens à gilet rouge qui tirent d'une trompette un solo tyrolien trop sucré... Fatiguées par les eaux et leur longue vie, elles n'applaudissent que du bout des doigts, le sourire aux dents. 

Jean-Paul Klée, Un dimanche à Baden-Baden 
(dans: Les charmes de Baden-Baden, éd. Andersen 2015)  (dans: Les charmes de Baden-Baden, éd. Andersen 2015) 

 

      À Baden, il n'est pas nécessaire de sortir de la petite ville pour jouir du paysage. La belle forêt vallonnée pénètre insensiblement entre les maisons basses de style Biedermeier, qui ont conservé la simplicité et la grâce de l'époque de Beethoven. On s'assied partout en plein air dans les cafés et les restaurants, on peut se mêler à son gré au peuple enjoué des curistes qui font le corso dans le parc thermal ou se perdent sur des chemins solitaires. 

Stefan Zweig, le monde d'hier

 

      La piscine de Baden, avec ses huit mille places, est aussi l'une des plus belles d'Europe. Quant à ses fameuses eaux, elles sont vieilles de douze à dix-sept mille ans, et ce sont les plus chaudes des eaux thermales d'Allemagne, sortant de deux mille mètres sous la terre à cinquante-huit voire soixante-huit degrés. Il y a seize sources. Nous avons bu un verre chaud. Les Romains (dont l'empereur Caracalla) y soignèrent déjà leur mélancholies... Les princes polonais leur gravelle ou bile noire, les Britanniques leurs « séquelles» des Indes et les musiciens leurs migraines ataviques, les Mexicains leurs... «sombreros». 

Jean-Paul Klée, Un dimanche à Baden-Baden 
(dans: Les charmes de Baden-Baden, éd. Andersen 2015)

 

      C’est incroyable, ces villes d’eaux. Ce sont les seuls pays de féerie qui subsistent sur la terre! En deux mois il s s’y passe plus de choses que dans le reste de l’univers vers durant le reste de l’année. On dirait vraiment que les sources ne sont pas minéralisées, mais ensorcelées. Et c’est partout la même chose, à Aix, Royat, Vichy, Luchon, et dans les bains de mer aussi, à Dieppe, Étretat, Trouville, Biarritz, Cannes, Nice. On y rencontre des échantillons de tous les peuples, de tous les mondes, des rastaquouères admirables, un mélange de races et de gens introuvables ailleurs, et des aventures prodigieuses. Les femmes y font des farces avec une facilité et une promptitude exquises. À Paris on résiste, aux eaux on tombe, vlan! Les hommes y trouvent la fortune, comme Andermatt, d’autres y trouvent la mort comme Aubry-Pasteur, d’autres y trouvent pis que ça... et s’y marient... comme moi moi... et ... comme Paul. Est-ce bête et drôle, cette chose-là?

Guy de Maupassant, Mont-Oriol

 

       Je me contrefous de votre thermalisme, vous m'entendez? Je m'en tamponne. J'ai toujours eu horreur de ça. La vision de curistes déambulant toute la journée en peignoir éponge et buvant de grands verres d'une eau chaude qui empeste l'œuf pourri me déprime. 

Philippe Claudel, L'archipel du chien

 

Serge Olevitch ouvrit sa fenêtre et se jeta, les pieds en avant, du deuxième étage.
      Les eaux de la petite ville de Turinge, en Bavière, ne sont pas spécialement recommandées aux déficiences osseuse, et quatre sources sulfureuses, une promenade bordée de deux rangées d'ormes royaux, trois hôtels élégants et vieillots en font tout le charme. L'arrivée du jeune Serge Olevitch à la Hunter Gasterhaus surprit donc les curistes comme les habitants, et, parmi ceux-ci, la très honorable Hannette von Tenck, propriétaire de dix mille actes à l'est de Turinge, du plus bel hôtel particulier du bourg, et surtout unique sœur du baron outragé. 

Françoise Sagan, Les suites d'un duel
(
nouvelle dans: Musiques de scènes)

 

      Et avec curiosité, Hans Castorp aspira une longue bouffée de cet air étranger, pour l'éprouver. Il était frais, et c'était tout. Il manquait de parfum, de teneur, d'humidité, il pénétrait facilement et ne disait rien à l'âme. (...)
Oui, c'est un air réputé.
(...)
       Notre sanatorium est situé plus haut encore que le village, vois-tu, poursuivit joachim. Cinquante mètres. Le prospectus dit «cent»
mais ce n'est que cinquante. Le sanatorium le plus élevé est le sanatorium Schatzalp, de l'autre côté; on ne peut pas le voir d'ici. Ceux-là en hiver, doivent transporter leurs cadavres en bobsleigh, parce que  les chemins ne sont plus viables. 

Thomas Mann, La montagne magique

 

Ce soir-là on est en mars 2008 , la bande de la poste arrive dans un night-club. Ambiance lourdingue, un peu paysanne, de la viande saoule. Finalement, elles grimpent jusqu'à Hauteville-Lompnes, une station en altitude, longtemps réputée pour ses cures contre la tuberculose, ensoleillement et bon air. Le bal de l'Orsac, «sanatorium pour hommes et jeunes gens», était un des plus courus de la région. Depuis que les antibiotiques ont terrassé le bacille, plusieurs hôpitaux se sont spécialisés dans la médecine du sport, d'autres sont devenus des centres d'hébergement pour migrants, La Luciole, par exemple, autrefois célèbre pour ses «dix chambres particulières agréées par la Sécurité sociale et ses caisses agricoles». Un casino s'est installé pour tenter de relancer la commune, machines à sous, table de black-jack, restaurant façon Riviera et boîte de nuit, bien sûr. 

Florence Aubenas, L'inconnu de la poste

 

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