Le Café littéraire luxovien / maison...

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      Une maison à l'abandon que j'aperçus dans l'angle mort, comme ces ruines qu'on découvre, ensevelies sous le lierre à l'orée d'une forêt, probablement hantées, qui respirent l'humidité, le salpêtre et les histoires malsaines, ces bâtisses grossièrement barricadées, qui contiennent encore pa peur des nuits d'orage, des bûches à moitié calcinées dans la cheminée, des bris de verre et des papiers anciens qui jonchent le parquet.
       Qui rebutent les gens normalement constitués.

Brigitte Giraud, Vivre vite

 

       Parler un peu de la rue du Métal, maintenant. Revoir Paula qui se présente devant le numéro 30 bis ce jour de septembre 2007 et recule sur le trottoir pour lever les yeux vers la façade c'est un moment important. Ce qui se tient là, dans cette rue de Bruxelles au bas du quartier Saint-Gilles, rue quelconque, rue insignifiante, rue reprisée comme un vieux bas de laine, est une maison de conte: cramoisie, vénérable, à la fois fantastique et repliée. Et déjà, pense Paula qui a mal aux cervicales à force de renverser la tête en arrière, déjà c'est une maison de peinture, une maison dont la façade semble avoir été prélevée dans le tableau d'un maître flamand: brique bourgeoise, pignons à gradins, riches ferrures aux fenêtres, porte monumentale, judas grillagé, et puis cette glycine qui ceint l'édifice telle une parure de hanches. Alors, exactement comme si elle entrait dans un conte, exactement comme si elle était elle-même un personnage de conte, Paula tire la chevillette, la cloche émet un tintement fêlé, la porte s'ouvre, et la jeune fille pénètre dans l'Institut de peinture; elle disparaît dans le décor. 

Maylis de Kerangal, Un monde à portée de main

 

       Mais dans cette somme de données inconnues il y avait une chose dont elle était sûre, cette maison était louée pour la première fois. Elle le sentait. Elle l'avait perçu à tout un tas de détails. À ce matelas trop neuf, un peu dur, avec son étiquette et son enveloppe de plastique, mais aussi à ces couverts dans les tiroirs, beaucoup trop vieux en revanche, de même que les verres et les assiettes, de toute évidence cette vaisselle était bien trop usée pour servir encore régulièrement. Et puis, plein de choses n'allaient pas dans cette maison, les sanitaires déjà, ces bruits bizarres que faisait la tuyauterie quand l'eau coulait, une eau avare qui plus est, et les prises de courant rondes, aussi, qui ne marchaient pas. Pas de doute que si d'autres gens avaient loué cette maison avant eux, ils s'en seraient plaints, au quotidien ce n'était pas commode d'avoir si peu de pression à l'antique pommeau de douche, sans parler de ces tâches d'étain sur le miroir de la salle de bain, il fallait se pencher pour se voir, et mille autres détails encore qui auraient certainement été corrigés au cas par cas, suite aux récriminations des locataires, et surtout aux commentaires sur Internet. Le plus incommodant, c'étaient ces vieux meubles et ces placards usés, ces tiroirs qu'il fallait forcer parce qu'ils refusaient de s'ouvrir, de même que ces armoires renfermant leurs secrets, ces menuiseries menaçant de céder, tout signifiait que cette maison n'avait pas été habitée depuis des années, qu'elle n'avait pas été fréquemment ouverte ni aérée. En découvrant l'annonce il y a trois mois Lise l'avait pressenti (...) elle avait bien compris que personne n'avait loué ces lieux avant eux, ni vécu là depuis des lustres, cet inédit l'avait attirée. 

Serge Joncour, Chien-Loup

 

Moi aussi j'ai une théorie, dit Nastia Eltsova (...) Au sujet des maisons. Elle dit qu'il n'y a rien de tel qu'une maison. À part les enfants, bien sûr. Mais les enfants s'en vont, pas les maisons. 
      Une maison, tout est là. Et plus encore si vous avez un jardin que vous avez cultivé toute votre vie. Que deviendra mon cerisier? Il me semble que j'ai fermé la fenêtre de la salle à manger, mais je n'en suis pas sûre, le froid pourrait entrer, ou un voleur, ou un de ces chiens errants. 
      Une maison, il faut en prendre soin pour qu'elle ne tombe pas. Si on y habite, elle résiste, même si on ne fait pas de réparations. Mais si vous partez, c'est fichu. Si vous partez, les matériaux s'effritent et en peu de temps la maison s'écroule. Elle meurt, dit Nastia (...). 
      Une vieille et sa maison, c'est comme des sœurs. L'une prend soin de l'autre, c'est mon point de vue et ce n'est pas maintenant que je vais en changer. 
      J'ai quatre-vingt neuf ans et cette maison est la mienne. 
      Mon défunt gendre Piotr m'a dit que lui aussi il voyait les maisons comme des êtres vivants. 

Javier Sebastián, Le cycliste de Tchernobyl

 

      Les maisons de notre enfance sont des maisons qui reviennent dans nos rêves, mais subtilement modifiées, comme des approximations, ou des interprétations du souvenir, et non le souvenir lui-même. Dans ces rêves, les maisons sont généralement plus grandes que dans la réalité, elles ont davantage de pièces, des portes mystérieuses menant... où cela? Il y a toujours la promesse, alarmante mais irrésistible, de pièces encore à découvrir, derrière un mur du fond, au grenier peut-être, ou dans la cave de terre battue, des endroits encore inexplorés qui nous font signe. 

Joyce Carol Oates, Paysage perdu

 

      Dans le château ruiné, aux toits crevés, de Bonnefont, le froid règne presque plus qu'à l'intérieur des chaumières des manants. Le grande demeure reste inchauffable avec ses pièces délabrées, ses passages, ses cabinets, ses multiples courants d'air. L'eau gèlerait dans les carafes et le vin dans les bouteilles si on ne les avait pas déposées sur le rebord de la cheminée où le feu souffle un bruit continu de rouet tissant le chanvre. 

Jean Teulé, Le Montespan

 

Ce petit salon, ou fumoir, conduisait également à la chambre blanche et fleurie de l'oncle et de la tante, détail qui, dans mon enfance, représentait un rébus insoluble et me faisait courir partout comme un jeune chiot surexcité, au grand dam de mes parents, à la recherche du plan qui me permettrait enfin de déchiffrer l'énigme du couloir desservant la chambre à coucher d'où l'on pouvait gagner le petit salon, contigu au living-room, lequel donnait à son tour dans le vestibule et la bibliothèque avant de rejoindre le couloir: chaque pièce, y compris le bureau et la chambre à coucher possédait deux ou trois portes, détail passionnant qui transformait la maison en labyrinthe, en dédale de ruelles ouvertes aux quatre vents, ou en forêt, de sorte que l'on pouvait se glisser de trois ou quatre manière de l'entrée jusqu'à la chambre-de-bonne-sans-bonne, derrière la cuisine, au fond de la maison. 

Amos Oz, Une histoire d'amour et de ténèbres

 

Au premier étage, Melchior ne retrouva aucune trace de sa chambre ni de celles de ses frères. Toutes les portes intérieures en chêne massif avaient été enlevées, des murs abattus et remplacés par des cloisons. Adrien, en tant que fils aîné, avait eu droit à la plus jolie chambre de cette partie de la maison. Melchior se souvenait qu'elle était toute lambrissée. On en avait fait une salle de douche aux murs recouverts d'un carrelage affreux. Dans sa chambre à lui, il se souvenait d'une cheminée d'angle sur laquelle il comptait faire trôner son chandelier de San Diego. Plus de cheminée! Même plus de chambre du tout! À la place, on avait fait installer des sanitaires. Deux lavabos encadraient la fenêtre. Un water-closet à la place de son lit! Voilà ce qu'on avait fait de la chambre où Melchior avait attendu que sa mère vienne lui dire bonsoir et souffler sa bougie! Le reste de l'étage n'était plus qu'un vaste dortoir rectangulaire, terne et triste, une sorte de boîte à chaussures agrandie, un espace sans charme dont on avait détruit les cannelures et la poésie, les glyphes, les strigiles et le mystère. 

François Weyergans, La démence du boxeur

 

      Je passe par le jardin, par-dessus les pointes de la grille. J'écris sur la porte de la cuisine, au charbon: «Claudine est sortie, elle rentrera pour le déjeuner...» Avant de franchir la grille, jupe relevée, je souris à ma maison, car il n'en est pas de plus mienne que cette grande case de granit gris, persiennes dépeintes et ouvertes, nuit et jour, sur des fenêtres sans défiance. L'ardoise mauve du toit se pare de petits lichens ras et blonds et, posées sur le pavillon de la girouette, deux hirondelles se rengorgent, pour faire gratter leur plastron offert et blanc, par le premier rayon aigu du soleil. 

Colette et Willy, Claudine en ménage

 

      La construction d'une maison est un spectacle réconfortant: il comble notre vanité, ce désir qui toujours nous pique de laisser un souvenir et des traces durables de notre passage ici-bas. 
      La progression rapide d'une œuvre architecturale non seulement rassure notre esprit quant à la valeur de l'existence, mais témoigne du caractère tangible, bien que provisoire, des choses terrestres. 

La maison hantée, Alberto Savinio

 

      L'homme opaque et subtil s'il construit sa maison, se trouve par elle éclairci, expliqué, déployé dans l'espace et la lumière. Sa maison est son élucidation, et aussi son affirmation, car en même temps que transparence et structure, elle est main-mise sur un morceau de terre creusé par la cave et les fondations et sur un volume d'espace défendu par les murs et le toit. 

Michel Tournier, Les météores

 

      La maison, le Gran Masten la fit construire à la fin du dix-huitième siècle quand il devint un particulier, quelqu'un qui avait sa terre à lui, des bœufs, des vaches laitières, des poules et des lapins et tant de boisseaux qu'il avait besoin d'autres bras. Il était pressé et ne se préoccupa pas trop des fondations, aussi la maison avec sa façade jaune, vit dans le temps s'ancrer à la terre, l'une après l'autre, la longue suite des pièces. Une construction à deux étages plus le grenier aux fenêtres écrasées au contact direct du toit. Le sentier de tommettes la reliait à l'allée qui en bas tournait vers la grille, tandis que le fenil et les étables se prolongeaient de côté jusqu'à arriver à la route sur laquelle s'ouvrait le grand portail de planches. Comment appelait-on cette route? À l'heure actuelle il est difficile de le savoir; la maison était la dernière du village et quand, par la suite, en fut construite une autre celle-ci eut l'obligation du mur aveugle pour la partie qui donnait sur le jardin.

Rosetta Loy, Les routes de poussière

 

      Il habitait la maison qui avait appartenu à ses parents, au milieu d'un quartier résidentiel, avant Carabacel. On suivait l'avenue d'Albigny et on tournait à gauche, juste après la préfecture. Quartier désert, rues bordées d'arbres dont les feuillages formaient des voûtes. Villas de la bourgeoisie locale aux masses et aux styles variables, selon le degré de fortune. Celle des Meinthe au coin de l'avenue Jean-Charcot et de la rue Marlioz, était assez modeste si on la comparait aux autres. Elle avait une teinte bleu-gris, une petite véranda donnant sur l'avenue Jean-Charcot, et un bow-window du côté de la rue. Deux étages, le second mansardé. Un jardin au sol semé de graviers. Une enceinte de haies à l'abandon. Et sur le portail de bois blanc écaillé, Meinthe avait inscrit maladroitement à la peinture noire (c'est lui qui me l'a confié): VILLA TRISTE.
      En effet, elle ne respirait pas la gaîté, cette villa. Non. Pourtant, j'ai d'abord estimé que le qualificatif «triste» lui convenait mal. Et puis, j'ai fini par comprendre que Meinthe avait eu raison si l'on perçoit dans la sonorité du mot «triste» quelque chose de doux et de  cristallin. Après avoir franchi le seuil de la villa, on était saisi d'une mélancolie limpide. On entrait dans une zone de calme et de silence. L'air était plus léger. On flottait. Les meubles avaient sans doute été dispersés. Il restait un lourd canapé de cuir aux accoudoirs duquel je remarquai des traces de griffes, et, à gauche, une bibliothèque vitrée. 

Patrick Modiano, Villa Triste

 

      Cette maison n'avait rien de spécial, ni beauté ni étrangeté architecturale. Vraiment, à première vue on n'y trouvait rien de fascinant ou de provocant. Et pourtant elle tranchait sur les autres. Son style, si l'on pouvait parler de style, était un léger baroque 1900, aux vagues réminiscences autrichiennes, de cette prétention qui se voulait aristocratique et qui plaisait tant entre les années 1920 et 1930. Ce n'était pourtant pas cela qui faisait son charme, d'autant plus que ce même style, et ces mêmes fioritures se retrouvaient dans de nombreuses autres habitations du quartier qui, elles, ne disaient rien. Et Resera, qui avait ralenti le pas pour prolonger le spectacle, n'aurait pas su s'expliquer pourquoi le petit hôtel éveillait en lui un intérêt aussi ardent et presque physique. 

Dino Buzzati, Un amour trouble (nouvelle dans Le K)

 

      Un domaine magnifique: longue allée de platanes menant au château dix-huitième noyé dans le vignoble bordelais, longue allée de sapins conduisant à une gentilhommière solognote, à un manoir normand. Envie soudain de marcher seul, maître des lieux, les mains nouées dans le dos, un peu penché en avant, en s'inventant le poids d'un vrai destin, d'un vrai passé, d'une mélancolie pour justifier l'accablante propriété de cette perfection de pierres et de feuillages. Juste quelques secondes. Et puis on dit: 
      ―
Moi, la maison du gardien me suffirait!

Philippe Delerm, La maison du gardien me suffirait
(dans: La sieste assassinée)

 

      La haute maison étroite, dont les pignons avaient été surélevés jadis, semblait exsuder par son crépi une variété particulière de silence sec et brûlant; non pas le silence coutumier aux trop chauds vibrants après-midi estivaux, quand tous les sons éparpillés ne font que se reposer en attendant l'instant où ils pourront de nouveau prendre leur envol; quelque chose d'autre, en moins ou en plus, on ne le définissait pas a priori; le silence des choses et des instants finis, retombés partout alentour, gangue invisible, lourde, serrée, qui semblait non pas uniquement peser sur l'endroit mais émaner de partout pour se concentrer là, se brisa en milliers de fragments, dès que le gamin et l'homme eurent franchi le seuil en écartant le rideau de perles de bois colorées. 

Pierre Pelot, Ce soir, les souris sont bleues

 

...il avait, cet anonyme, hypothétique et cependant nécessaire architecte de Morgante, laissé les parois de son prisme hexagonal à la perfection d'un appareillage exact, et il s'était contenté d'encadrer d'un chambranle de pierre chacune des six fenêtres, trois par niveau, ouvertes dans chacune des six façades, d'accompagner d'une fine archivolte l'arc des deux portes de plain-pied qui remplaçaient les fenêtres médianes sur les deux façades centrales et opposées, de marquer par un bandeau bombé la séparation entre le rez-de-chaussée et l'unique étage, cependant que, par exception, et sans qu'il fut possible de décider si c'était là l'effet d'un remaniement de l'espace intérieur ou le résultat d'un choix d'origine opéré par l'architecte en raison précisément de la disposition des volumes qu'il avait prévue pour l'intérieur, ici et là, la pierre des chambranles encadrait une fausse fenêtre, en vérité assez difficilement repérable grâce à l'habile trompe-l'œil de volets intérieurs refermés qui l'apparentaient aux autres fenêtres lorsqu'elles étaient closes. Mais lorsqu'on avait pénétré à l'intérieur de la maison, alors on se prenait à douter que le même architecte qui avait rêvé un prisme de pierre blanches à six faces eût également conçu sa distribution interne, parce qu'il était difficilement imaginable que le même homme, si manifestement porté à la spéculation, à la contemplation et à l'immobilité qu'elle requiert, qui avait dressé son prisme hexagonal sur une aire abstraitement immaculée pour qu'on le contemple dans sa blancheur solaire sur l'écran sombre des arbres, que le même homme qui n'avait sans doute rêvé son prisme qu'en tant qu'il pourrait être la figure de l'immobilité, ait pu, en même temps, non pas bien sûr simplement concevoir mais désirer, aimer la déambulation et la déambulation ludique, désordonnée et joyeuse à laquelle on se voyait contraint sitôt qu'on était entré dans la maison. 

Jean-Paul Goux, Les jardins de Morgante

 

      Je vois la maison telle que mon grand-père Alexis l'a peinte à l'aquarelle autour de 1870, quand il était âgé d'une dizaine d'années. Seule, immense au milieu de la forêt sombre, entourée de palmiers, de lataniers, de tamariniers, d'arbres de l'Intendance déjà immenses, de filaos bleutés, avec même cet araucaria un peu bizarre, portant ses pompons d'émeraude, que mon arrière-grand-père avait planté à droite de la maison, et qui existe encore.
      Sur le tableau, la maison semble vide, presque fantomatique malgré l'éclat de sa toiture neuve et le jardin bien ratissé à la française. Les hautes portes-fenêtres à dix carreaux reflètent la lumière du ciel dans l'ombre douce de la "Varangue". Sur la pente du toit, il y a sept lucarnes dont certaines ont leurs volets clos. Je me souviens de ce qu'on me racontait autrefois d'Eurêka, de cette formule pour moi presque rituelle: la maison où il y avait cent fenêtres! Dans le flou romantique du parc ― la magnificence de la nature tropicale en altitude, la fraîcheur des conifères et des tecomas, des fougères, de l'araucaria, mêlée à l'exubérance des palmes, des ficus, et de la haute montagne pluvieuse qui domine la paix des bassins, les plates-bandes décorées de fuchsias, de rosiers, d'azalées, de pois de senteur, tout cela qui émerveilla mon ancêtre Eugène premier lorsqu'il découvrit cet endroit, alors qu'il cherchait un refuge contre les fièvres de la côte, et qui lui inspira ce nom: Eurêka! ― la maison comme un symbole de la beauté et de la paix, loin du monde, loin des guerres et des malheurs.

JMG Le Clézio, Voyage à Rodrigues

 

      Les belles demeures de jadis, disait-il, étaient anormalement vides. Lorsqu'on avait besoin d'une table, de chaises, de fauteuils, voire d'une chaise percée, les domestiques accouraient avec l'objet demandé. C'est la raréfaction des gens de maison qui nous oblige à vivre dans un encombrement où les contemporains de Molière auraient vu à coup sûr un déménagement imminent ou un emménagement récent. Et il vantait la beauté large et noble des pièces chichement meublées, hautes de plafond et dont la principale et subtile richesse est l'espace même qu'elles offrent à la respiration et aux mouvements corporels. 

Michel Tournier, Les météores

 

      Les maisons telles que la nôtre semblaient comme construites à dessein pour perpétuer l'hostilité et les quiproquos. La première fois que je m'en suis rendu compte, je ne devais pas avoir plus de cinq ou six ans. D'emblée, comme il m'arrivait souvent à propos de sujets qui me déplaisaient ou m'effrayaient, j'échafaudais en imagination les moyens d'y échapper. Je n'étais pas loin de penser que tout aurait été différent si notre maison avait été plus petite, dotée d'un seul étage, sans chambres secrètes où il était interdit de pénétrer, pour ne pas parler des celliers, de la citerne souterraine et du cachot.
      (...)
      Si l'on m'avait demandé comment je trouvais la maison, je n'aurais su répondre. Cela partait d'un sentiment dont j'aurais eu bien du mal à faire état. Toute une partie de la maison me paraissait... irréelle. Il ne s'agissait pas là d'affabulations, mais de lieux tout à fait concrets. À l'étage, par exemple, accotées à la pièce à la cheminée, ou l'Hivernale, comme on l'appelait, il y avait deux chambres, demeurées inachevées depuis la dernière restauration remontant à 1936. Depuis longtemps, j'avais compris que suite à chaque réparation, la maison accouchait d'une ou deux nouvelles chambres, ou, au contraire, en engloutissait deux autres, sans prévenir. Pourvues d'entrées temporaires sur lesquelles deux planches en croix étaient clouées afin d'en interdire l'accès, c'étaient les pièces qui me fascinaient le plus. Entre les planches on distinguait les poutres, les ouvertures des fenêtres et une belle lumière tamisée qui les inondait, surtout en fin d'après-midi.
      Ce n'étaient pas encore des chambres, c'étaient des «presque», des «pas encore», fœtus sans nom, à la différence de celles qui constituaient le reste de la maison: l'Estivale, l'Hivernale, la Chambrette, le Grand sous-Diwan, le Petit sous-Diwan.

Ismail Kadaré, La Poupée

 

      Les décors principaux de notre vaudeville familial frappaient l'imagination de ceux pour qui l'érotisme reste un hobby hâtif, non un fanatisme. Toutes nos maisons furent choisies et remaniées de façon très spéciale afin d'abriter des amours dangereuses. Dans ces bâtisses révisées, on vénérait l'autre sexe à plein régime. (...)
      Verdelot, ex-couvent du
XIVe siècle, possédait  assez de chambres pour loger une cohue de maîtresses et d'amants.(...) Cet ancien prieuré dédié pendant six cents ans à la Vierge Marie fut, l'espace d'une dizaine d'années, voué à un autre culte ― celui d'une femme solaire et polygame: ma mère.
      La seconde maison Jardin constituait une toile de fond idéale pour jouer du Musset ou dire les textes galants de Shakespeare. La Mandragore, notre villa en forme de pâtisserie 1900, se dressait à la lisière du canton de Vaud, ce Tyrol francophone. (...) De nos fenêtres, le monde s'offrait comme à travers une gaze. Vevey est une ville aquatique ouverte sur un lac qui s'épuise à ébranler le bas des montagnes; la cité tourne le dos aux cimes calottées de neige. Riche de mille dettes, la famille Jardin y jouissait d'un petit port privé, défendu par deux lions de pierre. (...)
      Dans cette demeure de nantis en faillite, presque irréelle et en marge du siècle, tout pouvait survenir.    

Alexandre Jardin, Le roman des Jardins

 

      Cette maison que je sais si bien par cœur, la taille du salon, le nombre des fenêtres, la couleur des murs, l'inclinaison du toit, le dessin du jardin, cette maison que j'ai quittée déjà vieux, à l'âge de neuf ans et demi, le 31 octobre 1943, et où je ne suis jamais revenu. Qu'en reste-t-il? A-t-elle brûlé, est-elle rasée, habitée bourgeoisement, colonie de vacances, station-service? N'est-elle immense qu'aux yeux de ma mémoire? Subsiste-t-il dans la terre qui l'entoure, dans les arbres du jardin, dans l'air qui l'environne un reflet, une odeur, un écho de ce que je viens d'écrire et de ce que je voudrais encore essayer de restituer? Cent fois j'ai eu l'envie et même l'occasion de me rendre à Vichy et d'aller voir. Cent fois, je me suis dérobé. Charmeil pour moi c'est aussi mon phare, mon désert, ma seule vraie maison.

Pascal Jardin, La guerre à neuf ans

 

     La maison de Matriona était dans le même coin, toute proche; quatre petites fenêtres alignées donnant sur le côté frais, de derrière, une toiture de copeaux à deux pentes, avec une lucarne de grenier aménagée en façon de TÉRÈME.
      Mais les copeaux pourrissaient, les rondins du corps et le portail, autrefois imposants, étaient gris de vétusté, et le revêtement s'était effrité.
      Le portillon était fermé au verrou, mais mon guide au lieu de frapper, glissa la main dessous et tourna la clenche protection rudimentaire contre le bétail. La petite cour n'était pas couverte, mais il y avait beaucoup de dépendances d'un tenant avec la maison. Franchie l'entrée, un escalier intérieur menait à de vastes pontées que la toiture surplombait à grande hauteur. À gauche d'autres marches montaient à la belle chambre, un bâtis sans cheminée, indépendant; d'autres encore descendaient à la soupente. À droite c'était l'izba proprement dite avec grenier et sous-sol.

Alexandre Soljenitsyne, La maison de Matriona

 

      Ce que les Russes ont du mal à admettre, c'est qu'une des premières choses que vont aimer les Français quand ils vont s'approcher des villes russes, ce sont leurs vieilles maisons en bois toutes brinquebalantes... Peut-être qu'ils les ont trop vues, eux, ces vieilles maisons, et que l'avenir, la modernité, à leur sens, ce sont des grands immeubles modernes, avec la propreté et le confort...

Philippe B. Tristan, Carnets de Sibérie

 

      Ils avaient déniché une misérable petite baraque dans un terrain vague, derrière Qiryat-Motskin, une seule pièce sans eau et sans toilettes, avec un toit en toile goudronnée - tu te rappelles la cabane de papa et mama? Oui? L'unique robinet était dehors, au milieu des ronces, l'eau était rouillée et les WC étaient un trou creusé dans le sol, dans un cagibi en planches que papa avait construit derrière. 

Amos Oz, Une histoire d'amour et de ténèbres

 

Il y avait là un groupe de cabanes exiguës, d'une extrême simplicité de construction, paraissant bâties avec des éclats de pierres placés simplement en tas et tachées, de-ci de-là, d'un peu de mortier; seules, les cheminées étaient en briques. Dans un coin, une maisonnette avait comme prolongement une échoppe de bois; dans un autre, un appentis de lattes et de fascines servait d'étable aux porcs qu'on amenait là pour y être engraissés durant la période de pêche. Les fenêtres semblaient provenir d'épaves récoltées au hasard. Les toits étaient couverts de toutes les matières susceptibles d'absorber la pluie ou de la laisser s'écouler varech, herbes, mousses, terre, gazon ou tourbe. C'était là les habitations d'été, désertes à cette époque, et dont chacune contenait une vingtaine de locataires lorsque la pêche battait son plein. Alors aussi, chaque cabane devenait un débit clandestin d'eau-de-vie. 

August Strindberg, Au bord de la vaste mer

 

      Quelle étrange maison! Trapue, massive, presque une citadelle. Château de légende qui offrait, dès le porche franchi, un abri aussi paisible, aussi sûr, aussi protégé qu'un monastère.
      (...)
      Les boiseries étaient usées, les vantaux rongés, les chaises bancales. Mais si l'on ne réparait rien, on nettoyait ici, avec ferveur. Tout était propre, ciré, brillant.
      Le salon en prenait un visage d'une intensité extraordinaire comme celui d'une vieille qui porte des rides. Craquelures des murs, déchirures du plafond, j'admirais tout, et, par-dessus tout, ce parquet effondré ici, branlant là, comme une passerelle, mais toujours astiqué, verni, lustré. Curieuse maison, elle n'évoquait aucune négligence, aucun laisser-aller, mais un extraordinaire respect. Chaque année ajoutait, sans doute, quelque chose à son charme, à la complexité de son visage, à la ferveur de son atmosphère amicale, comme d'ailleurs aux dangers du voyage qu'il fallait entreprendre pour passer du salon à la salle à manger.

Antoine de Saint Exupéry, Terre des hommes

 

      Quand on séjourne longtemps dans une maison, on finit par apprendre à y lire l'histoire de ses propriétaires. Lecture kaléidoscopique au début; on glane de-ci, de-là des indices, des traces, mais en fragments et dans le désordre. Les meubles, les portraits d'ancêtres accrochés sur les murs des couloirs et du salon, les photographies exposés sur les commodes, les bibelots, tout laisse entrevoir des listes pour avancer à tâtons vers le passé récent de la famille maîtresse des lieux. (...) dans les livres, parfois, un lecteur distrait oublie une carte, ou une lettre glissée en guise de marque-page. Ou, mieux, sur un rayon frôlant le plafond, colonisé par les araignées et la poussière, on déniche un dossier cartonné contenant des coupures de presse, ou des journaux intimes bien emballés dans du papier brun solidement ficelés. On devine que la personne qui les a relégués tout là-haut et dissimulés, l'air de rien, avait de secrètes raisons d'agir de la sorte. 

Sylvie Germain, Chanson des mal-aimants

 

      «Les rideaux ne sont pas nécessaires; ils ne servent qu'à obscurcir la croissance de la lumière et des ténèbres; ils abritent, et pourtant ils trompent: une fois les rideaux disparus, je découvre des coins de la pièce dont j'ignorais jusqu'à l'existence.»
      (...)
      Il me semblait que nous arpentions côte à côte une grande maison presque vide, inspectant chaque pièce, l'enfant tendant l'oreille, le cœur tambourinant de terreur et d'appréhension, tandis que le grand-père faisait d'un ton lugubre l'inventaire des meubles restants et de temps à autre évoquait colériquement, de façon presque incohérente, les déménageurs qui s'activaient, présences fantomatiques passant furtivement d'une pièce à l'autre comme pour ridiculiser son méticuleux inventaire. Les pièces étaient inondées d'une lumière qui pleuvait au travers des fenêtres ouvertes, clapotait contre les murs et s'écoulait jusqu'à chaque coin obscur. Bientôt il ferait sombre, une nuit totale et absolue, toutes les lampes électriques ayant été déménagées de la maison; les ampoules avaient été violemment arrachées de leurs douilles-orbites, la source de chaleur avait été coupée, il n'y avait aucun moyen de faire la cuisine ou de conserver des aliments, aucun endroit confortable où s'étendre ou s'asseoir; il était impossible de dormir, et infiniment pénible d'être éveillé; il était l'heure de partir, si l'enfant et son grand-père savaient où aller. Le savaient-ils?

Janet Frame, La fille-bison

 

     Ulysse est le marin qui circule sur les mers; le cyclope est celui qui est à l'entrée de sa caverne, par conséquent celui qui possède un domicile, et dans le récit du Petit Poucet on voit le même conflit s'instaurer dans la mesure où les enfants ont été rejetés d'une chaumière d'ailleurs fort inconfortable, qui n'était pas vraiment leur maison puisqu'on pouvait les en éloigner, somme toute, facilement. Alors que l'ogre a sa maison à lui, une maison bien installée avec les sept lits des petites filles et même sept lits pour les autres qui vont se trouver être les sept petits frères ce qui est quand même assez singulier, car pourquoi y aurait-il eu quatorze lits dans cette maison? Une maison avec des greniers et des caves bien pleines, enfin tout ce qui fait la beauté, la splendeur d'une demeure. Et on voit que le Petit Poucet ne retrouvera de maison, c'est-à-dire de lieu bâti pour lui dans ce monde et où il se sente bien, que dans la mesure où il aura détruit la maison de l'ogre en exterminant ses filles et ensuite en s'annexant tous ses biens.

Claude Mettra, Au delà des portes du rêve
(entretien avec Roger Dadoun sur l'anthropologie onirique de Géza Ròheim)

 

      La maison n'est pas si bien que ça... Il n'y a pas de quoi, vraiment, être si fière d'une maison. De l'extérieur, mon Dieu!... Avec les grands massifs d'arbres qui l'encadrent somptueusement et les jardins qui descendent jusqu'à la rivière en pentes molles, ornés de vastes pelouses rectangulaires, elle a l'air de quelque chose... Mais à l'intérieur... c'est triste, vieux, branlant, et cela sent le renfermé... Je ne comprends pas qu'on puisse vivre là-dedans... Rien que des nids à rats, des escaliers de bois à vous rompre le col et dont les marches gauchies tremblent et craquent sous les pieds... des couloirs bas et sombres où, en guise de tapis moelleux, ce sont des carreaux mal joints, passés au rouge et vernis, vernis, glissants, glissants... Les cloisons trop minces, faites de planches trop sèches, rendent les chambres sonores, comme des intérieurs de violons... C'est toc et province, quoi!... 

Octave Mirbeau, Journal d'une femme de chambre

 

      D'ailleurs, même s'il admettait très bien que ces premières impressions pussent être démenties les jours suivants, il éprouvait à l'égard de cette maison une réticence, un retrait intime, la même répugnance à se laisser séduire que provoquait immanquablement chez lui toute manifestation exquisement discrète de bon goût, mais il ne savait pas encore si c'était bien de cela qu'il était question ici, à Morgante. Et c'est alors seulement que lui, Wilhelm, avait-il raconté, s'était souvenu qu'à aucun moment au cours des semaines passées Chaunes n'avait fixé ses rêveries sur la maison de Morgante. Mais il ne doutait pas, en revanche, que lui, Wilhelm, avait ajouté Chaunes, se sentît parfaitement bien dans cette maison qui lui paraissait tellement à sa convenance qu'elle semblait avoir été faite pour lui, ou n'avoir fait qu'attendre pendant des siècles, jusqu'à l'instant même de sa disparition, celui à qui elle serait enfin parfaitement adaptée.

Jean-Paul Goux, Les jardins de Morgante

 

      Où me suis-je jamais sentie chez moi? Est-ce qu'on se libère d'un lieu par l'habitude qu'on en a? Est-on chez soi dès lors que la question ne se pose pas?

Anne Delaflotte Mehdevi, La relieuse du gué

 

      Une maison est un arrangement structurel de l'espace, géométriquement agencée de façon à offrir ce qu'on appelle des pièces, lesquelles sont séparées les unes des autres par des murs, des plafonds, des planchers. La maison contient le chez-soi mais ne s'identifie pas à lui. La maison précède le chez-soi et lui survit, redevenant maison quand le chez-soi a disparu. 

Joyce Carol Oates, Paysage perdu

 

      Dans la maison de Sita, tout est neutre. Je veux dire par là qu'elle ne laisse pas s'entasser ses affaires, on n'a donc pas la moindre idée de qui vit ici. Sur les tables, chez Sita, il n'y a rien, sinon un cendrier. Ce n'est pas comme chez Mary, par exemple. On entre dans son arrière-boutique et tout de suite il y a sur la table un jeu de cartes, des pelotes de laine ou un numéro du magazine Fate qui disent bien qui elle est. 

Louise Erdrich, Le pique-nique des orphelins

 

Vous habitez à la Cité de l'Émaillerie depuis 1947. À l'époque, toute la Cité et tout le terrain appartenaient aux Japy. Les maisons étaient réservées aux contremaîtres. Le bâtiment que vous occupez à été vendu à la fermeture, en 1955. À chaque porte d'entrée correspondent deux appartements: l'un est au rez-de-chaussée et l'autre à l'étage. Ils ont chacun trois pièces, ainsi qu'une cuisine un jardin de deux ares situé ou devant où derrière. Vous vous chauffez toujours avec la cuisinière à bois. Mais en 1974 vous avez fait des travaux: vous avez installé des W.-C. A l'intérieur pour remplacer ceux qui étaient à l'extérieur. Vous avez transformé l'escalier de la cave pour installer une salle de bains: en fait il n'y a qu'un lavabo et une douche car la place manquait pour mettre une baignoire. Vous avez un voisin qui a quatre-vingt-deux ans et qui occupe le même logement depuis l'âge de trois ans. Cependant les gens ne se fréquentent plus guère a l'Émaillerie. Et puis il y a eu des nouveaux. 

Jean-Paul Goux, Mémoires de l'Enclave

 

      La caravane m'a sauvé. Derrière un verger planté de «basses-tiges» ― tous arbres à fruits, même le cerisier qui n'a jamais donné que des merles ― qui masquaient à ma vue la maison pleine de fureur et de bruits, j'avais enfin trouvé un lieu à ma mesure, entre le camp volant et la cabane dans les branches, entre départ et arrivée. 
      Je la baptisais Partance.
       (...)
      L'intérieur est modeste comme une cabine de pilotage, quatre mètres sur deux, mais je compte mal, je l'ai dit, et l'enthousiasme n'arrange rien. Mettons trois sur un et demi, au décimètre près. En tout cas, qui suffit bien à mon désir. Côté verger, une banquette étroite pour la sieste; côté prairies, deux autres avec coussins, et une table pliante qui sert à les réunir en un lit confortable. Au milieu de la cloison latérale qui regarde la porte, un évier en aluminium surmonté d'une étagère. J'y rangerai quelques livres, les indispensables, pas plus d'une dizaine, de quoi rêver longtemps.
      La lumière du jour entre par quatre baies, à profusion: pare-brise avant, lunette arrière comme en voiture, et deux petites latérales à rideaux. Décentrée au plafond, une lucarne à tabatière. Voilà mon île au milieu des champs, avec le ciel dessus.

Guy Goffette, Partance 

 

      

Chaque maison était pourvue d'une cave et d'un grenier dont le simple nom serrait le cœur de ceux qui étaient nés dans des lieux où l'on n'avait pas de cave obscure sous les pieds, de grenier sombre au-dessus de la tête, de garde-manger, de commode, de buffet, d'horloge antique ou de puits muni d'un treuil dans la cour. 

Amos Oz, Une histoire d'amour et de ténèbres

 

Le jardin, la maison et l'homme sont un organisme vivant qu'il ne faut pas démembrer. L'homme doit être là. Les plantes ne s'épanouissent bien que sous son regard aimant. Si pour une raison quelconque, l'homme quitte sa demeure, le jardin dépérit, la maison tombe en ruine. 

Michel Tournier, Les météores

 

      Il reconnaît dans l'enclos face à l'île une vaste maison de bois aux piliers courts et trapus, jadis habitée. À présent, partiellement démolie, délavée par la pluie, décapée par le vent du soir chargé d'embruns, elle a l'air complètement abandonnée. Il se souvient que les Malais n'aiment guère réparer leur maison, encore moins les démolir. Cela dérange les esprits et peut porter malheur. Il vaut mieux en construire de nouvelles selon les rites et laisser celles qui ont fait leur temps mourir de leur belle mort, retourner lentement à la terre.

François-René Daillie, Élisa ou La Maison malaise

 

      La vie n'est pas bruit ni orage,
      Elle est ainsi: il neige,
      La maison est éclairée
      Quelqu'un s'approche.
      Lentement, la sonnerie étincelle,
      Il entre. Lève les yeux.
      Pas un bruit.
      Les icônes flambent.

Maria Tsvetaïeva, Le ciel brûle

 

     Ah! le merveilleux d'une maison n'est point qu'elle vous abrite ou vous réchauffe, ni qu'on en possède les murs. Mais bien qu'elle ait lentement déposé en nous ces provisions de douceur. Qu'elle forme, dans le fond du cœur, ce massif obscur dont naissent, comme des eaux de source, les songes...

Antoine de Saint Exupéry, Terre des hommes

 

      La maison a façonné notre vision du monde. Comment font les autres enfants, ceux qui ont grandi dans des appartements en ville, comment le monde s'est dessiné plus tard autour d'eux s'ils n'ont pas eu de maison avec cave, rez-de-chaussée, étage, grenier, cour. 

Fabienne Jacob, Corps

 

      ... Il y eut ainsi pour nous (...) parmi les pièces en façade, des chambres vertes, acidulées, matinales par nature, et légères comme un lendemain d'orage, des chambres jaunes, amples, glorieuses, alertes comme un départ et solennelles comme un appel de trompette, et des chambres rouges, évidemment lourdes, chauffées par les soleils de cent mille après-midi, et puis, parmi les pièces intérieures, toute sortes de chambres bleues, feutrées, douces, veloutées, tirant sur le violet parfois, austères comme une salle de conseil, glissant parfois vers le bleu pâle, fragiles alors et comme appropriées aux chuchotements des effusions tendres, toutes sortes de pièces grises enfin, argentées ou perlées ici, comme les soupiraux ouverts à l'horizon des ciels d'orage, et sombres, là, ou parfaitement blanches, mais inquiétantes de toute façon, comme un grand vide sans ombre où l'on pourrait crier à jamais inutilement. 

Jean-Paul Goux, Les jardins de Morgante

 

      Enzo avait accès à une autre pièce. (...) Celle à laquelle on ne pense jamais car on ne l'appelle pas "pièce": l'entrée. 
      Et pourquoi on ne l'appelle pas "pièce"? Parce que ce n'en est pas une. C'est l'espace de jonction entre le monde extérieur et intérieur, c'est le sas. Il n'appartient pas vraiment à la maison. C'est l'espace d'Enzo. 
      ―
Qu'essaies-tu de dire, Louis? Qu'Enzo va s'asseoir dans l'entrée, dans ce lieu à cheval entre les deux mondes? 
      ―
Non, il y récupère les éléments du monde extérieur. 

Fred Vargas, Quand sort la recluse

 

      Le couloir, un long couloir dans un appartement, pouvait être bien davantage qu'un organe fonctionnel de circulation lorsque toutes portes closes on s'y enfermait dans une parfaite obscurité et que l'on y demeurait jusqu'à temps qu'on ait envie d'ouvrir d'un coup la porte du fond comme si l'on était vraiment celui qui fait le jour et la nuit. Fabriquer un espace où l'on puisse épouser ses nécessités et inventer ses effets, rendre ainsi l'espace habitable, c'était ça pour Simon le rôle de l'architecte. 

Jean-Paul Goux, Sombres contrées

 

      Je n'ai jamais aimé les couloirs, ils m'ont toujours fait peur, c'est quoi au juste la fonction des couloirs, leur inutilité peut-être. C'est normal, m'a dit mon ami (...) le mort passe toujours par les couloirs. 

Fabienne Jacob, Mon âge

 

      Je ne suis que le locataire de la maison sous laquelle se creuse et s'étend la cave. Je n'ai jamais été propriétaire de quoi que ce soit, sinon de quelques châteaux en Espagne.

Jean-Claude Pirotte, Expédition nocturne autour de ma cave

 

      La porte de la cave est une porte ouverte sur l'énigme, sur le futur. De cette force bénéfique des mondes intérieurs, de la cave, les contes d'outre-Rhin ont gardé la trace. 
(...)
    La cave, maison de la mémoire.

Claude Mettra, La maison d'ombre (ou philosophie des caves)

 

      Nos maisons sont bâties sur d'autres maisons en marbre et bien droites, et celles-ci le sont sur d'autres. Leurs fondations reposent sur des têtes de statues debout et sans mains. 
      Ainsi, dans la plaine, sous les oliviers, aussi bas que soient abritées nos chaumières, étroites, enfumées, une seule cruche près de la porte, tu crois habiter tout en haut et à l'entour le vent t'éclaire, ou bien tu crois vivre en dehors des maisons, n'avoir aucune maison, et tu marches nu solitaire, sous un ciel d'un bleu ou d'un blanc effrayant, et une statue, parfois, pose légèrement sa main sur ton épaule.

Yannis Ritsos, Témoignages

 

      Avec la cave comme racine, avec le nid sur son toit, la maison oniriquement complète est un des schèmes verticaux de la psychologie humaine. Ania Teillard, étudiant la symbolique des rêves, dit que le toit représente la tête du rêveur ainsi que les fonctions conscientes, tandis que la cave représente l'inconscient. Nous aurons bien des preuves de l'intellectualisation du grenier, du caractère rationnel du toit qui est un abri évident. Mais la cave est si nettement la région des symboles de l'inconscient qu'il est tout de suite évident que la vie claire croît au fur et à mesure que la maison sort de terre.

Gaston Bachelard, La maison natale et la maison onirique 
dans La terre et les rêveries du repos

 

      Oh combien a-t-on construit dans ces années-là! Nous étions nous-même constructions en cours. On ne faisait que ça: construire; raser; reconstruire; creuser et recouvrir; modifier. Les magnats du BTP étaient maîtres du monde maîtres tout-puissants du paysage, de l'habitat, de la pensée. Si l'on compare ce qui était et ce que l'on voit maintenant, on ne reconnaît rien. Des immeubles s'élevaient partout pour loger tous ces gens qui venaient vivre là. On les construisait vite, on les finissait vite, on posait le toit au plus vite. Dans ces immeubles on ne prévoyait pas de greniers, juste des caves. Il n'y avait pas de pensée claire, aucun souvenir que l'on aurait gardé, juste des terreurs enfouies. Nous jouions dans le réseau des caves enterrées, dans les couloirs de moellons bruts, sur le sol de terre battue souple et froide comme la peau des morts, dans les couloirs éclairés d'ampoules nues protégées d'une grille, dont la lumière crue semblait ne pas aller loin, s'arrêtait vite, lumière effrayée par l'ombre, n'osant éclairer les coins, les laissant voir.

Alexis Jenni, L'art français de la guerre

 

      Je voudrais savoir décrire cette maison que j'ai tant aimée (...)
      Je voudrais savoir décrire cette maison ouverte aux quatre vents et en perpétuels travaux, cette vieille dame irascible et fatiguée que rien, aucune entreprise de peinture, de réfection, de rénovation, pourtant maintes fois menées au fil des années, et parfois à grand renfort humain, ne put jamais satisfaire. Telle que je l'ai connue avec sa peinture écaillée et ses toiles d'araignées, la maison de Pierremont est restée une sorte de ruine magnifique, pétrie de rhumatismes et traversée de courants d'air, dans laquelle venaient régulièrement s'empaler les camions. (...)
      À Pierremont, quand nous étions enfants, nous dormions avec nos cousins dans la chambre dite des quatre lits, qui en comportait au minimum six et pouvait en contenir huit les jours de grande affluence. Au passage des poids lourds, le vitres tremblaient et vibraient à grand bruit, tandis qu'à travers les lattes horizontales des volets, projetée au plafond, nous regardions danser la lumière éblouissante des phares.

Delphine de Vigan, Rien ne s'oppose à la nuit

 

      J'habite une maison coloniale sur la bordure ensoleillée du parc San Nicolás, où j'ai passé tous les jours de ma vie sans femme ni fortune, où mes parents ont vécu et trépassé et où j'ai l'intention de mourir dans le lit où je suis né, seul et un jour que je voudrais lointain et indolore. Mon père l'avait achetée dans une vente aux enchères à la fin du XXème siècle (...)
      La maison est grande et lumineuse, avec des arcades en stuc, des sols dallés de mosaïques florentines et quatre portes-fenêtres donnant sur un long balcon où ma mère s'asseyait les soirs de mars pour chanter des arias d'amour avec ses cousines italiennes. De là, on voit le parc San Nicolás avec la cathédrale et la statue de Christophe Colomb, et plus loin les docks du port fluvial et le vaste horizon du Magdalena encore à vingt lieues de son estuaire. Tout ce que la maison a d'ingrat, c'est le soleil qui au fil de la journée, change de fenêtres qu'il faut toutes fermer si l'on veut faire la sieste dans la pénombre ardente. 

Gabriel Garcìa Márquez, Mémoire de mes putains tristes

 

      Mais c'étaient les maisons abandonnées qui l'attiraient le plus. (...) 
      Certaines d'entre elles avaient été récemment habitées: elles n'étaient pas encore retournées à l'état sauvage. D'autres, abandonnées pendant les années 1930, étaient depuis longtemps effondrées, englouties sous les belles-de-jour et les trompettes de Virginie. 
      Ouvrir une porte sur ce silence: le vide d'une maison que ses occupants ont quittée. (...) 
      J'étais trop jeune pour penser La maison est le corps de la mère. Tu peux en être expulsée et avoir interdiction d'y rentrer. 

Joyce Carol Oates, Paysage perdu 

 

 Mais dans ces pièces elle avait été l'héroïne de son film personnel de l'existence, au milieu de ces meubles et de ces lampes elle avait été le centre de la ronde du mariage et des enfants, poursuivie par la musique sans fin des mélancolies et des bonheurs, des frayeurs, des colères. Des éclats de rire et des souffrances à mesure humaine, quand le sillon noir n'avait pas encore séparé l'«avant» de l'«après». Elle pouvait à présent en contempler les reflets dans les grands rectangles des fenêtres, ranimer les séquences parmi les objets rescapés qui flottaient dans le vide des pièces. Vivre l'illusion des voix à travers les portes. La seule idée de vendre lui était insupportable. Insupportable que d'autres entrent ici en maîtres et détruisent ce qui restait encore dans le secret des murs, dans les lumières reflétées sur une dalle de marbre. L'écho, dans le silence, des pantoufles de feutre qui glissaient légères sur le carrelage. 

Rosetta Loy, Noir est l'arbre des souvenirs, bleu l'air

 

Il détestait le grand panneau À VENDRE que Ray Eldredge avait placardé sur la façade et à l'arrière de la vaste bâtisse et le fait que Ray et cette femme qui travaillait avec lui aient déjà commencé à visiter les lieux.

Marie Higgins Clark, La maison du guet

 

L'idée qui le taraudait, c'était d'acheter la maison de Ruth à Sagaponack. Toutes les années où Ted Cole y avait vécu, il avait soigneusement évité Parsonage Lane; pas une seule fois il n'était passé en voiture devant la maison qui avait été le haut lieu de l'été le plus excitant de sa vie. Mais depuis la mort de Ted, au contraire, il avait déployé des efforts pour prendre par Parsonage Lane. Et depuis que la maison Cole était en vente et que Ruth avait inscrit Graham dans une maternelle du Vermont, il n'avait raté aucune occasion de passer dans la rue au ralenti. Il ne dédaignait pas d'enfourcher sa bicyclette pour jeter un œil à la maison.
       Le fait qu'elle n'ait pas encore été vendue ne lui laissait qu'un mince espoir. La propriété avait atteint un prix prohibitif. L'immobilier, côté océan de l'autoroute, n'était pas dans les prix d'Eddie. 

John Irving, Une veuve de papier

 

La maison commençait à peine à m'appartenir, moins d'avoir mon nom au bas d'un acte de propriété, moins d'être le fruit d'un héritage, que d'y avoir sué pour la faire mienne.
      Pour une maison à colombages, ma maison est claire: les fenêtres à petits carreaux sont nombreuses, la façade des deux étages, côté ruelle n'est quasiment constituée que d'elles et de solives de bois noir. Voilà pour la lumière.
      On peut considérer aussi, si l'on est méchant, que la ruelle est sombre et que la maison n'est qu'un grand courant d'air, mais j'aime le vent.
      J'aime les petites pièces reliées par trois ou quatre marches de bois. Mes amis, jeunes parents, ont dit que la maison est "impraticable" pour les enfants. Pourtant ce sont ces derniers qui l'ont aimée le mieux.

Anne Delaflotte Mehdevi, La relieuse du gué

 

      Dès le mois de mai, les près pliaient déjà sous l'été. L'herbe haute, amollie de chaleur, penchait, séchait et se rompait jusqu'au sol. Au-dessus du bassin, plus loin, des buées traînantes fumaient dans le soir; et la maison elle-même, avec sa façade rose et ridée, semblait, entre ses volets du haut refermés sur quelque secret, et ses portes-fenêtres du bas écarquillées sur quelque surprise, la maison semblait une vieille dame assoupie, au bord d'une congestion faite d'incertitudes. 

Françoise Sagan, De guerre lasse

 

      Parler de ce qui se passe dans une autre maison, c'est un peu comme y pénétrer. Cela ne peut se réaliser qu'au prix de grandes précautions. L'espace de la maison, avec tout ce qu'il peut contenir d'intimité, a quelque chose de sacré: il est celui de la maîtrise, de la propriété, du quant-à-soi. On reste un moment sur le seuil, on n'entre pas plus loin sans demandes réitérées, on ne s'assoit pas sans le même jeu d'invites et de refus. 

Pierre Jourde, La première pierre

 

      La maison était hantée. Une imperceptible animation circulait entre les murs creusés par l'industrie des génies qui y logeaient en abondance.
      Autant les esprit qui errent par les landes désertes sont paresseux et farouches, autant ceux qui ont pris l'habitude d'une existence domestique sont doux et laborieux.
      Galeries et labyrinthes couraient en grand nombre à travers les pierres et les poutres, à peine dissimulés par le crépi zébré de longues fentes. Un travail infernal emprisonnait dans son filet sonore la vie de l'antique bâtisse.
      Ces esprits vibrionnants s'immiscent avec une telle gentillesse dans la compagnie des hommes que ce sont eux, justement, qui, par effet d'émulation, suscitent en nous cette constante activité, ce zèle inexplicable, nous poussant à nous agiter sans cesse d'un effort à l'autre, d'un souci à l'autre.
      Le parquet, les meubles, les étoffes, les tentures abritaient des bandes entières de ces démons pacifiques et casaniers.
      Tandis que les plus âgés restaient nichés dans les recoins ou somnolaient sous les divans et les fauteuils monumentaux, les plus jeunes et les plus espiègles dansaient la farandole dans les plis des tapis ou se laissaient glisser le long des rideaux poussiéreux.
      Un essaim de petits génies diaphanes s'était perché sur la gaze rose qui, telle une brume crépusculaire, ennuageait le lustre. Le piano hébergeait pour sa part une tribu entière de lutins mélomanes, et les cordes de l'instrument solitaire vibraient parfois des échos de lointains arpèges, imperceptiblement.
      La saturation spirite de la maison était plus sensible aux heures crépusculaires, lorsque ses habitants humains naviguaient loin, sur la mer déchaînée de la grande ville.

La maison hantée, Alberto Savinio

 

      On raconte que Luìs et Gavriel restés seuls ne parlèrent jamais. Ils s'asseyaient en face du feu, vieux et secs, enfermés dans un invalidant cercle de silence. Le tumulte des rats toujours plus nombreux, le bruit de la pluie et des coups de tonnerre ou le cognement d'un papillon nocturne contre les vitres, se noyaient au-delà de ce silence sans franchir jamais le seuil de leur attention. Pas même le violon du Giai, si il eût encore joué, l'aurait pu. Seulement à la fin, quand la flamme avait brûlé le dernier morceau de bois (pommiers qui ne produisaient plus de fruits, branches sèches du noyer et puis, ensuite, même le poirier devant la salle), Gavriel, l'aîné, se levait : Allons dormir, disait-il. Allons ! répondait Luìs en redressant sa jambe devenue pur cartilage. Et ces paroles, les seules possibles, résonnaient dans la maison et la parcouraient comme un vent dans l'obscurité de la pièce. Soulevaient la poussière des meubles, et la maison entière craquait comme un vaisseau en rade.

Rosetta Loy, Les routes de poussière

 

      J'ouvre les volets, rien n'a changé. Désordre, abandon, pestilence. Demain, ma grande sœur va venir; nous allons trier ce fatras: qu'est-ce qu'on garde, qu'est-ce qu'on jette? La maison a été mise en vente avant la mort de maman, elle a enfin été vendue par le notaire, il faut la libérer avant la fin du mois. Ma sœur sera donc là demain matin, avec son mari et ses deux fils. Ils ont loué un camion ainsi qu'une espèce de benne qui emmènera tout ce dont nous ne voulons pas, directement à la décharge. En une journée, en principe, on aura tout vidé, nettoyé.

Guy Boley, Fils du feu

 

      Elles font ça, les maisons vides, elles rendent un autre son, un autre silence plus exactement. Les maisons sont comme les chats, on croit qu'elles ne s'attachent pas à leur maître mais en fait elles s'attachent. Quand leurs occupants les laissent, elles ne sont plus les mêmes. Elles ne sont pourtant constituées que de murs, de cloisons, de fenêtres et de portes. 

Fabienne Jacob, Les séances

 

      Le bulldozer avance sur ses chenilles. La lumière du soleil rebondit sur sa coque de métal toute et sur le cockpit de plexiglas. Avec sa puissance, il escalade les tas de cailloux et de plâtre, il marche vers les murs de la maison en ruines. Quand il arrive vers les murs, il lève un peu ses bras, et il les laisse retomber. La main crochue frappe négligemment le mur qui s'effondre. Puis le bulldozer recule, et avec sa main il tasse les morceaux de mur. On renifle la poussière acre qui vole dans l'air, on entend tous les bruits effrayants, les craquements de la pierre écrasée, les coups de la main de métal, les grincements des chenilles, les rugissements du moteur. (...) Le bulldozer ressemble à un insecte de métal, lent, capable. Il tournoie tout seul devant la maison qui s'efface peu à peu. Les murs dégringolent les uns après les autres, avec leurs lambeaux de papier peint, leurs escaliers, leurs cheminées, leurs cicatrices de planchers et de plafonds. Les bras du bulldozer fauchent les murs, sans hâte, sans passion. Ils détruisent. Quelquefois, un morceau de mur résiste. Alors le bulldozer d'arc-boute contre lui, et il pousse avec sa main fermée comme un poing. Les deux chenilles patinent dans les gravats en jetant des étincelles. Le moteur rugit si fort que l'air devient pareil à un cube de métal. Alors le mur cède progressivement. On voit les blocs de ciment qui s'écartent, les tringles cassent. Tout est mou devant le bulldozer. La poussière sort du mur comme de la neige, elle glisse en ruisseaux, elle enveloppe la carapace rouge du bulldozer. Ensuite, après de longues minutes d'effort, le mur tout à coup se brise en arrière comme une nuque, et les décombres roulent au bas de la falaise.

JMG Le Clézio, Les géants

 

Aucune des deux chambres de notre nouveau logement n'étant assez vaste pour être divisée, dans la salle de séjour, qu'elles se partagent, Mina établit une cloison vitrée, qui ménage à Armance, laquelle cède à sa sœur la jouissance d'une vraie chambre, un espace au fond de la pièce, en retrait de la fenêtre qui ouvre sur le jardin. En reconnaissance de son abnégation nous lui achetons un ordinateur portable. 
       « Si dans ma chambre je n'ai pas de vraie fenêtre, dit Armance, vous m'offrirez une fenêtre qui ouvre sur le monde.» 

Xavier Bazot, Fresque et Mosaïque

 

 

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