Le Café Littéraire luxovien /  Des lectures (12)
Table des lectures
Prix Marcel Aymé
Prix Chronos
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Venise était un piège, de Michèle Larrère 
lecture par Marie-Françoise :

J'ai lu d'une traite, emportée par la verve jubilatoire des premières pages qui démarrent sur des chapeaux de roues ce roman qui nous transporte de Venise la Sérénissime italienne avec ses palais et œuvres d'art, ses canaux, ses lagunes et ses brumes, ses miasmes, son climat à la mauvaise saison, son carnaval et ses excès, sa vie trépidante envahie de touristes, à la Venise verte et calme du marais poitevin où règnent encore des idées désuètes et une morale conventionnelle.

Nourries et intéressantes sont les descriptions et les considérations historiques et actuelles sur Venise, comme si l'auteure luxovienne Michèle Larrère qui les décrit avec son franc parler, y avait vécu longuement. Du moins s'est-elle énormément documentée avant d'écrire ces pages qui nous en apprennent beaucoup sur cette ville et ses dessous, ville vitrine et lieu de prédilection pour des voyages de noces.

Le roman est qualifié par l'auteure de policier. Mais à part la commissaire au caractère trempé surnommée Furiosa, son chef hiérarchique de la sûreté nationale et l'inspecteur Pavani non loin de la retraite qui sont largement présentés avec leurs qualités, leurs défauts et leurs frustrations, de même qu'est largement narrée l'histoire des personnes soupçonnées du double crime qui a eu lieu au dernier jour du carnaval, les détours de l'enquête en elle-même sont bien minces. Et le criminel, dévoilé à la fin, surgit un peu comme un lapin du chapeau d'un prestidigitateur, ce qui ne se conforme pas vraiment à la dixième règle énoncée par S.S. Van Dine concernant les romans de ce genre.

Il n'empêche, Venise était un piège est un petit roman qui ne manque pas de piquant, où tout est bien qui finit bien, une heureuse distraction

 

 

La femme à la fenêtre, de A.J.Finn (éd. Les Presses de la Cité 2018)
lecture par Marie-Françoise

Elle est psychologue pour enfants. Elle vit recluse avec son chat "Punch", dans sa maison de Harlem, seul lieu où elle se sente en sécurité après qu'un grave traumatisme (on en découvrira peu à peu le pourquoi et le comment au fil du roman) l'ai rendue agoraphobe. 

Elle passe son temps à aider des gens à aller mieux sur un site en ligne sous le pseudo "votrepsyenligne" ; à jouer aux échecs sur Internet ; à se gaver d'anciens films en noir et blanc dont elle possède quantité de DVD  ; à boire du bon vin, du merlot, mais excessivement, ce qui ne fait pas forcément bon ménage avec les divers médicaments bêtabloquants qui lui sont prescrits et qu'elle ingurgite parfois à l'aveuglette, bien que de part son métier elle en sache les possibles effets secondaires néfastes, dont possiblement des hallucinations.
       "Quelle quantité d'alcool ai-je ingurgité exactement? Ah oui: deux bouteilles. Plus celle du déjeuner. Ca fait... Beaucoup de vin, je veux bien l'admettre.
       Quant aux médicaments... Ai-je pris la bonne dose ce matin? Ai-je seulement pris les bons cachets? Je deviens de plus en plus négligente depuis quelque temps, j'en ai bien conscience. Le Dr Fielding a raison de penser que mon état empire."

Elle occupe aussi son temps à observer ses divers voisins depuis ses fenêtres à  l'aide du "viseur de son Nikon D5500 équipé d'une lentille Opteka qui ne rate pas grand chose", ce qui l'amène à être témoin d'un crime: "Mais comment convaincre la police quand on doute soi-même de sa propre raison", nous dit la quatrième de couverture :

"Le locked-in syndrome, ou syndrome d'enfermement... Parmi les causes possibles: crise cardiaque, lésion du tronc cérébral, sclérose en plaque et même poison. En d'autres termes, il s'agit d'un état neurologique et non psychologique. Pourtant, je me retrouve littéralement enfermée derrière des portes verrouillées et des fenêtres closes, à fuir la lumière témoin impuissant de l'agression d'une femme de l'autre côté du parc. Personne d'autre n'a remarqué quoi que ce soit, personne n'est au courant. Je suis la seule à savoir. Moi, une femme bouffie par l'alcool, séparée de sa famille, qui s'envoie son locataire. Un monstre de foire pour les voisins. Une cinglée pour les flics. Un cas à part pour son psychiatre. Une source de pitié pour sa kiné. Une recluse. Certainement pas une héroïne, ni un limier.
       Je suis autant enfermée dans mon univers intérieur qu'exclue par le monde extérieur."

Elle, c'est la narratrice, Anna Fox. Ses seuls contacts sont son psychiatre, sa kiné, un locataire à qui elle loue son sous-sol depuis deux mois pour n'être pas tout à fait seule dans sa grande maison, mais aussi et surtout, Ed son époux et sa fille Olivia dont elle vit "séparée" mais avec qui elle dialogue.

Sans vouloir résumer ce roman, ou plutôt ce thriller à suspens paru en 2018 qui nous tient en haleine au long de ses  521 pages et dont la renommée n'est plus à faire puisqu'il a été traduit dans le monde entier et qu'en a été réalisé un film, je dirai simplement qu'Anna Fox, mêle à son récit, très vivant, elle s'exprime au présent, de nombreuses allusions à des situations de films en similitude avec les siennes et met en écho à ses propres pensées des répliques de héros de polars en noir et blanc à suspens pour la plupart, qu'elle regarde "pour s'apaiser"... et connaît par coeur pour les avoir vus, revus et les revoir encore.

En fait, dans ce roman, très hitchcockien, le premier A.J.Finn que l'on devine grand cinéphile, l'auteur réalise le tour de force de nous rappeler par le biais du personnage imaginaire d'Anna et de ses angoisses et paniques, les films dont elle évoque les titres tout au long , il n'y en a pas moins de 52,  une véritable anthologie, que le lecteur découvre à mesure avec l'envie de les voir ou revoir. Pour n'en citer au hasard que quelques-uns : 
       L'ombre d'un doute / L'homme qui en savait trop / Hantise / Meurtre en musique / Charade / Seule dans la nuit / Effets secondaires / La force des ténèbres / Vertigo / La corde / La mort aux trousses / Rebecca / Une femme disparaît / Les passagers de la nuit / Fenêtre sur cour / Sueurs froides / Piège à minuit / L'espion aux pattes de velours / etc.  

Question style, on apprécie particulièrement les dialogues d'Anna avec les autres protagonistes du roman, où l'écriture intercalée à la ligne et sans tiret de ses pensées intérieures en décalage avec ce qu'elle prononce, permet au lecteur de détecter sa vivacité d'esprit et ses éventuels mensonges.

 

 

Quand sort la recluse, de Fred Vargas (éd. Flammarion 2017 et J'ai lu 2018)
lecture par Marie-Françoise :

Excellent roman policier dans lequel le lecteur retrouve les personnages qui gravitent dans le sillage du commissaire Adamsberg, avec chacun son trait de caractère particulier: ses divers inspecteurs et lieutenants, son ami archéologue et évidemment le commandant Danglard qui ne sera pas d'accord avec le fait de mener l'enquête non officielle sur laquelle Adamsberg les oriente, ce qui, un temps, divisera la brigade.

Cette fois, ce qui préoccupe Adamsberg ce sont des morts apparemment naturelles, mais statistiquement trop nombreuses, de vieux, survenues suite à des morsures par araignée. Et pas par n'importe laquelle, par celle dite "recluse".

Le roman est sous-tendu par cette idée de réclusion que l'auteur explore sous toutes ses formes: celle de l'araignée qui se cache et dont le venin est mortel à forte dose ; celle de la femme qui à l'instar des recluses du moyen âge s'est volontairement faite enfermer dans un pigeonnier ; celle, contrainte, des séquestrées ; enfin, celle d'emprisonnement infligée par le législateur.*

Le roman est sous-tendu également par l'idée de l'éjection: celle du venin de l'araignée ; celle du sperme par éjaculation du violeur. Car s'il y eut déjà il y a plus de cinquante ans dans cette histoire, des "mordus" par venin de recluse, il y eut aussi d'anciennes séquestrées et violées, qui à présent se vengent des sévices subis à l'époque de leur jeunesse et dont ils/elles ont gardé traumatismes et séquelles.

Est donc menée, bien sûr à partir des "bulles gazeuses" ou "proto-pensées" du commissaire Adamsberg, une enquête prenante débouchant parfois sur de fausses pistes, des rebondissements sur les méfaits, anciens et récents, qui sont mis au jour, pour découvrir la, le ou les auteurs de ces meurtres presque parfaits par venin de recluses.

Bref, ce roman, bien écrit, est aussi très instructif de par son côté documentaire sans qu'il y paraisse, puisqu'il nous apprend, en même temps que leur façon de vivre, qu'existaient autrefois (et peut-être encore aujourd'hui), des recluses.  

*NB. Paru en 2017, soit avant les confinements pour causes du Covid19, cette sorte de réclusion par souci sanitaire ou par mise en quarantaine, qui n'aurait d'ailleurs pas été nécessaire dans le déroulement de ce roman, n'y est pas évoquée.

 

Vivre  vite, de Brigitte Giraud (éd. Flammarion 2022)
lecture par Sonia Dedier :

L'auteur tente vingt ans après, de faire un dernier point sur cet accident de moto qui a pris la vie de son jeune époux dont elle n'a jamais su la véritable cause.

Au fil des pages, elle va dresser une liste très longue de «Si» comme une litanie, qui l'a obsédée pendant des années.
       L'histoire étant qu'elle décida d'acheter une maison mais c'est elle qui fit le choix de celle-ci (elle rencontra d'ailleurs pas mal de difficultés à la trouver), son mari n'étant pas très convaincu de changer d'habitation d'où la culpabilité de Brigitte et son interrogation: «Et si on était restés dans l'appartement?»
       Vingt ans plus tard, Brigitte, l'auteur décide de vendre la maison, enfin. Elle y était restée seule avec son fils, pensant que cela la relierait à Claude, son mari.
       Au cours des chapitres, Brigitte Giraud ausculte un par un les hasards qui ont précédé la perte de son mari. Ce sont des scènes qu'elle retranscrit, empreintes de chagrin et d'incompréhension.

Beaucoup de questions s'imposent :
       Faut-il croire au destin? Est-ce que notre destin est déjà écrit?
       Ce sont nos choix qui façonnent notre destin.
       Quelle différence entre le destin et le hasard? Le hasard définit les événements ou circonstances qui peuvent survenir et qui peuvent être favorables ou non.

Un auteur psychothérapeute et auteur de l'ouvrage: Prendre en main son destin, transformer ses faiblesses en sagesse, nous éclaire sur ce qu'est selon lui «la destinée» et comment nos choix influent ou non, dessus.
       Il y a deux réalités : l'une subie et l'autre qui peut être choisie.
       C'est là toute la liberté qui nous est possible, à nous, êtres humains, de subir notre destin ou le choisir.

lire une deuxième note de lecture sur : Vivre vite

 

La recluse du Destel, de Martine Alix Coppier (éd. Presses de la Cité, collection Terres de France 2014)
lecture par Adéla : 

D'une écriture maîtrisée pour un roman du terroir, c'est un récit facile à lire, moral et "presque" sage, qui se termine dans l'émotion.

Mêlée d'accent provençaux, cette fiction qui se passe en effet en Provence est inspirée d'une ermite mystérieuse ayant réellement vécu autrefois dans ses contrées reculées mais dont on ne savait rien et dont parlaient les anciens aux veillées.

Nous sommes au début du XVIIIème siècle, dans la Varoise, à la Ciotat et à Marseille. Il y est question d'amour, de fautes d'une jeune femme recluse volontaire pour les expier dans une grotte reculée de la région où coule le Destel, non loin de la Sainte-Baume, où, selon la tradition, Marie Madeleine, arrivée en Gaule après avoir quitté la Béthanie pour faire pénitence d'avoir été prostituée, s'était elle-même retirée.

Le récit, émaillé de nombreux termes et expressions du vocabulaire provençal, est surtout prétexte à évoquer les paysages et la nature, l'Histoire, les légendes, les croyances et les us, les lieux, les constructions, les Bastides des riches, les bouges des pauvres, leurs vêtements et nourriture, leurs métiers dans le textile, on est au pays des mûriers et du ver à soie; dans la marine, la Méditerranée est proche; dans le travail du bois; de la terre...― , tels ils étaient à cette époque dans ces contrées bucoliques l'été, hostiles l'hiver pour une ermite.

Est narrée, bien sûr, par retour de mémoire, le scandale qui a amené l'héroïne, Marie Laugier, à se reclure et à vivre misérablement des produits de la nature sauvage et d'aumônes, et son histoire tragique, s'abandonnant aux aléas du hasard et à son destin.

L'intérêt de ce roman, qui a une petite allure d'écomusée n'est pas à négliger car l'auteure, Martine Alix Coppier, diplômée des Beaux-Arts et des Monuments Historiques et qui a également enseigné , aime recueillir la mémoire des anciens et de leurs coutumes pour les nouvelles générations et s'est spécialisée dans l'écriture de romans historiques, de biographies et de romans du terroir. Elle s'est assurément largement documentée sur le passé provençal et fait donc par le biais de ce roman, de plus en plus prenant au fil des pages, où les enseignements ethnologiques arrivent tout naturellement au détour des phrases sans guère importuner le lecteur, œuvre de transmission.

 

 

Face aux ombres, de Catherine Enjolet (éd. Phébus 2014)
lecture par Marie-Françoise :

Sur Ariane Lavnir pèse une lourde hérédité qu'elle ne soupçonnait pas ayant été confiée à droite et à gauche par sa mère qui ne s'est plus occupée d'elle dès le décès de son père. Mère qui ensuite a bien vite disparu de sa vie. Aussi ne sait-elle absolument rien de qui que ce soit de sa famille. Elle n'a gardé que quelques souvenirs de sa mère qui aimait chanter du temps de son enfance où on ne lui avait rien dit.
       À présent adulte et enceinte, elle emménage dans l'appartement d'un immeuble, dit neuf parce que sa façade a été réhabilitée, qu'elle a choisi par hasard au Quartier latin où elle a toujours rêvé d'habiter et où elle aime entendre la musique et les chansons du limonaire.
        Alors qu'encore dans les cartons, elle se retrouve en proie à des interrogations depuis qu'un couple en recherche d'un certain René ayant autrefois vécu à son adresse et porteur du même patronyme qu'elle, Lavnir, a sonné à sa porte. Et plus encore lorsque sa tante paternelle, Léna, se manifeste soudain dans sa vie d'adulte pour lui parler de son frère (le père d'Ariane), et lui apprendre qu'elle lui ressemble beaucoup."Son portrait tout craché" disait paraît-il la mère d'Ariane, et que cette tante reconnaît en l'une des personnes d'une photo qui se trouve accrochée au mur du couloir, "l'oncle René".
       À partir de là et de recherches initiées par sa tante, Ariane découvrira  de lourds secrets. Des souffrances non apaisées d'êtres décédés.
       Pour que son enfant naisse sans le poids traumatisant de ce lourd passé, elle décide de se faire accompagner par un psy. "Car si les chagrins affrontés se guérissent (...) Les souffrances héritées se cristallisent" et c'est elle qui en fait les frais.
       Les découvertes successives "Entre l'oncle pendu [René, qui ne serait pas le fils de son père] et l'aïeule morte en couches [Marie Chanson, grand-mère maternelle d'Ariane, dont Marie est le deuxième prénom!]" "Les branches paternelles et maternelles l'enserrent et l'étouffent" et les nombreuses coïncidences qui se révèlent peu à peu la plongent de plus en plus dans l'angoisse quant au rôle du hasard, du destin, entre non-dits mortifères et malédictions, quant à l'accouchement de son enfant parce que "Les signes s'accumulent, comme un verdict".
       Ce roman qui met en évidence les souffrances traumatiques trans-générationnelles,
― syndrome reconnu en psychiatrie ―, mêle au présent, dans une écriture contemporaine, sans dialogues, aux accents poétiques sans fioritures, en séquences, le travail d'Ariane, monteuse cinématographique, ses pensées sur l'élaboration de son projet de scénario qu'elle intitule L'ironie du sort, que sa propre situation inspire, aux recherches généalogiques de la tante Léna, à leur avancée, à celle de ses séances chez le psy et à l'évolution de sa grossesse, tandis que Pierre, qu'elle n'évoque qu'en disant "le père de mon enfant", Reporter photographe, est en déplacement.

 

 

Comme dans un film de Noël, d'Elliot P.Lewis
lecture par Marie-Françoise :

Nous avions déjà remarqué cet auteur en lisant  The Zephyr song - du lait et des cookies. Dans ce nouvel ouvrage de 115 pages, à nouveau publié à compte d'auteur, mais sans les restrictions évoquées dans le précédent, on retrouve les mêmes qualités d'écriture et cette façon d'avancer dans le récit qui ne lasse pas. 

Cette fois c'est un seul des personnages, Jill, qui s'exprime au présent. Un jeune, toujours, d'à peu près dix-sept ans, puisque, décidément l'auteur semble s'attacher à cette période charnière de la vie où les jeunes se cherchent.
       Dans le récit ils sont cinq, trois filles et deux garçons qui vont, sans adultes c'est la première fois, pour quelques jours passer la fête de Noël dans un chalet de montagne. La plus âgée, la plus mature, la s
œur de Jill a vingt-trois ans. 
       Jill espère bien que cette période,
cette parenthèse exempte de tout soucis , lui sera propice à déclarer son amour à l'élu de son cœur, son ami depuis toujours puisqu'ils se sont connus bébés... Mais les choses ne seront pas simples avec la présence des autres et les quiproquos...

C'est un récit de jeunes, qui ressemble à ces séries télé faites pour eux, légères et sans grands drames, plus léger donc que Du lait et des cookies, période et magie de Noël oblige. Agréable et facile à lire, sans qu'on se prenne la tête, on y suit les méandres des pensées de Jill, qui lui, se la prend, la tête, et se fait des films, imaginant différentes façons de se déclarer, de faire le premier pas...

 

 

L'ordre et le chaos, de Maud Tabachnik (éd. Albin Michel 2014)
lecture par Marie-Françoise :

Paru dans la collection "Spécial suspense", c'est un road movie un peu particulier puisque le lecteur s'y prend de sympathie à la fois pour l'auteur des crimes et pour les enquêteurs.

Ce, parce que la tueuse, Merryl, la quarantaine narre elle même son histoire à la première personne. Elle a mené jusque là avec sa mère sévère et claustratrice une vie d'obéissance, sans attrait et sans beaucoup de distractions, sans se mêler aux futilités inutiles du monde et travaillant dans la même société que qu'elle. Au décès de sa mère, si soudain qu'il pourrait être suspect, Merryl, désormais libre, réalise enfin son rêve: prendre la route à bord d'un camping-car. Malheureusement, le hasard la met en face de la brutalité des hommes. Et c'est pour en soustraire une fillette qu'elle effectuera son premier crime. Elle en commettra d'autres, toujours le hasard la mettant devant une situation qui la révulse, où elle se sent le devoir de tuer sans se sentir coupable et se sentant en légitime défense. Et le lecteur la comprend, l'excuse et souhaite qu'elle s'en sorte. Car évidemment ses crimes finiront par être reliés entre eux, d'autant que malgré sa prudence, elle commettra une faute... Elle sera recherchée dans toute l'Angleterre où se passe ce récit, même si au départ, devant la brutalité des crimes, on ne croyait pas qu'ils soient l'œuvre d'une femme. Même si, seule en camping car, voyageant dans des coins perdus en dehors de la saison touristique.

En face, l'inspecteur Milland, ancien excellent policier de Scotland Yard, dégradé et muté à Chester, la ville à ses yeux la plus ennuyeuse du comté de Cheshire , suite à une soi-disant bavure au cours de laquelle a été tué son ami et coéquipier, abandonné par suite par son épouse qui a demandé le divorce, ce qui l'a plongé dans la déprime. Bref, il n'est plus motivé par son boulot. Chargé de l'enquête dans ce commissariat d'habitude tranquille où les policiers n'ont pas l'habitude de faire du zèle, il choisit pour le seconder un jeunot fraîchement arrivé qui se révélera efficace. Et le lecteur de souhaiter que ces deux-là aboutissent dans leur enquête, dont le récit alterne à la troisième personne, à partir de la page 66, avec les chapitres où s'exprime la tueuse.

Le tout au présent, ce qui rend le récit très vivant. Et même si ce n'est pas de la grande littérature, le lecteur se laisse vite emporter par l'intrigue et d'une égale sympathie pour les deux clans... 

Il semble au lecteur, qu'arrivée à ce point du récit, l'auteure se soit trouvée dans une impasse. Car dès lors, comment faire avancer le roman? La tueuse doit être arrêtée, bien sûr, mais elle est sympathique au lecteur qui souhaite qu'elle s'en sorte. De même il faudrait que les policiers, dont Milland, qui a repris goût à la vie et à son métier, soient couronnés de succès, comme dans tout roman policier qui se respecte.
       C'est peut-être pour cela qu'à la page 286, le lecteur soudain ne comprend plus. Il y a basculement dans la folie. Merryl parle à une s
œur qu'elle aurait eue et qui serait revenue, qu'elle n'avait à aucun moment évoquée auparavant. Une sœur qui serait la coupable. Une sœur sur qui elle se décharge de ses crimes en quelque sorte.  Dédoublement de la personnalité, attitude paranoïaque, et comportement de plus en plus violent de Merryl lorsqu'elle se retrouve découverte, encerclée et acculée par les forces de l'ordre. À l'hallali.
       Tandis que Milland mis dans une situation similaire à celle de son manque de courage d'antan, cette fois, ne recule pas...

Le titre, L'ordre et le chaos, s'explique peut-être par ce début de roman logique et bien huilé où Merryl a un comportement apparemment raisonné, puis que survient tout d'un coup de façon totalement imprévisible ce basculement dans la folie et le chaos, même si l'on sentait que Merryl n'était pas psychologiquement bien nette dès le départ... Et cette fin, décevante pour le lecteur, bouclée en une trentaine de pages d'un roman qui en comporte 309.

 

 

 

La fête de l'insignifiance, de Milan Kundera (éd. Gallimard 2014)
       lecture par Marie-Françoise :

Écrire un roman où aucun mot ne serait sérieux, c'est ce qu'a voulu faire ici Milan Kundera. Est-ce à dire pour cela que ce roman est insignifiant? Non, car si sa trame en elle-même semble l'être, il est prétexte, par les réflexions philosophiques des personnages agrémentées d'une dose de non-sérieux, à mettre en lumière les problèmes les plus sérieux de la réalité de notre monde.

Il y a Alain qui se questionne sur le sexe des anges, sur le nombril et l'arbre d'Ève, cette généalogie issue de la toute première femme, celle sans nombril, à l'origine de l'humanité...
       Il y a Ramon, observateur, qui renonce à visiter l'exposition Chagall devant la queue et l'affluence de la foule qui s'y presse. Qui alors se promène au jardin du Luxembourg, où il observe des gens plus calmes.
       Il y a D'Ardelo qui apprend qu'il n'a pas le cancer, ce qui le rassure. Mais qui fera croire à ses amis qu'il est atteint de cette grave maladie, ce qui le valorise à leurs yeux par la force morale qu'ils lui découvrent, et à laquelle ils ne croyaient pas.
       Il y a Quaquelique, le silencieux, l'insignifiant, que les femmes préfèrent aux vantards. Ce qui les valorisent, elles.
       Il y a Charles qui lit les souvenirs de Nikita Krouchtchev, et à ses amis en raconte les passages drôles, dont l'histoire des vingt quatre perdrix et pourquoi le nom de Kalinine (affligé du besoin fréquent d'uriner) a été choisi par Staline pour renommer la capitale de la Prusse. Charles qui à partir de ces récits voudrait monter un théâtre de marionnettes.
       Il y a les mères d'Alain et de Charles. Celle d'Alain qui voulait avorter de lui. D'où son questionnement sur le nombril. Mère dont il garde la photo alors que jeune fille. Celle de Charles, que celui-ci chérit, malade puis agonisante.
      
Il y a Caliban, autrefois acteur, à présent serveur de cocktails avec Charles, qui parle un Portugais qu'il invente pour se faire croire étranger.

Il y a dans la société les excusards et les accusateurs. Gagnera qui réussira à rendre l'autre coupable. Perdra qui avouera sa faute. Lors d'une bousculade involontaire par exemple: qui va engueuler l'autre? Qui va s'excuser?

Il y a les blagues et l'époque d'après blagues, le retour à la nostalgie.

Il y a la question des droits de l'homme:
       «Regarde autour de toi: de tous ceux que tu vois, personne n'est ici par sa volonté. Bien sûr, ce que je viens de dire est la vérité la plus banale de toutes les vérités. À tel point banale, et à tel point essentielle, qu'on a cessé de la voir et de l'entendre.» (...)
       «Tout le monde jacasse sur les droits de l'homme. Quelle blague! Ton existence n'est fondée sur aucun droit. Même de finir ta vie par ta propre volonté, ils ne te le permettent pas, ces chevaliers des droits de l'homme.» (...)
       «Et la mère continua: Regarde-les tous! Regarde! Au moins une moitié de ceux que tu vois sont laids. Être laid, ça fait aussi partie des droits de l'homme? Et sais-tu ce que c'est que de porter sa laideur toute sa vie? Sans le moindre repos? Ton sexe non plus, tu ne l'as pas choisi. Ni la couleur de tes yeux. Ni ton siècle. Ni ton pays. Ni ta mère. Rien de ce qui compte. Les droits que peut avoir un homme ne concernent que des futilités pour lesquelles il n'y a aucune raison de se battre ou d'écrire de fameuses Déclarations!» (...)
       Alain se taisait, puis il dit d'une voix paisible: «De quoi te sens-tu coupable? De ne pas avoir eu la force d'empêcher ma naissance? Ou de ne pas t'être réconciliée avec ma vie qui, par hasard, n'est quand même pas si mauvaise?»
       Car il y a l'illusion de l'individualité.

Et enfin et surtout, il y a l'insignifiance qui donne son titre au roman: 
       «L'insignifiance, mon ami, c'est l'essence de l'existence. Elle est avec nous partout et toujours. Elle est présente même là où personne ne veut la voir: dans les horreurs, dans les luttes sanglantes, dans les pires malheurs. Cela exige souvent du courage pour la reconnaître dans ces conditions aussi dramatiques et pour l'appeler par son nom. Mais il ne s'agit pas seulement de la reconnaître, il faut l'aimer, l'insignifiance, il faut apprendre à l'aimer. Ici, dans ce parc, devant nous, regardez, mon ami, elle est présente avec toute son évidence, avec toute son innocence, avec toute sa beauté. Oui, sa beauté. comme vous l'avez dit vous-même: l'animation parfaite... et complètement inutile, les enfants qui rient...» «Cette insignifiance qui nous entoure, elle est la clé de la sagesse, elle est la clé de la bonne humeur...»

       lecture par Marie-Claude Holder :

Roman dans le monde d'aujourd'hui à Paris, dans les beaux quartiers. Milieu aisé de la culture, d'artistes, de créateurs, de comédiens, d'auteurs de théâtre, etc.
En 7 parties, 7 tableaux, comme une pièce de théâtre?
Roman court en français simple, pas une traduction.
Pas de vocabulaire ni de tournures grammaticales compliquées, beaucoup de dialogues, langage parlé entre les principaux personnages:
Alain, Ramon, Caliban, D'Ardelo, Charles, sont des hommes d'âge mur qui dialoguent d'un tableau à l'autre. Invités d'un cocktail, de bonne ou de mauvaise humeur, blagues, mensonges légers, vérité qui n'en est pas vraiment, désinvolture... semblant attentifs à l'autre et vite distraits. 
Insouciance et légèreté.
Des femmes en arrière-plan, des statues gloires du passé glorieux
― dans ce parc où «il y a» des enfants insouciants et légers qui jouent. («La vie est là, simple et tranquille» de Verlaine)
Derrière le côté mondain et léger d'un cocktail, des rêves et des souvenirs du passé entremêlés. Du passé soviétique de l'auteur à travers une blague loufoque, d'une mère qui ne voulait pas donner la vie dans un monde inutile, un «univers insignifiant», d'une langue maternelle oubliée par un exilé qui n'est pas compris... des épisodes de rêve ou du réel, des réminiscences de la vie passée.
La question, c'est celle du sens à donner à la vie et au monde. Être léger et «de bonne humeur», faire la fête dans un univers qui n'a pas de sens. S'éloigner du «sérieux des grandes vérités» qui d'un jour à l'autre ou d'une époque à l'autre de l'histoire n'en sont plus, et sont devenues des «utopies assassinées».

Troisième partie
Alain et Charles pensent à leurs mères.
Alain et le mystère du nombril, quand il a vu sa mère pour la dernière fois (p49)
assassinat, la femme veut mourir et elle tue
«celui qui a voulu lui imposer la vie est mort noyé. Et celui qu'elle voulait tuer dans son ventre reste vivant» p56

Cinquième partie p90
«unendliche Wohlgemutheit»
Hegel cité par Ramon
«dans sa réflexion sur le comique, Hegel dit que le vrai humour est impensable sans l'infinie bonne humeur: pas la raillerie, pas la satire, pas le sarcasme. C'est seulement depuis les hauteurs de l'éternelle bonne humeur que tu peux observer au-dessous de toi l'éternelle bêtise des hommes et en rire»

L'arbre d'Eve p101
Ramon rêve d'une voix féminine qui dit:
«Pour moi, c'est Eve, la première femme, Elle n'est pas née d'un ventre. C'est de sa vulve à elle, la vulve d'une femme anombrilique, que le premier cordon ombilical est sorti p101, 102, 103 
(naissance de l'humanité)

La chute des anges «Une utopie assassinée», après laquelle il n'y en aura plus aucune autre?
D'une époque dont il ne restera plus de traces? Des livres, des tableaux rejetés dans le vide? De l'Europe, qui ne sera plus l'Europe? Des blagues dont plus personne ne rira?
le sérieux des grandes vérités;

 

 

L'Identité, de Milan Kundera (éd. Gallimard 1998)
lecture par Marie-Françoise :

Chantal et Jean-Marc s'aiment et doivent se retrouver dans une ville normande trouvée par hasard dans un guide. Mais des circonstances fortuites feront qu'ils ne s'y rejoindront pas tout de suite.

Jean-Marc rencontre F., ancien ami volontairement perdu de vue, parce que Jean-Marc qui lui en voulait de ne pas l'avoir soutenu autrefois ce qui lui avait valu de perdre son poste. F. lors de cette rencontre lui rappelle qu'à l'époque Jean-Marc n'aimait pas, chez les filles, les sécrétions, le clignement perpétuel des paupières qui irrigue l'oeil, comme si le Créateur avait bâclé son travail. Jean-Marc ne s'en souvient absolument pas et se rend compte que les amis ne sont là que pour être le miroir de soi-même en vous rappelant des souvenirs. Or, lui, Jean-Marc, n'en a rien à faire. F. lui donne aussi des nouvelles de sa santé, lui raconte son récent coma au cours duquel il était resté lucide, mais comme en rêve. Il entendait les médecins qui disaient à côté de lui inconscient qu'il allait mourir. F. lui confie: «Je n'ai jamais eu peur de mourir. Maintenant si. Je ne peux pas me débarrasser de l'idée qu'après la mort on reste vivant. Qu'être mort, c'est vivre un cauchemar infini
       Ce qui plonge Jean-Marc dans la déprime et le pousse à avancer son départ pour rejoindre au plus vite Chantal, son aimée.
       Mais celle-ci, ne l'attendant pas si tôt s'est allée promener en bord de mer.
       Lorsque Jean-Marc arrive à l'hôtel, ne trouvant pas Chantal, il part à sa recherche sur la plage.
       Mais elle a déjà rebroussé chemin et c'est en une autre personne qui manque de se faire écraser par un char de plage qu'il croit la reconnaître et craint cruellement de la perdre lors de cet accident. Qui sera évité de justesse. Il se rendra compte alors avec stupéfaction que ce n'était pas Chantal. Qu'il a pu confondre son apparence physique avec celle d'une autre. Qu'il n'a pas su reconnaître la silhouette de l'être le plus aimé.
       Avant de rentrer à l'hôtel, Chantal est allée dans un café, où, s'étant plainte de la musique trop forte, elle craint de se faire agresser par un des clients qui lui barre le passage. Heureusement, elle finit par sortir sans problème, mais toute chamboulée et retourne à l'hôtel.
       Où Jean-Marc la retrouve enfin lorsqu'il revient.
       Mais il ne reconnaît pas son visage. Elle a l'air vieux. Se plaint de fatigue. Et prononce une phrase qui lui était venue à l'esprit en marchant: «Les hommes ne se retournent plus sur moi.» Puis rougit.
       Après quoi, au fil des jours, elle recevra des lettres d'un inconnu qui dit l'avoir remarquée, la suivre, etc.
       Chantal alors tentera de savoir qui est cet homme qui s'intéresse à elle. Passera en revue ceux de son entourage. Même un mendiant. Et imaginera une relation possible avec l'inconnu. Pour s'apercevoir de son erreur à chaque fois. Mais, des lettres qui continuent d'arriver, plus brûlantes, elle ne parle pas à Jean-Marc, alors qu'avant ils se disaient tout. Elle les cache dans son armoire à linge fin, sous ses soutiens-gorge.
       Il y aura entre Chantal et Jean-Marc "des sourires figés. Des gestes artificiels au goût de fausseté."
       Jean-Marc qui est l'auteur des lettres car il voulait lui montrer que non, qu'elle est toujours désirable, finit pas se rendre compte que Chantal n'est plus celle qu'il a connue. Qu'elle est capable d'imaginer une relation avec un autre.
       À certains objets légèrement déplacés Chantal finira par se rendre compte que Jean-Marc a trouvé sa cachette. Plus tard, elle déduira que c'est lui l'auteur des lettres. Elle lui en voudra. Alors, sur un coup de tête?, elle partira.
       Pour Londres. Par hasard? En gare, elle retrouve des collègues, car en fait, le voyage était prévu. Elle en avait même parlé à Jean-Marc.
       Alors Jean-Marc qui l'aime et dont elle est désormais la seule raison de vivre, part à sa recherche, prend le train pour Londres, seul indice qu'elle lui avait laissé. Il l'y voit discuter avec ses collègues.
       Dans le wagon où ils se trouvent, l'un d'eux dit:
       «Notre seule liberté est de choisir entre l'amertume et le plaisir. L'insignifiance de tout étant notre lot, il ne faut pas la porter comme une tare, mais savoir s'en réjouir.» «Elle [Chantal] se dit qu'elle a vécu dans une réclusion d'amour et qu'elle est prête maintenant à obéir au parfum de la rose et à son parfum grisant

C'est alors qu'ils vivront tous deux un cauchemar. Jean-Marc arrive devant une maison dont la porte est close pour lui. Il sait Chantal à l'intérieur au milieu d'une partouze. Chantal devant ses propres visions est prise de peur panique. Elle se réveille dans les bras de Jean-Marc qui crie «Chantal! Chantal! Chantal!»

Et l'auteur qui narrait ce récit de se poser ces questions :
       "Et je me demande qui a rêvé? Qui a rêvé cette histoire? Qui l'a imaginée? Elle? Lui? Tous les deux? Chacun pour l'autre? Et à partir de quel moment leur vie réelle s'est-elle transformée en cette perfide fantaisie?" "Quel est le moment précis où le réel s'est transformé en irréel, la réalité en rêve? Où était la frontière? Où est la frontière?"

Et le lecteur, de rester perplexe entre l'insignifiance et la puissance des rêves et de l'irréel dans nos vies.

 

 

La nuit de l'oracle, de Paul Auster (éd. Actes Sud 2003)
lecture par Marie-Françoise :  

Le narrateur, Sidney Orr, écrivain qui a été victime d'un collapsus, est de retour chez lui après un long séjour à l'hôpital. Convalescent, toujours aussi amoureux de sa femme Grace, il revient peu à peu à la vie et lors d'une promenade dans son quartier découvre une nouvelle papeterie au charme irrésistible tenue par un Chinois. Il y achète, ainsi que le matériel nécessaire pour se remettre à l'écriture, un étrange carnet bleu, made in Portugal, qui l'attire.

Rentré chez lui, il commence le même soir à écrire dans ce carnet, comme dans un état second, comme si une histoire lui était dictée. Celle d'un directeur littéraire d'une grande maison d'édition new-yorkaise qui vient d'échapper miraculeusement à la mort après qu'une gargouille tombée d'un toit ait failli l'écraser dans sa chute. La trame de départ de son récit, il la raconte aussi, c'est l'histoire de Flitcraft lue dans le Faucon maltais. Celle d'un homme, "mari, père, homme dont les affaires marchent bien et qui n'a à se plaindre de rien", qui échappe à la chute malencontreuse d'une poutre, et suite à cela, se rendant compte que "des événements fortuits nous guettent à chaque jour de notre vie, et [que] ces vies peuvent nous être ôtées à tout moment sans la moindre raison", en arrive "à la conclusion qu'il n'a pas le choix, se soumet à cette force destructrice", sort de sa propre vie et disparaît... Mise en abîme dans le récit, qui lui-même en comportera un troisième...

Dans un style simple en apparence, Sidney, qui parle de ses propres péripéties et de sa vie conjugale, s'exprime à la première personne. Mais il y mêle, à la troisième personne, des bifurcations, des histoires qui s'entrecroisent on l'a dit, qu'il invente à mesure qu'il écrit dans son carnet bleu le récit des agissements de Nick Bowen, c'est le nom de son personnage. S'y imbrique également l'histoire d'un manuscrit retrouvé que son personnage, Nick, parti brusquement lui aussi après la chute de la gargouille, est en train de lire. C'est un "Bref roman portant un titre suggestif, La Nuit de l'oracle, attribué à une romancière en vogue dans les années vingt et trente, décédée depuis plus de vingt ans." Ce manuscrit a été écrit par Sylvia Maxwell, la grand-mère de Rosa. Laquelle Rosa l'a confié à l'agent littéraire de la maison d'édition où travaille Nick. Rosa de qui Nick est tombé amoureux au premier regard...

Mais ce carnet bleu dans lequel Sidney, notre narrateur du départ, écrit, a une puissance magique, quelque peu maléfique, et le mènera à l'impasse... Et le lecteur de se demander comment diable il se sortira de cette impasse... 

Dans son roman, Paul Auster mêle amour, hasard, coïncidences troublantes, notion de temps et de destinée. Y sont exprimées des idées philosophiques sur le présent, le passé, l'avenir. L'auteur y confère aux choses simples de l'existence, un réalisme magique. Et la troublante idée de la possibilité qu'ont les événements imaginés par un écrivain de survenir dans le futur : 
       «Les pensées sont réelles, disait-il. Les mots sont réels. Tout ce qui est humain est réel et parfois nous savons certaines choses avant qu'elles ne se produisent, même si nous n'en avons pas conscience. Nous vivons dans le présent, mais l'avenir est en nous à tout moment. Peut-être est-ce pour cela qu'on écrit, Sid. Pas pour rapporter des événements du passé, mais pour en provoquer dans l'avenir

 

Les désenchantées, de Pierre Loti
lecture par Marie-Françoise :

Émouvant roman sur la condition des femmes de la haute société des harems de Turquie au tout début des années 1900 lorsque, ayant bénéficié d'une culture intellectuelle, elles restent cependant contraintes de ne vivre qu'entre femmes, sans avoir le droit de sortir après la tombée du jour. Sans avoir le droit de montrer leur visage aux hommes autres que les eunuques chargés de les surveiller ou de leur époux qui leur est imposé. Sans pouvoir avec lui discuter. Alors qu'après leurs lectures d'œuvres occidentales, elles aspirent à l'amour et au choix, à être libres de prendre leur envol, à s'exprimer, elles sont obligées de mener une vie de recluses, même si c'est dans le luxe.

Ce roman est aussi magnifique qui révèle la beauté de la Turquie, de ses paysages, ses villes, Istanbul, Constantinople, le Bosphore, la mer de Marmara, l'atmosphère orientale qui a charmé Pierre Loti lors de ses voyages et qu'il décrit si bien. Il y donne aussi un aperçu de la vie que les étrangers y mènent alors.

L'étranger du roman, c'est André Lhéry, écrivain renommé qui, ayant accepté un poste de diplomate à l'ambassade de l'ancienne Constantinople, revient pour deux ans dans ces lieux auxquels il est sentimentalement attaché. Il s'y lie d'amitié avec trois jeunes musulmanes très cultivées, après que l'une d'elles ayant lu ses romans, ait osé prendre contact avec lui par lettre.

Leurs rencontres à haut risque seront toujours, bien sûr, clandestines et voilées, qui permettront au lecteur occidental de connaître la vie de ces femmes des harems d'orient, dont l'auteur se fait ici la voix en déplorant par ailleurs les changements dus au progrès d'une Turquie qui s'occidentalise vivant les dernières heures de l'Empire ottoman.

"Aurez-vous bien senti la tristesse de notre vie. Aurez-vous bien compris le crime d’éveiller des âmes qui dorment et puis de les briser si elles s’envolent, l’infamie de réduire des femmes à la passivité des choses… Dites-le, vous, que nos existences sont comme enlisées dans du sable, et pareilles à de lentes agonies… Oh! dites-le! Que ma mort serve au moins à mes sœurs musulmanes ! J’aurais tant voulu leur faire du bien quand je vivais!… J’avais caressé ce rêve autrefois, de tenter de les réveiller toutes… Oh ! non, dormez, dormez, pauvres âmes. Ne vous avisez jamais que vous avez des ailes!… Mais celles-là qui déjà ont pris leur essor, qui ont entrevu  d’autres horizons que celui du harem, oh! André, je vous les confie; parlez d’elles et parlez pour elles."  

Dans son roman, Pierre Loti souhaitait pour les femmes d'Orient un changement de ces coutumes traditionnelles basées sur la religion, et nul doute qu'il eut lieu. Mais le cri de détresse de ses héroïnes est redevenu actuel avec l'émergence de l'islam politique dans les années 1970, lorsque la condition des femmes s'est dégradée dans plusieurs pays comme en Iran ou au Soudan, avec le cas limite de l'Afghanistan sous les talibans.

L'auteur, Louis-Marie-Julien Viaud, connu sous le nom de Pierre Loti, est né en janvier 1850 à Rochefort et mort le 10 juin 1923 à Hendaye. C'était un officier de marine français. Il bourlingua sur les océans, du Bosphore à Tahiti en passant par Valparaiso ou la mer de Chine. Ses récits de perpétuel voyageur connurent une audience populaire de son vivant déjà et enchantèrent plusieurs générations de lecteurs. Il fut membre de l'Académie française. Et si dans l'avant propos de Les Désenchantées, il présente son récit comme entièrement imaginé, on sait qu'il s'est nourri de ses innombrables voyages pour écrire et qu'une grande partie de son oeuvre est d'inspiration autobiographique...  

 

 

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