Le Café Littéraire luxovien /  Des lectures (9)

 

Table des lectures
Prix Marcel Aymé
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Marie-Blanche, de Jim Fergus (éd. Le Cherche Midi 2011; Pocket 2012 et 2019)
lecture par Marie-Françoise :

Voilà un roman dont la réputation n'est, certes, plus à faire, puisqu'il m'a été offert gratuitement pour l'achat de 2 Pocket. Et pourtant...

La quatrième de couverture nous indique que "Jim Fergus y retrace le parcours de sa grand-mère Renée de Fontarce Mc Cormick, femme de tête au caractère entier qui a connu un destin peu commun de son aristocratique France natale aux rives du Nouveau Monde en passant par l'Égypte". 
       Effectivement son parcours, de chapitre en chapitre, passionne le lecteur. 
       Mais en parallèle alternent des chapitres tout aussi passionnants consacrés à Marie-Blanche, la fille de Renée, qui donne d'ailleurs son titre au livre et est sans doute la plus importante des deux. Renée n'étant peut-être là que pour permettre à l'auteur, Jim Fergus, de comprendre sa propre mère, Marie-Blanche. Marie-Blanche qui, à l'issue du livre reprend ce qu'elle énonçait au début :
«C'est un lieu commun de dire qu'au moment de notre mort, notre vie entière défile devant nos yeux, à la manière des carnets d'enfants dont les pages se succèdent comme dans un dessin animé. Je sais aujourd'hui que la mémoire peut nous mener au-delà.»

Mais ce que nous donne à lire Jim Fergus, l'auteur en même temps personnage, n'est pas une biographie de l'une et de l'autre mais un roman, comme il l'indique dans sa note précédant le prologue: « Si un grand nombre de noms, événements, intrigues et péripéties — tous réels — apparaissent dans ce livre, celui-ci reste un roman, une fiction, une œuvre d'imagination qui se déclare comme telle. De la même façon, tous les personnages, y compris celui de l'auteur, sont des représentations fictives, qui peuvent éventuellement comporter certaines ressemblances avec des personnes réelles, mortes ou vivantes. Bien d'autres libertés ont été prises avec les «faits»

De cette Marie-Blanche, qui décevra une mère qui en attendait beaucoup mais ne lui témoignait pas d'affection ni n'éprouvait de sentiment pour elle, on notera le penchant atavique hérité de son père pour l'alcool. C'est d'ailleurs à l'occasion de ses échanges avec son thérapeute lors de sa dernière cure de désintoxication que l'on apprend certains détails de sa vie. Laquelle est narrée, — ou plutôt remémorée par une Marie-Blanche au moment ultime, on s'en rend compte à la toute fin du roman pourvu que l'on prenne la peine de relire ses paroles énigmatiques du début: «Dans la lucidité mensongère de l'ivresse, je vois l'arc immuable de mon existence: depuis la grande tour de Marzac jusqu'au balcon de cette pension, en passant par l'hôtel Drake à Chicago. Je sais d'où je viens, pourquoi je suis ici, vers où je me dirige. Je sais pourquoi j'ai tout jeté par la fenêtre, et ce qu'il faut jeter ensuite.» 
       Tandis que la vie de Renée, dans des chapitres datés chronologiquement, tout comme ceux consacrés à Marie-Blanche et qui leur alternent avec une régularité de métronome, est narrée, elle, à la troisième personne.
      
Il est à noter que toutes deux seront jeunes filles au moment d'une guerre. Renée, celle de 1914-18, sa fille Marie-Blanche, celle de 39-40. Ainsi que l'influence primordiale — qui pimente le roman —, qu'a eue dans la vie des mère, grand-mère et arrière grand-mère maternelles de Jimmy Fergus, le fameux oncle Gabriel, frère de l'époux d'Henriette la mère de Renée.

Enfin, pour tenter de comprendre Marie-Blanche, cette mère qui ne s'est guère occupée de lui non plus, Jimmy fait revenir comme un leitmotiv dans les souvenirs de Marie-Blanche, l'image des grottes préhistoriques aux peintures rupestres du Périgord que lui a fait découvrir et visiter, fillette, son beau-père. La grotte où son oncle Gabriel lui fait perdre son innocence enfantine. Celle où, à la fin du roman, elle revient s'enivrer. La grotte, cette matrice où Marie-Blanche aurait voulu rester... elle qu'on appelait Baby lorsqu'elle fit, un temps, des études de théâtre. Tout un symbole.  

lire une deuxième note de lecture

 

En finir avec Eddy Bellegueule, d’Édouard Louis (éd. Reclam Fremdsprachentexte*)
par Hildegard Thorand :

       Quand ce roman (autobiographique) d’Édouard Louis est sorti on en a beaucoup parlé. Et à juste titre ! Je suis heureuse de m’être penchée sur cet auteur et son œuvre, d’avoir vu et écouté ses interviews télévisées dans l’émission  "La Grande Librairie". 
       Sa perception de la société, de la politique est différente de la mienne et je trouve important qu’on nous rappelle que d’autres conditions de vie existent, qu’il faut qu’on en tienne compte avant de juger, avant de prendre position. 
       Un livre, un auteur qui incite à réfléchir, à remettre en question ses idées (préconçues?), son opinion. Et c’est bon !

Dora Bruder, de Patrick Modiano (éd. Reclam Fremdsprachentexte*
lecture par Hildegard Thorand :

       Quand, en 2014, Patrick Modiano a reçu le prix Nobel de la littérature je me sentais dans l’obligation de lire un de ses livres. Et, préférant les petits j’ai choisi Dora Bruder
       D’après Ernst Kemmer qui a commenté le texte, il n’y a pas peu de connaisseurs littéraires et de critiques qui disent que c’est sa meilleure œuvre et la plus importante jusqu’ici. 
       Denis Cosnard en dit: "Le (livre le) plus poignant, le plus fort de toute l’œuvre de Patrick Modiano." 
       Les derniers mots du commentaire de Kemmer: "Ce n’est pas le genre de livre qu’on prend plaisir à lire. C’est plutôt le genre d’ouvrage que l’on est ravi d’avoir lu." Il a raison !

* Reclam Fremdsprachentexte, ce sont de petits livres édités pour ceux qui n’ont pas le français pour langue maternelle. On y trouve le texte intégral de l’édition française et en surplus un glossaire, des informations sur l’auteur, la réception de l’œuvre et même des explications par exemple concernant le contexte historique, mais aussi (pour le premier) un compte rendu du portrait de l’homme, de l’image de la femme, de l’éducation, etc.

 

Une histoire d'amour et de ténèbres, d'Amos Oz (traduit de l'hébreu par Sylvie Cohen / éd. Gallimard 2004)
lecture par Marie-Françoise :

J'ai passé de bons moments à la lecture d' Une histoire d'amour et de ténèbres, gros volume de quelques 850 pages, d'Amos Oz.

C'est le récit autobiographique de l' auteur dont la famille juive originaire d'Ukraine s'installa d'abord à Vilna en Lituanie puis à Jérusalem où il est en 1939. Le roman couvre son enfance et son adolescence jusqu'à la perte tragique de sa mère dont il ne percera jamais le secret origine de la mélancolie, puis plus tard de son père écrivain expert en linguistique. 
       À signaler que la traductrice du roman a su admirablement adapter maints explications sur l'origine et le rapport entre les mots que ce père ne se lassait pas de donner: "Soudain il noua hâtivement sa cravate, enfila sa veste et décida de m'accompagner au car. À travers les rues désertes à cette heure matinale, nous avions porté ensemble le sac qui contenait mes maigres possessions. Papa n'arrêtait pas de plaisanter et de faire des jeux de mots. Il évoqua les sources hassidiques du mot «kibboutz», «collectivité», et le rapprochement intéressant entre l'idéologie kibboutznique et l'idée de koinonia, «communauté», qui vient du grec koinos, «commun». Et il précisa que koinonia avait donné kenounia, «complicité», en hébreu, et probablement aussi «canon» en musique."

Dans cette tragi-comédie familiale l'auteur confie de multiples anecdotes de son enfance emplies d'humour, et aussi, à travers les joies et les peines de ses parents, grands-parents, oncles, tantes, etc., leurs illusions perdues et leurs rêves avortés, l'Histoire de la difficile et douloureuse naissance de l'État d'Israël, que le lecteur découvre au fil des pages.  

Comme il découvre aussi le cheminement de l'auteur vers l'écriture. Enfant, il apprit à lire pratiquement seul très tôt et dévorait les livres quels qu'ils soient, désirant être un livre: "Des livres, en revanche, on en avait à profusion, les murs en étaient tapissés, dans le couloir, la cuisine, l'entrée, sur les rebords des fenêtres, que sais-je encore? Il y en avait des milliers, dans tous les coins de la maison. On aurait dit que les gens allaient et venaient, naissaient et mouraient, mais que les livres étaient éternels. Enfant, j'espérais devenir un livre quand je serais grand. Pas un écrivain, un livre: les hommes se font tuer comme des fourmis. Les écrivains aussi. Mais un livre, même si on le détruisait méthodiquement, il en subsisterait toujours quelque part un exemplaire qui ressusciterait sur une étagère, au fond d'un rayonnage dans quelque bibliothèque perdue, à Reykjavik, Valladolid ou Vancouver." 
      
Adulte, sa lecture du roman
de Sherwood Anderson, Winesburg-en-Ohio, le poussa à écrire sur ce qui l'entourait: "Grâce à lui, je compris brusquement que le monde de l'écrit ne tournait pas autour de Milan ou de Londres, mais autour de la main qui écrivait, là où elle était: le centre de l'univers est là où vous vous trouvez."

Enfin, en notre année 2020 de pandémie de coronavirus-covid-19, il est intéressant de souligner la phobie de sa grand-mère éprise d'hygiène et de propreté, qui lavait et récurait sans cesse, faisant une chasse acharnée et obsessionnelle aux milliards de microbes qui infestaient disait-elle Le Levant et risquaient de vous contaminer: "Il paraît que, dès le lendemain de leur arrivée à Jérusalem, elle imposa à grand-père la tâche qui serait dorénavant quotidiennement la sienne, été comme hiver: levé à six heures ou six heures et demie du matin, il pulvérisait du DDT dans tous les coins de l'appartement pour repousser les germes — sous le lit, derrière l'armoire, dans le cagibi et entre les pieds du buffet—, avant de s'attaquer aux matelas, aux draps et aux édredons. (...) Blanchir impitoyablement les fruits et légumes participait également de la lutte perpétuelle qu'elle menait contre les microbes. Elle désinfectait même le pain avec un torchon imprégné d'un antiseptique rosâtre appelé Cali. Après les repas, elle ne lavait pas la vaisselle, mais l'ébouillantait, comme pour la fête de la Pâque. Traitement auquel elle se soumettait elle-même : trois fois par jour, en toutes saisons, elle se plongeait dans un bain presque bouillant pour éviter la contamination. Elle vécut longtemps, les microbes et les virus qui la repéraient de loin, s'empressant de changer de trottoir..." Attitude outrée sans doute volontairement par l'auteur, qui lors de larges passages prête le lecteur à rire, mais qui fait penser à nos "gestes barrière", à la désinfection méticuleuse nécessaire des locaux qu'il n'est pas superflu d'appliquer en temps d'épidémie.

 

Un fauteuil sur la Seine : Quatre siècles d’histoire de France, d’Amin Maalouf de l’Académie française (éd. Grasset 2016)
lecture par Hildegard Thorand :

En 1629 un certain Valentin Conrart a créé à Paris, avec quelques amis, un cercle littéraire se réunissant à intervalles réguliers, leur moyenne d’âge était de trente ans c’est la naissance de la future Académie française, fondée en 1635 par le cardinal Richelieu. 
      L’auteur, Amin Malalouf, élu en 2011 au 29ème fauteuil de l’Académie française, raconte la vie des dix-huit personnages qui se sont succédé sur ce fauteuil. 

Quatre siècles d’histoire de France «Une histoire en dix-huit segments, pourrait-on dire, ou une traversée des siècles en dix-huit étapes, chacune en compagnie d’un "promeneur" différent.» racontée avec beaucoup de contexte historique, avec toutes les concaténations* entre l’église, la monarchie, les prélats, les philosophes, avec les amitiés, les inimitiés, les intrigues, les querelles. 
      On parle de la langue de Molière. Saviez-vous qu’il ne fut jamais membre de l’Académie? Saviez-vous que le maréchal Pétain était académicien et que l’Académie l’a exclu? Connaissez-vous l’origine de l’expression "avoir la bosse des maths"?

      On apprend sans avoir le sentiment d’apprendre au sens de s’efforcer d’apprendre, ce n’est pas comme c’était à l’école.

C’est un livre que l’on ne lit pas de la première à la dernière page comme un roman (policier) en attendant la fin mais plutôt comme un manuel écrit dans un style magnifique, digne d’un académicien. Sa lecture m’a procuré un grand plaisir.

*Enchaînement nécessaire, lien logique, rapport de cause à effet.

 

Variations-prairie, suivi de Mille Étangs, Lettre à Adèle, Colomban, de Françoise Ascal (éditions Tipaza juin 2020)
présentation par l'auteur :

       Cet ouvrage rassemble quatre textes qui ont en commun d’être enracinés dans un territoire étroit de deux-cent-vingt kilomètres carrés, situé en Haute-Saône, qu’on dénomme, depuis quelques décennies, Plateau des Mille Étangs.
       Les poèmes de Variations-Prairie, les proses de Mille Étangs accompagnées de la Lettre à Adèle, sont nés d’une longue intimité avec ces lieux.
       Le dernier texte résulte de déambulations au cours desquelles j’ai découvert qu’un moine irlandais du
VIe siècle avait vécu longuement sur ces terres. Grand défricheur, il contribua à en modeler le paysage et fut l’un des premiers à élaborer une idée d’Europe : Colomban.

lire la note de lecture

 

Du côté des Bordes, de Henri Vincenot
par Monique Armando :

J'ai retrouvé  l'auteur de La Billebaude et du Pape des escargots. Toujours amoureux de sa terre natale. Là il raconte, avec humour et poésie, avec vérité aussi, la vie des commis de culture dans les années 1940-45. Triste époque. J'ai passé un bon moment avec cette lecture.

 

Braves gens du purgatoire, de Pierre Pelot
par Bernadette Larrière :

J'avais eu du mal avec le début du livre et les phrases qui n'en finissent pas, mais une fois que j'ai eu repéré les personnages et les familles... ça allait mieux ! C'est particulièrement bien écrit dans les détails et avec des expressions franc-comtoises amusantes...
Lire une autre note de lecture sur Braves gens du Purgatoire

 

Justine, de Ginette Heliot David
par Bernadette Larrière :

Je ne connais pas cette auteure mais son roman tout en étant distrayant pose des questions sur le remords et le destin ...

 

Priez pour nous, et Le chagrin, de Lionel Duroy
par Odile Gardaire :

Il me semble que l'auteur répète beaucoup les mêmes anecdotes d'un livre à l'autre ; la lecture est plaisante, j'y retrouve l'ambiance des années 50/60 mais pas les problèmes de famille, heureusement ! quoique...

 

Blonde, de Joyce Carol Oates
lecture par Bernadette Larrière :

Ce récit m'a beaucoup intéressée par l'écriture et les portraits très bien dessinés de Marilyn bien sûr et aussi de sa maman et de ses différents maris, etc. et par la description de l'Amérique des années 1950 à 1960 ainsi que des endroits où elle a vécu. Le dédoublement de sa personnalité se découvre au fur et à mesure de la lecture: petite fille confiante et spontanée qui devient un sexe symbole avec son corps parfait, transcendé par ses succès au cinéma mais qui rêve de maternité etc., et évolue vers une fin tragique...

 

Ce soir, les souris sont bleues, de Pierre Pelot (éd. Denoël 1994)
lecture par Hildegard Thorand :

       Un village dans les Vosges, un été dans les années 80…
       Il y a la famille Onc’ Elian, Tatirène, Anjo (le fils d’Irène), Cinq-Six-Mouches (le neveu d’Irène), il y a Martinette et son frère avec leur bar / restaurant et il y a le couple Violet avec leur fille Mylène, des estivants.
       Le lecteur commence la lecture en toute tranquillité et il est de plus en plus plongé dans une histoire de famille
avec toutes les choses qu’on ne s’est pas dites, avec toutes les questions que l’un n’a jamais posées à l’autre, avec les petits et grands secrets, les mystères…
       Il y a un enfant mort, un mari mort, un suicide raté…, un homme qui attend vingt ans et plus…
       Ce roman de littérature générale est vraiment bien écrit, divertissant, il n’est pas dépourvu d’un certain suspense. Je l’ai lu avec impatience, j’avais hâte de que soient dévoilés les secrets (au moins quelques-uns), de terminer.
       Pour moi, le roman n’était pas tout à fait facile à lire mais cela a valu la peine!

 

La Robe de Déjanire, de Nadar (première édition publiée sous son nom Félix Tournachon, Recoules, Libraire-Commissionnaire, 1845 ; Michel Lévy, 1862 ; E. Dentu, 1882, ; disponible sur Gallica)
lecture par Marie-Françoise :

Il y est question d'amitié entre jeunes colocataires pauvres qui ont l'avenir devant eux : un peintre, un poète, un écrivain paresseux qui n'a encore jamais rien écrit mais rêve d'un avenir glorieux, un noble qui n'a de noble que la particule...
       Il y est question d'arrivisme, de magouilles pour s'enrichir par riche mariage, pour être élu en politique...
       Il y est question de passion et d'amour bafoué...
       Il y est question de vie de misère et d'expiation...
       C'est un roman très XIXe siècle... Par son style d'écriture, son discours moralisateur, sa satire de l'époque...

L'auteur né en 1820, publiait en 1845 sous son nom Félix Tournachon, cette première œuvre de jeunesse qu'il qualifia dans sa dédicace à un ami lors de sa reparution en 1861 de : « Méchant livre tout plein de bonnes intentions...» en poursuivant, «Elles nous ont fait voir pourtant, ces longues années, bien des défaillances et aussi bien des lâchetés, bien des trahisons, bien de petites et grandes hontes. — Tu n'as, toi, ni faibli ni vacillé par les plus rudes secousses; ni la persécution, ni les désespoirs de l'exil, ni la pauvreté avec ses angoisses, n'ont pu troublé un seul instant le calme de ton grand cœur, si tendre en même temps et plein d'éternelle indulgence. Tu es de ceux qui demeurent debout au milieu du niveau qui s'abaisse, et comme il suffit qu'il en reste quelques-uns pour montrer l'Exemple à nos enfants et leur conserver la sainte tradition de la foi gardée, du respect de soi-même et le Mépris, — cette souveraineté plus haute que toutes les puissances humaines
       Dans cette dédicace il rappelait aussi ce passage d'Homère qui lui fait penser a un honnête homme et donne sans doute son titre au roman : «Les soufflets de Vulcain poussent dans vingt fourneaux un souffle tantôt violent, tantôt ralenti, et fondent au brasier le dur airain, l'argent et l'or précieux. Ce sera l'impénétrable bouclier d'Achille

Selon le poète grec Homère, Déjanire, la femme d'Héraclès, jalouse de sa relation avec Iole, est responsable sans le vouloir de la mort de son époux.  Croyant fabriquer un philtre d’amour avec le sang du centaure tué par celui-ci, elle trempe sa tunique avec du sang en réalité empoisonné. En revêtant sa tenue, Héraclès est consumé par le poison. Il décide de se faire immoler sur le bûcher et demande à son ami Philoctète de l’allumer. Déjanire voyant ce qu'elle a fait, se tua de désespoir.

On peut penser que Nadar nourri par sa vie estudiantine a eu l'idée d'adapter à sa manière dans son roman, ce mythe universel qui mêle amitié, amour, jalousie et désespoir.

 

La chambre, de Françoise Chandernagor (éd. Gallimard 2002)
Lecture par Adéla :

Sans qu'il soit nommé, c'est le triste sort réservé, sous la Terreur, au second fils de Louis XVI et Marie-Antoinette... Dauphin depuis le décès de son frère aîné, il fut gardé dans le plus grand isolement en otage, "confiné", trois ans, dont longtemps sans soins, dans une chambre aux fenêtres cadenassées à abat-jour de la Tour du Temple, après les exécutions successives de ses parents... À travers sa fiction l'historienne et romancière qu'est Françoise Chandernagor, imagine à partir d'archives, de documents et de témoignages d'époque, ce qu'a probablement enduré physiquement et moralement cet enfant. Elle nous en fait un récit circonstancié et poignant, allant jusqu'à parfois dialoguer avec quelques-uns des nombreux responsables qui, suivant "distraitement, presque innocemment" les ordres administratifs, furent à l'origine de la mort prématurée de l'enfant  séquestré, en faisant en quelque sorte le procès.

"Certains matins quand il s'éveille dans le lit rouge et bleu, il est tellement endolori qu'il a l'impression d'avoir passé la nuit sur les genoux d'une statue de pierre."
       "Mon père et ma mère m'ont abandonné. Ne se souvient pas. Des bribes de phrases parfois. "
       "Il soupire, se laisse habiller comme un mannequin, va aux cabinets comme un automate, puis se rassied devant le poêle, comme un vieillard."
       "Il a vécu en accéléré. Ses quatre ans furent son apogée. Il possédait alors tout ce qu'il devait jamais avoir en ce monde (...) À cinq ans il était dans son âge mûr; à six, il entrait dans la caducité; à sept, huit, ce fut le déclin; bientôt ce sera l'agonie. Il vivra dix ans et trois mois. Mais toute vie achevée est une vie accomplie: de même qu'une goutte d'eau contient déjà l'océan, les vies minuscules, avec leur début si bref, leur infime zénith, leur fin rapide, n'ont pas moins de sens que les longs parcours. Il faut seulement se pencher un peu pour les voir, et les agrandir pour les raconter."

 

 

L'île aux troncs, de Michel Julien (éd. Verdier 2018)
lecture par Marie :

C'est l'histoire imaginée de deux amis, des vétérans soviétiques "confinés" comme d'autres sur l'île de Valaam où on les a exilés parce que mutilés. Anciens soldats sans jambes, sans bras, amputés de guerre ils mendiaient dans les villes où au début ils étaient fêtés comme des héros, jusqu'à ce que leur vue devint désagréable, gâcha le paysage des villes et qu'on les relégua loin des yeux dans cette île du Nord... On les appelait les samovary. Leur déportation fut une réalité dans les années 1950, mais on ne sait dans quelle proportion elle se fit... les sources ayant été détruites ou tenues secrètes.
       On retrouve ici la belle écriture de l'auteur teintée de doux humour déjà appréciée dans
Denise au Ventoux, aussi je m'attendais à une fin tragique lorsque après quatre ans de proscription dans l'île les deux amis tentèrent de traverser le lac gelé pour rendre hommage à leur héroïne de cœur, une aviatrice, Natalia Makline, héroïne dont ils ont la photo... on la frisa seulement...

 

 

Mangez-le si vous voulez, de Jean Teulé (éd.  Julliard 2009)
lecture par Adéla :


       Écrit à partir d'un fait vrai : une hystérie collective qui, en 1870, conduisit involontairement la foule soudain rendue aveugle et barbare à cause d'un "mal-entendu", de paroles mal interprétées, à lyncher, torturer, brûler vif et même manger en partie un jeune Périgourdin, intelligent et pourtant très apprécié, lors de la foire de Hautefaye où il s'était rendu. Le prenant pour un "étranger", pour notre pire ennemi, dans cette période de l'Histoire où la France est en guerre contre la Prusse. 
       Jean Teulé dans ce petit livre très dense, raconte dans le menu le véritable Calvaire de ce jeune homme récemment élu à l'unanimité au conseil municipal de Beaussac, le village voisin. Il nous le retrace, avec en vis-à-vis le plan des rues, de la place du village, les lieux des différentes stations... Ce, de façon assez technique, je trouve. Car si on devine l'atroce souffrance du supplicié, elle n'est pas véritablement dite, on n'entend pas son cri de douleur qui serait insoutenable, pourtant, la foule et ce qu'elle fait est souvent vue depuis les yeux du jeune homme, et ses paroles pour tenter de se faire reconnaître sont rapportées...
 

      Lu, pensant qu'il serait drôle venant de cet auteur, et sans avoir pris la peine de suffisamment décrypter la quatrième de couverture... j'ai pourtant continué à lire ce chemin de croix qui d'acte de barbarie en acte de barbarie, retient pourtant le lecteur puisqu'il espère, si comme moi il ne connaît pas l'horrible aboutissement... que le jeune homme, dont quelques-uns des amis tentent de dissuader la foule, s'en sortira.

 

 

Denise au Ventoux, de Michel Jullien (éd. Verdier 2017)
lecture par Marie :

Très beau et émouvant récit, d'une belle écriture, d'un agréable humour tranquille dans la première moitié, puis provoquant chez le lecteur une montée de larmes incoercibles qui voilent le regard et rendent la lecture difficile de toute la fin du livre… lorsque l’auteur narre minute par minute, la longue et lente agonie de la chienne qu’il avait en garde et qui s’était attachée à lui. Chienne qu’il promenait au mont Ventoux précisément où elle s’est blessée mortellement dans une chute, sans qu'il puisse la laisser pour chercher des secours, il est trop loin de tout, ni la transporter, ni avoir le courage d'achever ses souffrances...

 

 

Les simples, de Yannick Grannec (éd. Anne Carrière août 2019) 
lecture par Brigitte Grillot :

Nous sommes à la fin de la Renaissance, en 1584, près de Vence dans l'arrière-pays niçois. Dominant de son promontoire rocheux la vallée du Loup, une abbaye de religieuses bénédictines est renommée pour sa culture des simples*, c'est-à-dire des plantes médicinales, ainsi désignées par opposition aux remèdes composés de la médecine traditionnelle.

Ces plantes que récoltent les moniales spécialement sœur Clémence, l'herboriste et doyenne de la communauté , pour partie soignent les malades du dispensaire, pour partie sont vendues, assurant au monastère des ressources financières convoitées par le nouvel évêque de Vence. Ce dernier charge deux vicaires d'inspecter l'abbaye afin d'y découvrir motif d'accusation des religieuses.

Les simples ne sont pas le thème principal de ce livre, ni même la lutte bien présente entre Clergé régulier et séculier. Domine l'organisation de la vie monastique, avec ses rites, ses hiérarchies qui commencent par opposer la classe des Marthe et celle des Marie, le rôle de quelques moniales; dominent les vocations religieuses contraintes, par autrui ou par soi-même.

Ce roman historique très documenté, habilement structuré autour de quelques personnages principaux revenant tour à tour, je ne le conseillerais peut-être pas aux jeunes, car l'intrigue longue à venir, les thèmes de la religion, du Moyen-Âge, de la botanique (chacun avec son vocabulaire spécifique) peuvent les rebuter. Pas une lecture pour la détente, il faut demeurer attentif. Hormis ce vocabulaire, le style est aisé, les dialogues surprenants même de vulgarité. C'est que les religieuses ne parlaient pas une langue aussi châtiée qu'on pourrait le croire. Et puis Yannick Grannec semble apprécier l'humour.

Impression mitigée à l'issue de cette lecture, l'intrigue n'égalant pas et d'autant moins qu'elle souffre de plusieurs similitudes avec Le nom de la rose d'Umberto Eco la qualité didactique du roman, ni la poésie de certains passages (j'en aurais voulu plus) sur la nature et les plantes.

"Quatre saisons dessinent la roue d'une éternelle résurrection: de la racine à la feuille, de la fleur au fruit, les sucs montent vers la lumière puis rejoignent le repos de la terre avant de rejaillir et de s'endormir encore, mais dès qu'ils sont cueillis, les simples meurent doucement. Elle a tenté différents séchages, décoctions, macérations ou effleurages. Elle a travaillé avec le vinaigre, le vin, l'olive, le miel ou le suif, les pots de faïence ou les fioles de verre. Elle a essayé toutes sortes de prières et quelques invocations locales, rien ne remédie au temps: en quelques mois, les tisanes n'ont pas plus de vertu que le foin; les huiles et les cires rancissent. Tout pourrit, s'effrite et disparaît. Chaque année, tout est à recommencer. Sœur Clémence partira sans avoir pu capter l'âme fugace des simples, le souffle secret qu'y a placé le créateur."

* Les simples : nom masculin pluriel. On disait aussi : les simples médecines.


par Marie-Françoise :

J'y ai aimé ces longs moments consacrés aux plantes et leurs vertus (même si l'auteure dit dans son prologue en avoir inventé quelques-unes), quant à l'ordalie finale, elle m'a fait penser à Mangez-le si vous voulez de Jean Teulé... 
       C'est vers cette fin seulement que l'on ressent que Fleur, la fillette sans cesse à ricaner dans les pieds de sœur Clémence, n'est autre qu'elle-même... 
       C'est un roman où raison et fantastique /ou déraison, se côtoient... 
       Dans lequel Le loup est présent, par la rivière du lieu qui en porte le nom; par la rebouteuse de la contrée, appelée la Malejambe, qui se change(rait) en louve; enfin par les sœurs du couvent elles-mêmes qu'on appelle les louventines... 
       Quant au face à face final qui réunira Gabrielle (novice) et Léon (jeune vicaire), puisqu'il y a intrigue amoureuse refoulée qui court au long de ce récit, au lecteur de l'imaginer.

 


Entre deux mers, d'Axel Kahn (éd. Stock 2015) 
lecture par Monique Litzler :

Je me suis passionnée pour ce livre d'Axel Kahn, un scientifique, qui narre ici sa marche à pied de plus de deux mille kilomètres, à l'âge de soixante-dix ans, sur des terrains accidentés et des dénivelés conséquents sur des chemins reliant la Pointe du Raz en Bretagne à Menton à la frontière italienne. Physiquement ce périple fut pour lui un vrai voyage au bout de soi avec genoux douloureux, épaule déboîtée, qui ne l'ont pas empêché de continuer. Marchant une moyenne de trente kilomètres par jour, il nous conte l'histoire de la faune et de la flore, entre désertification des campagnes et désir d'authenticité. Il narre ses rencontres, ses discussions aux étapes avec des habitants attachés à l'identité de leur territoire. Il nous livre ses réflexions sur l'état du pays entre déshérence et résilience. 
       Ce qui m'a beaucoup plu aussi c'est la petite mascotte chevaline, qui telle les doudous des enfants, l'accompagne en lui remontant le moral. Respiration qui rend ce récit de périple pédestre très vivant et plein de notes d'humour qui divertissent et font sourire.

 


Elle qui ne sait pas dire je, de Pierre Pelot (éd. Plon 1987, et Héloïse d'Ormesson 2014)
lecture par Marie-Françoise :

Curieux roman où le lecteur est sans cesse dérouté.

D'abord, il y a "Elle", cette Juliette de vingt ans qui ne sait pas dire je. Qui voudrait être ailleurs, est là tout en étant absente et dont le regard vous traverse. C'est la fille d'un guérisseur renommé décédé.

Il y a Cardo, venu pour des soins après s'être plusieurs fois perdu sur les chemins dans une vieille voiture prête à lâcher. Il semble aussi perdu dans le compte du temps puisqu'il croit que treize ou quatorze mois se sont écoulés entre l'hiver de sa première venue avec son épouse cancéreuse et l'automne où nous sommes, alors qu'il n'y en a eu possiblement que huit ou dix... Écart de temps entre ses deux venues en Haute-Saône dans le petit village reculé du rebouteux, qui, à la réflexion, n'est sans doute pas une erreur de l'auteur... Puisqu'il y a dans la narration du vécu des événements présent mêlés à d'anciens remémorés par l'un ou l'autre, des longueurs, sans qu'on sache toujours dans quel temps l'on est ni de quel personnage il est question lorsque dans la même phrase la pensée passe du "il" a un autre "il" qui n'est plus le même, ou d'une "elle" a une autre "elle" qui n'est pas non plus la même...

Autre personnage d'importance est le frère de Juliette qui croit que leur père de par son activité non gratuite a forcément amassé une fortune non dépensée qui reste à trouver. Persuadé que leur père a transmis son don à sa sœur, il voudrait qu'elle prenne sa suite. Il y a aussi leur vieille mère perdue dans ses pensées depuis la mort de l'Index ainsi appelait-on le guérisseur. Et Christiane la jeune tenancière intéressée du Café. Il y a également le frère jumeau de Cardo, resté seul en Lorraine avec l'épouse malade en l'absence de ce frère dont il ne croit pas en la démarche.

Le roman avance entre les actions du présent, alenties par les pensées comme elles émergent sans doute dans la tête des personnages, et du narrateur, qui sait bien lui, à qui chacun pense, alors que le lecteur doit faire l'effort de transition à chaque instant...

Enfin, est annoncé dans la quatrième de couverture que ce roman est "tellurique". Il y est en effet beaucoup question de la nature et des lieux en symbioses avec les personnages. Lors de ces saisons d'automne encore très chaud et d'hiver, la cache de "elle"/Juliette au milieu des ronciers, la maison qui recèle un possible trésor, le pèlerinage de Cardo et d'"elle" pour guérir son épouse... Ce qu'"elle" devait faire et "où" et comment il fallait le faire... et les villes qui l'attirent.

 

Du plomb dans la neige, de Pierre Pelot
lecture par Marie Montcharmont : 

J'ai lu ce livre dans le cadre du café littéraire luxovien. Je ne connaissais pas du tout cet auteur dont, pourtant, la liste de livres est très longue. Je trouvais le résumé de celui-ci intrigant, donc je me le suis pris sur ma liseuse. 

C'est une histoire qui se passe dans un minuscule village où deux hommes arrivent un soir, bravant la neige. C'est l'arrivée d'un troisième homme qui va bouleverser la vie de ce village, et plus particulièrement celle de David, un de ses habitants. 

Je m'attendais à quelque chose d'oppressant, de mystérieux. Je pensais, au vu du résumé, que ce serait hyper étouffant, mais en fait pas tant que ça. Il y a pas mal d'action au final. Je trouvais le début sympa et puis ensuite c'est devenu un peu longuet, jusqu'à un retournement de situation que je n'avais absolument pas vu venir. Ce qui fut une bonne chose. Mais, la suite ne m'a pas non plus retourné le cerveau. J'étais tout de même curieuse de savoir comment tout allait se terminer, mais je n'ai guère ressenti d'enthousiasme à ma lecture. Du coup, je suis un peu déçue. 

Les personnages ne sont pas spécialement attachants, même si j'espérais qu'ils fassent les bons choix. C'était bien écrit, et on sent bien l'ambiance glaciale de la neige. C'est une histoire tout de même assez sombre et que j'ai lue plutôt rapidement parce que j'avais quand même envie de savoir la fin. Une fin qui n' est pas mal, mais un peu brutale, si bien que j'ai un goût d'inachevé dans la bouche. 

J'essayerai tout de même un autre livre de l'auteur, afin de voir un peu ce qu'il peut écrire dans d'autres domaines.

 

Pour le plaisir et pour le pire - La vie tumultueuse d'Anna Gould et de Boni de Castellane, de Laure Hillerin
lecture par Bernadette Larrière :

Laure Hillerin est une biographe spécialiste de la Belle Époque. Elle nous conte par le menu l'épopée du dernier dandy de la fin du XIXe siècle au quart du XXe. Il s'appelle Boni de Castellane, descend d'une d'une des plus anciennes familles de la noblesse française, et aussi du grand Talleyrand. 

Aristocrate très élégant, étincelant,  il est invité dans les salons mondains de la fin du XIXe où il tient une place d'honneur  et rayonne de son aura naturelle... Mais il est aussi très désargenté ! 
       Il a envie de connaître la vie outre Atlantique comme c'est la mode dans ce milieu, et après avoir conquis le c
œur des admiratrices de son monde, il s'embarque pour New York et ne tarde pas à s'imposer dans un tout autre milieu, beaucoup moins aristocratique, celui des Nouveaux Riches  qui ont accumulé leur fortune au cours  du formidable développement industriel de la deuxième moitié du XIXe aux États Unis.

Il courtise ardemment Anna Gould, la plus jeune fille d'un nabab de Wall Street, qui n'a ni son charme ni sa beauté. Son père Jay Gould règne entre autres sur les chemins de fer de la nouvelle nation américaine, mais est détesté par tous les hommes qu'il a réduits pour construire son empire abyssal. La riche héritière est très courtisée, c'est une jeune femme assez disgracieuse et taciturne au caractère fantasque ; elle se laisse séduire par  Boni et par l'idée de la légitimité de sa fortune en épousant ce radieux gentilhomme (même s'il est sans le sou) et d'aller vivre en France et surtout à Paris. Le mariage a lieu à New York, le 4 mars 1895 au cours d'une journée de festivités d'un luxe inouï... 
      
Au cours des années qui vont suivre Anna va déchanter par rapport à la vie mondaine menée dans d'anciens châteaux de famille, elle préfère Paris, qu'à cela ne tienne! son époux fait construire avec l'argent de sa dot dans le 16e arrondissement un hôtel particulier somptueux qu'il décore avec un goût très sûr et des objets rares et très chers. Il y donne des fêtes extraordinaires pour des invités exceptionnels qu'il reçoit merveilleusement. Anna ne sait pas apprécier la beauté et le goût de son mari pour la décoration mais assiste aux fêtes peu enjouée. Boni a une cour qui l'idolâtre et sans doute quelques maîtresses...
       Du couple naissent trois enfants auxquels Boni voudrait donner une éducation artistique, littéraire et politique car il s'intéresse de plus en plus à la vie politique. Il a des idées européennes avant l'heure! 
       Mais la vie de château ne dure pas longtemps car Anna demande le divorce au bout de onze ans et Boni aura grand peine à voir ses enfants... Elle repartira en Amérique le laissant seul et ruiné. Mais il ne désespère pas et garde jusqu'au bout sa belle allure. 
       Après son décès en 1832, puis celui d'Anna en 1961, son hôtel particulier qui n'était autre que le fabuleux "Palais Rose" fut vendu par ses héritiers, non sans avoir été convoité par les monuments historiques...

Ce livre m'a intéressée parce qu'il se situe dans un contexte historique et que l'auteure l'a écrit dans un style alerte, détaillé et ultra documenté, il m'a fait penser à certains passages de La recherche du temps perdu de Marcel Proust.

 

Pauvres z' héros, de Pierre Pelot
par Monique Armando :

C'est l'histoire d'un petit garçon autiste de 6 ans perdu dans la forêt lors d'une promenade. Cela se passe dans un village retiré d'une campagne vosgienne, les habitants sont miséreux, analphabètes et alcooliques. Je ne vous dis pas ce qui arrive au petit garçon, c'est trop dur et terrible. Un véritable roman noir. Je n'aime pas ce genre de lectures mais c'est très bien écrit ça donne envie de lire autre chose de l'auteur.



Les derniers jours de nos pères, de Joël DICKER
par Monique Armando : 

Je ne connaissais pas cet auteur mais ça m'a beaucoup plu. Ça se passe en 1940. De jeunes français s'engagent dans l'armée anglaise pour combattre les allemands qui allaient anéantir Dunkerque. Ils sont dans un camp d'entraînement. Chaque personnage a son caractère et son histoire. C'est une belle histoire d'amitié, d'amour filial surtout et d'amour tout court.

 

Le livre brisé, de Serge Doubrovsky (éd. Grasset & Fasquelle, 1989)
lecture par Marie-Françoise :

Le début du roman, constitué d'allers et retours entre la déploration de l'auteur de n'avoir pas fait la guerre: «Quarantième anniversaire, l'An Quarante, inévitablement me secouent. Le branle-bas de combat m'ébranle. Cette guerre que je n'ai pas faite, cette Victoire: ma défaite. Au champ d'honneur, si on n'a pas été présent, ça creuse une éternelle absence.», le fait que juif échappé au four crématoire il est en survie depuis quarante ans et sa lecture de Sartre, pourrait donner à penser que la narration d'anecdotes intermédiaires de déboires familiaux n'est amenée par l'auteur que comme respiration apportée au lecteur au cours de ses profondes cogitations philosophiques sur l'écriture générées par sa lecture de Sartre (La nausée, Les mots) et la célébration de la Victoire, alors que son épouse est absente.
       «La philo est une forme d'autobiographie, plus subtile, épurée. Qui passe par l'enchaînement des concepts, au lieu d'enfiler les anecdotes. Mais ça raconte quand même une vie. La vie.» (...) Ma vie. La réelle, l'imaginaire, je l'ai retrouvée, transsubstantiée mais quintessentielle, à chaque étape, en lisant Sartre. Pas forcément reflétée: contredite, moquée, bafouée. Certains bouquins me traînent dans la boue intime. Ils me font honte. La solitude originelle du pour-soi, pour lui, ce n'a été qu'un départ, un stade initial. Il l'a dépassée. Dans son existence, dans ses écrits. Moi pas.»

Ça c'est pour la première partie intitulée Absences. Car c'est lors d'un séjour à Paris de son épouse Ilse (de quelque trente ans plus jeune que lui) dans l'espoir d'y trouver un travail, alors qu'il est à New-York où il est enseignant et prépare un cours sur Sartre, qu'il continue d'écrire le livre que nous lisons. Roman autobiographique sur leur couple, suggéré par Ilse et sur lequel elle donne son avis pertinent, chapitre après chapitre, au cours de son écriture. Où, jalouse, elle veut cette fois être le personnage principal au risque de TOUT dire de l'enfer dans lequel souvent baigne leur couple.

Effectivement Ilse finira par prendre toute la place dans la deuxième moitié du livre à partir des chapitres Avortements et Beuveries et plus dramatiquement dans la deuxième partie intitulée Disparition qui tient le dernier tiers de cette autofiction (terme inventé par Doubrovsky lui-même) de 416 pages que l'auteur/époux lui dédie en ces termes: 
               Pour Ilse 
               Par Ilse 
              
SON LIVRE
 
       Mais
«Pour être une héroïne de roman, FAUT ÊTRE MORTE, un prix trop lourd à payer, la littérature, ça vaut la peine de vivre, pas de mourir pour elle»...

De caractère intimiste qui frise l'exhibitionnisme où le lecteur souvent se sent voyeur, ce roman de plus en plus prenant, se lit aisément grâce à cette oscillation entre anecdotes et réflexions profondes, entre sentiment de culpabilité et d'innocence, mais aussi à cause du style propre à Serge Doubrovsky, piquant par ses incessants jeux de mots et de sonorités, son humour juif en somme. Écho des mots et des sons, véritable plaisir de lecture, qui continue de nourrir le récit même lorsque celui-ci devient poignant.

 

Les Canards boiteux, de Pierre Pelot
par Michèle Larrère : 

Il me reste encore quelques pages à lire dans Les canards boiteux, dont j'apprécie les descriptions détaillées en tous domaines tout en regrettant la situation en flash back très à la mode dans les années 70 qui m'agace à chaque rencontre. 
       J'ai aussi remarqué une grande similitude descriptive de l'atmosphère campagnarde avec un important passage dans Anna Karénine que je relis depuis deux mois (667 pages tout de même) Pierre Pelot devait bien aimer Tolstoï. 

Lire une autre note de lecture 

 

Vincent, le chien terriblement jaune, de Pierre Pelot
par Hildegard Thorand :

Il  s’adresse aux enfants, l’illustrateur c’est Dylan Pelot, le fils de Pierre.  C’est un joli livre, facile à lire :-). 

Le désert des tartares, de Buzzati
par Bernadette Larrière :

      Le Désert des Tartares m'a tenue en haleine tout le long et m'a fait réfléchir à notre destinée de mortels...

 


Le cycliste de Tchernobyl, de Javier Sebastián  (éd. Métaillié 2013)
Lecture par Julie :

Dans un self-service des Champs-Élysées, un Espagnol (le narrateur de ce récit fait a posteriori), a rencontré un vieil homme apparemment malade, désorienté et sans papiers, qui semble ne savoir dire qu'une chose : « Ne les laissez pas me tuer».  Il lui vient en aide et peu à peu découvre son histoire. C’est celle, librement imaginée par l’auteur à partir de certains épisodes de la vie de Vassili B. Nesterenko, physicien spécialiste du nucléaire qui a réellement existé et est devenu un homme à abattre pour le KGB pour avoir tenté et voulu continuer de contrer la désinformation systématique autour de Tchernobyl.

Le récit de cet Espagnol relate la période qui va de la Conférence internationale sur les poids et mesure de 2007 où il s'était rendu, à août 2008, date de la mort de Vassia  (nom donné Vassili B. Nesterenko), durant laquelle il a tenté de l’aider. Il est entrecoupé de ce que lui a confié le vieil homme sur ses actions passées et de larges passages plus documentaires sur la catastrophe et la façon dont elle fut traitée.

Nous découvrons ainsi que le physicien était intervenu comme liquidateur sur le site de la catastrophe en le survolant par hélicoptère dans les premiers moments lorsque le réacteur nucléaire de la centrale de Tchernobyl explosa en mars 1986 afin de déterminer la marche à suivre pour le refroidir. Que plus tard il mesura le niveau de contamination radioactive des sols et l’évolution des taux d'irradiation de la population. Qu'il préconisait de distribuer rapidement des pastilles d'iode, mais ne fut pas suivi par les autorités qui  haussaient les seuils auxquels la radioactivité était nocive pour l’organisme. Qu'il tenta de contrer la désinformation systématique des autorités en alertant l'opinion publique internationale sur les conséquences sanitaires de la catastrophe. Ce qui lui valut de devenir un homme à abattre par le KGB. Que son combat pour montrer l'ampleur du danger nucléaire a occupé toute la fin de sa vie, de 1986, date de l'accident nucléaire, jusqu'à sa mort.

Pour échapper à ses poursuivants, Vassia s'était, dans un premier temps, réfugié à Pripiat, ville évacuée située dans la zone interdite à trois kilomètres de la centrale de Tchernobyl. Ville déserte où cependant vivent, ou plutôt tentent de survivre au milieu de la radioactivité, ceux qu'on appelle les samisiol. Ce sont ceux qui n'ont pas voulu quitter leur sol, leur maison, ceux qui sont revenus chez eux parce qu'on a pas voulu d'eux ailleurs, ceux qui y sont venus pour se cacher, ceux qui y sont venus pour tester les effets de la radioactivité sur leur propre corps. Vivant seuls en se cachant au début, ils ont tenté de se regrouper sous l'impulsion du physicien qui croyait en la possibilité d'y reformer une communauté humaine. Pripiat à présent visitée sous certaines conditions, par les touristes...

Lorsque cela fut possible, Vassia se fit rapatrier par une ONG à Paris, où il poursuivit son combat. Mais, après y avoir subi deux attentats, il déchira ses papiers et était entré volontairement dans l'anonymat espérant être pris en charge par le Samu social, lorsque le narrateur espagnol le rencontra.

L’aspect documentaire de ce roman qui ravive de façon aiguë dans nos mémoires le déroulement et la gravité des conséquences à si long terme de l’accident nucléaire de Tchernobyl n’est nullement lassant. La fuite de Vassia, l’aide à lui apportée par cet Espagnol imaginé par l'auteur, apporte une dose de suspens qui retient le lecteur. D’émotion aussi, par les liens qui se créent entre les personnages de la communauté de Priapia, et lorsque l’auteur fait revenir Vassia finir ses jours à Pripiat auprès de son épouse Ilsa où les autorités l'ont amenée (alors qu'en réalité Vassili B. Nesterenko est décédé à Minsk comme il est indiqué au lecteur en page 10). 
       «Ils savent tous qu'ils doivent partir. Sinon ils vont mourir. Et pourtant ils sont là.» Peut-être parce qu’il leur y est possible d’y vivre plus librement et plus humainement qu’ailleurs ?

 

 

Demain les chats, de Bernard Werber (éd. Albin Michel 2016 Livre de Poche 2018)
Lecture par Julie

Dans un Paris où des actes de terrorisme se multiplient, où des manifestations dégénèrent, où la guerre civile s'installe, la chatte Bastet narre son histoire et s'interroge sur le comportement insensé des humains. Elle aimerait pouvoir communiquer ses pensées à sa «servante» Nathalie et communiquer avec les individus des autres espèces animales que les félins. 
        Grâce à Pythagore, le chat siamois de la maison voisine
ancien chat de laboratoire doté d'une prise USB sur le crâne , elle apprend peu à peu l'Histoire des chats sur terre en corrélation à celle de l'humanité. 
       Mais la situation extérieure empire, dans la rue et sur tous les points de la planète les hommes s'entretuent, les maisons brûlent, la nourriture vient à manquer, les rats à proliférer, et avec eux l'épidémie de peste se déclare. 
       Bastet, Pythagore et les chats qui se mobilisent parviendront-ils à vaincre ces ennemis qui ne connaissent que la violence et ne pensent qu'à tuer? Parviendront-ils à mettre en place une communauté éduquée où régnera la communication et l'entente entre les individus et les espèces?
       Mêlant science-fiction, philosophie et spiritualité, cette épopée plaisante et prenante,
qui décrit très bien les différents comportements des chats dans la réalité et devrait plaire aux amoureux de ceux-ci , tente à travers la vision qu'ils peuvent avoir des humains, de comprendre la place de l'homme dans l'univers. C'est une véritable leçon de sagesse pythagoricienne : « …Tout ce qui m'entoure est là pour m'instruire. Tout ce qui m'arrive est là pour me faire évoluer

L'auteur, Bernard Werber, après des études de criminologie et de journalisme est devenu journaliste scientifique. Il est connu depuis le succès de son premier roman : Les Fourmis. Il qualifie le nouveau genre littéraire qu'il propose de «philosophie fiction».

 

 

La vie est un jeu d'échecs, d'Om Swami (éd. Fleurus 2019)
lecture par Marie Holder :

Vasu raconte la chance qu'il a eue enfant de rencontrer un adulte généreux et bienveillant. Grâce à lui, il a pu réaliser son rêve de devenir un grand champion d'échecs. À son tour, il transmettra ce que le «Maître» lui a appris, des échecs... et de la vie.

Vasu a grandi dans une famille indienne modeste avec des parents aimants qu'il respecte mais dans une Inde moderne où le poids des traditions est encore grand. On le constate quand il raconte le mariage de sa sœur, ou quand il rappelle l'appartenance de sa famille à la caste ancienne des brahmanes.
       C'est un adolescent impatient, capricieux, facilement irritable, vite en colère s'il est frustré de ne pas obtenir tout de suite ce qu'il veut.
       Il a une passion : le jeu d'échecs.
       Un vieux Monsieur, dont on saura seulement à la fin qu'il a été autrefois champion du monde d'échecs, mais qui vit pour l'heure incognito, le remarque dans un tournoi. Ce vieil homme lui donne des leçons gratuites et des conseils pour le faire progresser dans son jeu, mais pas seulement. «Il m'offrait, dit Vasu, des pépites de sagesse...» 
       Le roman est l'apprentissage de ses progrès aux échecs, et dans la sagesse de la vie. Et on s'aperçoit que les conseils donnés à Vasu... s'adressent aussi à nous!

Autre intérêt de ce livre facile à lire: par le biais de la métaphore du jeu d'échecs souvent utilisée, on peut réfléchir et développer:
       «Que ce soit dans la vie ou aux échecs [dit le Maître]..., etc .
       Si «La vie est un échiquier dont nous sommes les pions... », etc.
       On peut même terminer et ce n'est pas de la fiction par AlphaZéro, le programme informatique qui a permis à la machine de battre Kasparov aux échecs. À suivre... Mais c'est un autre sujet.

 

lecture par Adéla :

Se lit agréablement l'histoire de cet ado passionné d'échecs et de leur apprentissage pour en devenir un maître. Apprentissage qui est aussi celui de la vie. Vasu, l'adolescent indien, a un vieux maître avec qui il travaille les échecs, et des parents super compréhensifs qui font tout pour l'aider dans la voie qu'il a choisie. 
       C'est un roman typique des rapports de transmission qui peuvent exister entre ado et vieillard. Même si à certains moments, Vasu se cabre... 
       Le récit écrit à la première personne, celle de Vasu qui raconte, non sans quelques pointes d'humour, appartient à cette sorte de roman pour adulte, qu'un ado peut lire, ou pour ado, qu'un adulte prend plaisir à lire. 
       Écrit par Om Swami, moine bouddhiste, c'est une leçon de vie. Pour tous. Et si à certains moments on est tenté de lui reprocher un ton peut-être un peu trop empreint de bonnes paroles, il se termine dans l'émotion... ce qui rachète plus qu'amplement ce ton-là... 

 

 

Fréquence Orégon, de Loïc Le Pallec (éd. Sarbacane 2018)
lecture par Marie Holder :

Roman de SF
       Idée générale intéressante et belle :
       Dans un monde d'après le grand effondrement de la civilisation, un monde dévasté, ravagé, où chacun lutte égoïstement pour sa survie, un petit groupe de jeunes entreprend un long voyage pour s'échapper du monde devenu une prison invivable. Ils répondent à l'appel d'une voix lointaine et mystérieuse dont ils ont réussi à capter des bribes. Elle leur promet un monde nouveau.
       C'est une quête vers un idéal.

Première partie : la constitution du groupe de jeunes gens venus, au hasard des événements tragiques, d'horizons très différents, mais rassemblés autour de ce qui les unit: le refus du monde tel qu'il est devenu, la solidité et la force de l'amitié, la solidarité, le goût du partage et de l'entraide, le refus du chacun pour soi, la tolérance, le respect des différences, et beaucoup de courage au service de tous.
       Deuxième partie : pour répondre à cet appel lointain, leur fuite à travers un monde ensauvagé pour échapper à tous les dangers et aux mauvaises rencontres. La rencontre tout de même d'un adulte bienveillant et solitaire qui survit en autarcie loin du chaos du monde, et qui va leur venir en aide. La déception finale aussi quand la réalité ne correspond pas leurs rêves...
       Epilogue :
Une fin optimiste. Les robots ne domineront pas les humains mais les aideront à sauver la nature et l'humanité. En leur construisant une sorte d'Arche de Noé ?

De bonnes idées mises en avant, des sentiments généreux exprimés, des questionnements intéressants mais j'ai trouvé l'ensemble d'une lecture fastidieuse. J'ai failli abandonner au cours du voyage et ne jamais arriver au but! Les personnages sont des stéréotypes. Les bons, les salauds, c'est binaire. Seul le robot Seven serait presque subtil, qui comprend l'amitié sans pouvoir la ressentir dans une chair humaine qu'il n'a pas. Mais l'idée n'est pas développée ensuite. Et les chaos du monde avec tous ses malheurs listés parfois de façon plate, c'est lourd en écriture. On sature vite.
       Petites remarques de détail amusantes: les conseils de survie en milieu hostile, ça peut servir! et de jolies trouvailles aussi telle la découverte de Las Vegas en ruine envahie par les singes capucins (comme les temples d'Angkor?) Je verrais bien l'image en BD.

Ce roman me semble cibler de jeunes lecteurs ados/jeunes adultes adeptes par ailleurs de jeu vidéo ou d'escape game.

 

lecture par Adéla :

Des ados se posent des questions dans un monde du futur où les robots créés par les hommes sont devenus autonomes où ces ados vivent dans une poche privilégiée sans travailler à se faire servir par des esclaves, alors que leurs parents (surtout le père de l'héroïne) sont trafiquants et exploiteurs du reste du monde, entendent par ondes radio une voix lointaine, celle du «capitaine Green» appelant à se rendre en Oregon pour œuvrer à y bâtir un monde meilleur. 
       Ces ados décident de répondre à cet appel et partent. Ils vivront bien des mésaventures au cours de leur voyage, mésaventures qui les feront grandir... Pour finir par découvrir que l'Oregon est un navire échoué, le capitaine Green mort, la voix, une bande émise en boucle. Mais ils y trouvent les plans et une une quantité phénoménale de matériel que celui-ci avait accumulés pour construire ce monde nouveau, et ils s'y attèleront... 
       Bref, c'est un roman d'aventures, d'amitiés et d'idéal. Le récit, plein de péripéties dont les personnages se sortent bien chaque fois, est destiné à des ados.  Il n'y a rien dedans qui puisse les démoraliser. Ni d'émotion marquée… Le rapport ado et adulte est amené par leur rencontre au cours de leurs pérégrinations vers  l'Oregon avec un solitaire qui vit seul et par ses propres moyens loin du chaos du monde, qui les sortira de mauvais pas, les aidera à poursuivre. 

 

La fille d'avril, d'Annelise Heurtier (éd.Casterman 2018)
lecture par Adéla :

Passé le premier chapitre situé en juin 2018, qui met en dialogue une petite fille, Itzia, et sa grand-mère, Catherine, à la recherche d'une ancienne robe de jeunesse au grenier, le récit devient intéressant, vivant et plein d'humour décalé, de cette grand-mère qui se confie. 

Catherine, évoque pour Itzia les conditions de vie des filles de sa jeunesse lors des années 60. Ce qu'elle relate est très vrai. Les mamies d'aujourd'hui peuvent en témoigner qui y reconnaissent l'univers de leur enfance et adolescence. Le roman leur rappelle bien des détails enfouis dans les méandres de leur mémoire: la séparation des filles et des garçons en classes différentes, les pantalons qu'il était très mal vu et interdit de porter, de même que  se maquiller, les protections périodiques en tissu, à laver, le tricotin en forme d'amanite tue-mouches qu'elles ont eu, les bigoudis du samedi soir avec lesquels il fallait dormir, mal, selon l'adage qu'il faut souffrir pour être belle, certains titres de chanson, etc... L'auteure, née en 1979, n'a pas pu les vivre mais s'est beaucoup documentée auprès de personnes, ados dans les années 60, pour écrire son livre.

La Catherine du roman vit un peu un conte de fée dans la mesure où elle bénéficie d'une bourse d'étude octroyée par le gros industriel textile de leur petite ville. Ce qui l'aidera à sortir de son milieu étroit. Lui donnera le désir d'oser. D'abord avoir un petit job pour se faire de l'argent de poche, que la plupart n'avaient pas à l'époque où les jeunes qui travaillaient, dès quatorze ou seize ans, donnaient tout ou partie de leur paye aux parents. Puis s'adonner à sa passion de courir, sport qui était prohibé pour les filles qui devaient se cantonner à la gymnastique, question soi-disant de santé. Passion de courir qui débouchera pour Catherine sur le métier de professeur de sport dans lequel elle s'épanouira à l'écoute de ses élèves, connaissant leurs problèmes...

Ce récit narre la révolte, féministe mais obéissante et pacifiste, de Catherine face aux préjugés sur les femmes, aux interdits qu'elles subissent parce qu'elles ne sont pas nées garçons, à leur relégation au foyer comme mères pondeuses et éleveuses d'enfants...

On y voit très bien l'évolution des rapports entre adultes et ados, qui aujourd'hui communiquent mieux. La petite fille Izia et sa grand-mère Catherine sont très complices et discutent en toute liberté. L'intérêt d'Izia, sa curiosité pour la vie d'autrefois de cette grand-mère, bien différente de celle qu'elle mène aujourd'hui, l'amène à poser la grande question, la question éternelle des ados, la découverte de l'amour. La réponse n'y est qu'esquissée...

Bref, c'est un récit de transmission, par la grand-mère à sa petite fille curieuse, de la société des années précédant mai 68 ou couvait la révolte. Comme elle couve aujourd'hui...

 

On habitera la forêt, d'Esmé Planchon (éd. Casterman 2019)
lecture par Adéla :

Joyce, treize ans, habite Lyon six mois de l'année où elle est lycéenne moquée par les autres élèves. Sa mère est comédienne, (on retrouve le milieu théâtral dans lequel l'auteure a été élevée) souvent en déplacement les six autres mois.
Joyce va passe ses vacances à la campagne chez sa mamie. Se promène en forêt en pensant au poèmes de Rimbaud dont elle a emporté le livre. Elle y rencontre Sylvia, une ancienne prof, la cinquantaine, perchée sur un arbre, et Dorothy, mono de colo. Elles se confient, parlent de leur existence. Aiment se retrouver, aimeraient vivre dans la forêt.
Décident de construire une cabane bibliothèque dans un arbre. Puis de fil en aiguille, apprenant que la forêt est menacée par un projet de construction d'une pépinière de sapins de Noël, elles décident d'agir pour la sauver... Ce sera en organisant un spectacle en forêt, qui attirera d'autres personnes à construire elles aussi des cabanes en forêt...

Le récit est plaisant, plein de loufoqueries de langage et de bonnes intentions. Il est destiné aux ados. Il met en lumières leurs rapports avec les adultes: Joyce et sa grand-mère, Joyce et son amitié avec une Sylvia quinquagénaire. La transmission des valeurs. L'amitié. L'union collective qui fait la force. Y sont évoquées les luttes écologiques de ces dernières années, Notre Dame des Landes, Bure...  

 

The Zephyr song - du lait et des cookies, d'Elliot P. Lewis (2019)
lecture par Marie-Françoise :

Écrit au présent, non pas de narration, mais de la vie, car ils sont bougrement présents, ces jeunes qui expriment ce qu'ils vivent dans ce livre. Lycéens pas taraudés par le passé, ni encore par l'avenir, qui vivent l'instant, en ressentent les claques, intensément.
       Un livre qui devrait faire un tabac auprès des adolescents, mais aussi des anciens puisqu'il permet de comprendre ce qui se passe dans la tête des ados d'aujourd'hui. Qui tchatchent sur leur portable, s'envoient des SMS, écoutent de la musique avec leurs oreillettes, lisent des mangas, jouent au RP, font du sport et parfois rédigent le journal du lycée. Certains ressentent cruellement le désintérêt de leurs parents, sont harcelés par d'autres lycéens, confrontés à la maladie incurable... Ils se sentent mal dans leur peau, se cherchent et se débattent avec leur solitude, leur mal être, leurs haines, leurs désirs d'être aimés...

       « Ça m'agace, ça me bouffe, je suis cet idiot qui a besoin de reconnaissance des autres pour se sentir bien dans sa peau. Ou pour se sentir bien tout court. Qu'est-ce que j'ai fait de mal pour que Lenie me méprise, que mes parents m'ignorent, que ma petite sœur soit malade?»
       On pense à L'attrape-coeur de Salinger...
       La langue est celle des jeunes d'aujourd'hui, vivante,  tel qu'ils s'expriment, sans fioritures, aisée à lire. On avale le roman comme du petit lait sans se casser la tête. Le style coule, pas laborieux, on sent derrière, l'écrivain, le vrai. Qui a choisi de donner la parole tour à tour à ses personnages, manière de faire avancer le récit à travers leur réflexions, leurs pensées, ce qu'ils font, ce qu'ils se disent, et surtout ce qu'ils voudraient... Pensées évacuées comme un journal, en phrases courtes, voire en bribes de phrases, mais ça ne choque pas. Et ça marche.
       La fin pourtant, passés les trois quarts, est à mon sens un peu trop teintée d'eau de rose... Mais il fallait que le roman soit porteur d'espoir, que les ados sachent que tout n'est pas noir, que l'idée du suicide, effleurée par Lenie, l'un des personnages, ne se concrétise pas… que triomphe l'Amitié avec un grand A, comme celui de l'Amour.
       Seul bémol, ce roman qui, par ailleurs pourrait faire l'objet d'épisodes de série télévisée pour ados, est publié, hélas, à compte d'auteur et n'a pas bénéficié de l'aide d'un éditeur ni d'un relecteur.
On attend donc avec impatience une réédition sans fautes d'accords avec une mise en page améliorée, de préférence chez un vrai éditeur.

 

Sous le ciel qui brûle, de Hoai Huong Nguyen (éd. Viviane Hamy 2017, Le Livre de Poche 2019, 192p.)
l
ecture par Brigitte Grillot :

En 1975, à l'occasion d'une promenade en forêt de Chantilly, Tuan, un quadragénaire, se remémore son passé, depuis son enfance vietnamienne jusqu'à sa vie en France où il s'est exilé en 1968. Parcours, très tôt marqué par des pertes successives, un temps apaisées grâce à la présence de sa cousine durant la période où il habitait chez sa tante. Ce qui va soutenir Tuan durablement, c'est son amour pour la langue française, langue mélodieuse, aux multiples nuances de conjugaison, mais langue des colons. Malgré cela, c'est à cette langue, à cette culture française qu'il s'accrochera pour construire sa vie.

Il s'agit d'un roman lent, au style de bout en bout délicat voire un peu trop lyrique, un roman qui rend un bel hommage à la langue française. L'écrivaine confie avoir voulu réaliser dans ces pages un équilibre entre malheurs et joie. D'où la nostalgie de l'exilé mais l'enracinement dans une autre langue et pays, d'où les pertes mais les rencontres, d'où les atrocités des guerres et du régime Vietminh mais la beauté, le pouvoir apaisant de la nature comme de la poésie sur les affres de l'existence. Pouvoir qui porte ce livre.

 


Braves gens du purgatoire, de Pierre Pelot (éd. Héloïse d'Ormesson 2019)
lecture par Marie-Françoise:

La quatrième de couverture nous apprend que Lorena, jeune femme de moins de trente ans, tente de découvrir pourquoi son grand-père Maxime et sa compagne sont morts. D'après la gendarmerie celui-ci se serait pendu après l'avoir tuée. Or, Lorena n'en croit rien. Ni les autres qui les connaissent, de ce petit village de Purgatoire dans les Vosges où ils vivent. Lorena cherche des réponses auprès de Simon, qui vit à l'écart sur l'adret, qu'elle appelle "Mon oncle", mais qui ne l'est pas. Dépositaire des lieux, il sait bien des choses. Et notamment sur l'histoire de sa famille et sur les sombres secrets qui hantent la vallée depuis plus de cent ans. Simon, par bribes, sans soucis de chronologie, lui raconte ce qui s'est passé lointainement, lui découvre la généalogie, les liens entre les personnes des différents clans du village.
       Ce récit a bien des aspects faulkneriens, dans lequel sont décrits les "braves gens" de Purgatoire. Pas si braves que cela d'ailleurs, et qui ont à payer la dette ancestrale de crimes non punis commis par leurs aïeuls.  Crainte qui traverse tout le livre et tient le lecteur en haleine.
       Ça, c'est pour l'histoire en elle-même.

       Mais le roman est aussi prétexte à évoquer le lent déclin des scieries et tissages familiaux, passés à la dimension industrielle :
"Le textile s'implantait tout nouvellement dans le pays, à une échelle industrielle dont la dimension, la dynamique, n'avaient plus rien de commun avec ce que produisaient les métiers à tisser essentiellement artisanaux qui trouvaient place et emploi dans pratiquement tous les foyers des villages, les fermes éparpillées dans le creux des vaux comme sur leurs flancs, les «chézaux", aux lisières des forêts et sous les rondes chaumes qui voyaient paître des troupeaux dispersés."
       Et surtout, surtout, c'est un "grand" roman, parce que le personnage de Simon est lui-même écrivain, que, comme Pierre Pelot, il publie sous pseudonyme à la demande de son éditeur, qu'on lui découvre beaucoup d'autres points communs avec l'auteur qui n'a jamais quitté son village des Vosges, lit les auteurs américains, et ne se sent vivre que dans les histoires qu'il lit, qu'il écrit et nulle part ailleurs, et, mise en abîme, que Simon lui aussi a écrit un roman intitulé: Brave gens du Purgatoire, celui précisément que nous, lecteurs, tenons entre nos mains et sommes en train de lire !!!
      
À Lorena qui l'interroge, Simon dit: "... parce qu'elle avait mis le sujet sur le tapis et parce qu'il n'avait fait qu'attendre et espérer qu'elle le fît — ce qu'il avait fini par comprendre, ce qu'il entendait par «écrire», lui disant que c'était sa seule façon, en fait, de supporter, d'accepter de vivre le moins malaisément possible." (...) «On n'écrit pas pour raconter une histoire inspirée de la sienne, ni pour l'avouer, on écrit pour vivre une histoire, qu'elle parle de soi ou non, il n'y a pas à chercher d'autre vérité, sous-jacente ou pas, dans une histoire racontée, que celle qu'elle porte en elle, par projection, et dans sa vérité, et dans ce qu'elle est, non pas dans ni d'où elle vient...»
      
À travers le personnage de Quentin, fils de Simon qui étudia les Beaux-Arts et décéda brutalement d'une rupture d'anévrisme, ce roman est un hommage au fils de Pierre Pelot, Dylan, artiste comme Quentin et disparu de la même façon.
       À un moment du roman le narrateur écrit:
"Simon publia cette histoire qu'il avait écrite en s'éveillant de l'enfer, son histoire dans laquelle les personnages portaient des noms de papier, et lui-même le premier. Qui devait fracasser un peu plus son existence et d'autres autour de lui. Le roman s'intitulait Braves gens du Purgatoire. Il n'avait pas pris la peine de changer le nom des lieux. Ou bien peu."
       Et plus loin: (Bien entendu, comme tout un chacune, Lorena avait cherché à repérer le personnage fictif mis en page à son équivalence, dans le roman, mais elle n'avait pas trouvé. Quelques mots, quelques phrases, une certaine «Léna, gamine au museau de faon» qui «s'était déchaînée avec lui dans une interprétation hurlée de chansons de rock des années 1970», peut-être. «Lui», Quentin, son avatar d'encre et de papier.) Elle le lui avait demandé, lors d'une de leurs conversations, un jour où il paraissait bien disposé et alignait normalement plus de dix mots à la suite en réponse à une de ses questions. Mais il avait haussé une épaule. Lui redisant:
       —Arrête de chercher ce genre de choses dans les lignes de ce bouquin, ou entre elles, bon Dieu, Mirabelle... (...) — C'est un roman. Un putain de roman, je te l'ai dit vingt fois.
       Un putain de roman... Certes. Mais quelque chose de bien réel, quelque chose qui a traversé l'auteur Pierre Pelot, et meurtri. Au point d'avoir un moment annoncé que Brave gens du Purgatoire serait son ultime roman.
       Mais Pierre Pelot peut-t-il vivre sans écrire? lui qui n'a, avec le dessin et la peinture (à signaler que l'illustration de couverture est de lui), fait que cela toute sa vie, écrire avec brio dans tous les registres. Lui qui ne vit qu'avec ses personnages et par ses histoires, écrites jour après jour, même si sans doute elles lui sont de plus en plus dures à écrire parce qu'il les veut les plus parfaites possible. Au point de donner des chef-d'œuvres comme ce Braves gens du Purgatoire, et précédemment, comme
C'est ainsi que les hommes vivent (paru en 2003 et réédité en 2016).

 

 

Tangente vers l'est, de Maylis de Kerangal (éd. Verticales 2012)
lecture par
Adéla :

Aliocha, jeune appelé se retrouve avec son contingent d'une centaine de gars dans le Transsibérien, des jours et des jours de voyage sans savoir où il vont, mais vers la Sibérie et la guerre, c'est sûr... Il décide de fuir au prochain arrêt dans la gare d'une grande ville...

Hélène, française, amante d'un Anton "né dans les cuisines de la dissidence russe", avec qui elle vit, a décidé de le quitter lorsque celui-ci qui avait été homme d'un pays interdit, est devenu directeur de la centrale hydroélectrique de Divnogorsk, suite à une promotion fabuleuse, et a changé...

En gare de Krasnoïarsk, elle monte dans le Transsibérien pour Vladivostok. Avec Aliocha, ils se rencontreront au bout du dernier wagon où "Il a collé son front contre la vitre arrière du train, celle qui donne sur les rails, et s'y appuie pour regarder la terre défiler à soixante kilomètres heure, en ce moment même une steppe mauve, laineuse — son pays de merde."...

Elle, voyage en première, seule dans un compartiment de tête, où elle cachera le déserteur traqué, condamnés tous deux à fuir, à prendre la tangente vers l'est...

C'est un récit court de quelques 126 pages, qu'on lit d'une traite, dans la tension, happé par l'écriture poétique et envoûtante de Maylis de Kerangal, qui nous fait découvrir en même temps que l’atmosphère du Transsibérien, celle des gares et les paysages traversés, tel le fabuleux Baïkal visible une demie heure durant, que les passagers ne manquent pas de photographier.

Il est à signaler que le roman fut écrit en prolongement d’un voyage d’auteurs dans le Transsibérien entre Novossibirsk et Vladivostok, effectué dans le cadre de l’Année France-Russie en juin 2010. Nul doute que Maylis de Kerangal y aura croisé de ces jeunes appelés, cheveux rasés qui se rendaient, le cœur sans joie, jusqu’à leur lieu de casernement, et à partir de là aura élaboré, comme elle sait si bien le faire, tout un roman, poignant.

 

Gran Madam's, d'Anne Bourrel (éd. La manufacture de livres 2015, Pocket 2016)
lecture par Marie-Françoise:

La narratrice, Virginie, écrit son récit pour Ali, alors qu'elle est emprisonnée et suit un atelier d'écriture. Mais cela, le lecteur ne le saura qu'à la toute fin.
        Elle veut tout mettre au jour de la Jonquera, (en Espagne, proche de la frontière française) où sans l'avoir voulu, après avoir eu son bac et fait une année de fac, hélas sans trop suivre les cours, elle s'est retrouvée pute dans une boîte au Gran Madam's, sous le joug de son mac, Ludovic, le Boss.

Le roman commence par une scène qui heurte, lorsqu’elle elle doit supporter un client, puis un autre... Il y a Henri, dit Le Chinois  bien que noir, à cause de ses yeux bridés qui lui viennent de sa mère. Il est bon pour elle et lui vient en aide lorsque c'est nécessaire avec les mauvais clients ou si elle est malade...
        Cette scène et celle qui suit, lorsque le même soir ils règlent son compte au Catalan (dont on ne saura rien, ni pourquoi ils ont décidé de le tuer), risque d'entrée de livre de rebuter le lecteur, d'autant que le style d'une sobriété presque excessive, paraît plat avec ses "on" tout au long lorsque Bégonia narre leurs actions communes.

Après leur crime, Ludovic, décide de fuir vers Paris. Bégonia suit, passive. Ainsi que le Chinois. Mais en route, à Leucate, alors qu'ils se reposent dans les dunes, ils rencontrent une jeune fugueuse, Marielle, qui leur demande de la ramener chez elle.
        Ses parents tiennent une station service et les accueillent favorablement. Tant et si bien qu'ils leur demandent même de rester quelques jours, puis une semaine, et de prolongement en prolongement l'été se déroule... Ils aident au garage, à la pompe à essence, passent ensemble des journées et des soirées agréables, de vraies vavcances… (On pense à La Maison Tellier, cette nouvelle de Maupassant lorsque les "pensionnaires" vont avec leur maquerelle à la communion de sa nièce et vivent des moments d'insouciance), mais ils sont mal vus par les gens du village.

Bégonia se prend d'affection pour Marielle dont elle partage la chambre et qui a elle se confie un peu.
        Begonia s'éprend d'Ali, qui, de nuit, remplace les patrons à la pompe. Nuits durant lesquelles elle le retrouve, pour des conversations. Ils s'entendent bien, ne s'embrassent pas, même s'ils le souhaiteraient...

Tout va bien jusqu'au jour où, la canicule qui se prolonge exacerbant peut-être les esprits, la situation se dégrade. Le père de Marielle la dispute de plus en plus, et la mère ne dit rien... Non plus lorsque chez les grands-parents de Marielle, sa mère lui demande d'aller jouer avec son oncle dans sa chambre et que devant le renâclement de la gamine, son père l’y oblige. Oncle par ailleurs taré congénital à cause de l’alcoolisme de la grand-mère, demeuré mais pervers qui vit encore chez les grands-parents de Marielle. Les parents ne voyant pas ou ne voulant pas voir... et n'acceptant pas que Marielle refuse d'aller chez ses grands-parents, ni pourquoi elle en a fugué plusieurs fois. C'est Bégonia, la pute, qui comprendra la détresse de Marielle...

Ce roman est qualifié de noir. Bien sûr, il nous montre la dure condition de prostituée, la détresse de l'adolescente et les méfaits de l'alcoolisme. 
        Mais il y a cette embellie de vie quasi normale, un temps, à la campagne. Le fait que Bégonia éprouve, elle le dit clairement à un moment du récit, malgré tout, le besoin de continuer à vivre. Celui aussi que Marielle soit libérée de son oncle et que Bégonia, qui a repris son vrai nom de Virginie, le soit de l'emprise de son mac et qu'en prison son corps demeure vierge d'hommes. Qu'elle peut à nouveau lire. Qu'elle a pu se libérer par l'écriture de tout son passé nauséabond. Et surtout qu'à l'extérieur, il y a Ali Talib qui l'aime, et qu'elle aime. Bref, que la fin, loin d’être pessimiste, est une ouverture.

 

Un peu, beaucoup, à la folie, de Liane Moriarty (éd. Albin Michel 2018 - traduit de l'australien par Sabine Porte)
lecture par Adéla:

Un peu, beaucoup, à la folie, est un roman sur "la noirceur qui rôde sous les vies ordinaires" (sic la quatrième de couverture), l'usure du couple dans sa vie devenue routinière, entre amitié et relations de voisinage, entre carrière musicale exigeante et vie de famille à préserver, entre désir/ou pas, d'enfant et don d'ovocytes.

Au fil des pages le lecteur sent le récit construit de manière à le tenir en attente, ne distillant que peu à peu, par retours à un crucial "jour du barbecue" entre voisins, les tenants et les aboutissants d'un grave accident qui survint par inattention. Accident qui heureusement fut sans suite, sauf à bouleverser et culpabiliser les êtres, même si la responsabilité de chacun ce jour-là n'entraînait pas de réelle culpabilité individuelle, faillir mener un couple à la rupture... On y découvre des tics comportementaux, tel celui difficile à gérer d'une mère accumulatrice, ou le type du voisin revêche.

Bref, Un peu, beaucoup, à la folie, est aisé et pas désagréable à lire, mais il est sans grand pathos, on devine d'avance qu'il finira bien.  
        C'est un roman convenu et bien moral qui sensibilise sur l'accident qui guette, les gestes de secourisme auxquels il peut être vital d'être formé. La vigilance. La surveillance de tous les instants des jeunes enfants. L'attention aux autres. La compassion réciproque.

 

Les saisons de la solitude, de Joseph Boyden, traduit de l'anglais par Michel Lederer (éd. Albin Michel 2009, collection terres d'Amérique)
lecture par Marie-Françoise :

       Deux voix s'expriment tour à tour, l'une masculine, l'autre féminine, dans laquelle l'auteur se glisse à merveille pour confier leurs drames et conflits les plus secrets:
        Celle d'Annie qui, à son oncle Will plongé dans le coma après une agression, parle longuement pour tenter de le faire revenir...
       Celle de Will qui s'adresse à ses nièces, Annie et Suzanne, sans que l'on sache jusqu'à la fin s'il le fait ou non depuis l'au-delà...
       Annie, qui a choisi de vivre dans une cabane au Canada à la façon des anciens Crees, raconte peu à peu à Will les tenants et les aboutissants de la recherche qu'elle a menée sur les traces de sa sœur Suzanne disparue après être partie à Montréal puis aux Etats-Unis avec Gus. Suzanne est devenue un mannequin célèbre qui fait la une des magazines photo. Gus est un personnage pas clair, mêlé à des trafics de drogue, il doit de l'argent à son boss qui le recherche ainsi que Suzanne. C'est le frère de Marius.
       Will, Indien Cree, qui fut un excellent pilote canadien, peu à peu raconte sa vie, les accidents qui l'ont amené à ne plus pouvoir voler, ses abus de whisky, de bière et de cigarettes, sa peur viscérale de Marius depuis que Suzanne est partie et que celui-ci le lui reproche, le harcèle et l'agresse.
       Annie, qui désormais le veille, est revenue de son long et pénible voyage au cours duquel elle rencontra les personnes avec lesquelles sa sœur se lia, vécut un peu de la vie de sa sœur, devenant à son tour, elle-même et un temps éphémère, mannequin. Elle a pour protecteur, Gordon, indien SDF des grandes villes, qu'elle sortit de son vagabondage. Muet il ne lui répond que par gestes ou écrit. Elle l'appelle Mr Silence.
       Will, tenta de se soustraire à Marius, un personnage que personne n'aime, que tous craignent, puis s'isola dans une île en vivant de chasse et de pêche, tâchant de se faire oublier. Mais à lui, qui dans une autre vie avait perdu épouse et enfants dans l'incendie de leur maison, la solitude pèse.

       Ce roman montre les deux versants de la vie des Indiens d'Amérique d'aujourd'hui:
       La  vie moderne qu'a choisi de mener Suzanne, mannequin, dans les grandes villes et les gratte-ciel de Manhattan, où, dans le luxe, l'argent facile, rien ne dure. 
       La vie traditionnelle des anciens, simple, de pêche et de chasse dans l'immensité sauvage des forêts canadiennes, qu'a choisi Annie, sa sœur. Ne prélevant des animaux que ce qui est nécessaire pour survivre au sein d'une nature, pas toujours clémente. N'omettant pas de les remercier pour ce qu'ils donnent, à l'instar de son grand père, son moshum, qui l'a initiée dès l'enfance, et de son oncle Will.
       Will, qui narre aussi à ses nièces son émouvante histoire d'amitié, avec une vieille ourse qui vient le visiter et accepte ses dons de nourriture, alors qu'en proie à la peur de sortir et de croiser Marius, il vit reclus dans sa cabane. Will, trappeur, chasseur, devenu sentimental... diront ses amis Joe et Gregor, aussi portés sur l'alcool et la bière que lui.

       Bref, ce roman prenant, saisissant, porté par la poésie brute de Joseph Boyden et l'humanité de son regard, est d'une inestimable authenticité. Il fut couronné par le plus grand prix littéraire canadien, le Giller Prize, à l'automne 2008. Joseph Boyden, né en 1966, est un écrivain canadien de langue anglaise. Il a des origines irlandaises, écossaises et a des ancêtres Cree.

 

 

Si une nuit d'hiver un voyageur, d'Italo Calvino (éd. Gallimard folio 2015 dans la traduction de Martin Rueff)
lecture par Adéla :

C'est un curieux livre que nous propose ici Italo Calvino. Un livre ou l'auteur s'adresse au Lecteur, que nous sommes et qu'il est lui-même. En employant le "tu", donc de celui, lui ou nous, qui lit, mais aussi parfois le "je", de celui qui écrit.
       Y sont détaillées au fil de 361 pages tout, absolument tout ce qui concerne l'action de lire, des conditions les plus basiques, telles l'achat, l'installation confortable sous une bonne lumière, etc... où nous nous reconnaissons..., aux motivations et raisonnements des plus philosophiques et aux livres interdits. Mais aussi l'action d'écrire en vue d'être lu. «Je lis donc lui écrit.»
       Ses 12 chapitres se composent donc, d'une part des actions du Lecteur et de ses réflexions, lesquelles le concernent lui/nous, en tant que lecteur moyen, mais s'adressent aussi à la Lectrice, que le Lecteur rencontre et avec laquelle il noue une relation amoureuse à l'occasion de leur lecture de romans qui font l'objet d'inter-chapitres.
       Romans inter-chapitres que l'auteur, Italo Calvino, voulait inachevés, et que le Lecteur et la Lectrice trouvent effectivement interrompus, comme des sortes de longs incipit qui les allèchent et les laissent à chaque fois sur leur faim, de sorte qu'ils recherchent, moyennant diverses aventures, le volume complet. Qui chaque fois qu'ils croient l'avoir enfin en main, s'avère être un autre que celui auquel ils s'attendent, tout aussi intéressant mais tout aussi inachevé.        Ainsi de début de roman en début de roman, il y en aura dix à l'intérieur de l'ouvrage, explorant toutes les sortes de romans possibles : du "roman brouillard" au "roman apocalyptique" en passant par le "roman du corps", ceux "symboliques-interprétatifs", "politico-existentiel", "cynico-brutal", "de l'angoisse", "logico-géométrique", "de la perversion", et "tellurique-primordial", s'avance ce livre singulier.
       Cependant, pour le lecteur que nous sommes, ces débuts de romans, bien qu'interrompus, souvent abruptement en effet, constituent chacun un récit à part entière qui pourrait être isolé et publié dans un recueil de nouvelles. «J'ai toujours été davantage un auteur de récits qu'un romancier» confie Italo Calvino dans sa postface.
Ici, les pages intermédiaires constituent un cadre qui lui permettent de s'exprimer sur l'objet de la lecture, «pas tant littéraire que romanesque» «qui se fonde, avant toute chose, sur la capacité à diriger l'attention sur une intrigue dans l'attente constante de ce qui va se passer», et l'écriture.
       Si le titre de l'ouvrage nous fait croire qu'il s'agira de l'histoire d'un voyageur en train, et si le premier des dix récits intitulé par le titre éponyme commence en effet par une histoire de valise à échanger dans une gare de chemin de fer, il n'en est rien de la suite où de page en page on espère la trouver nous aussi... Le voyage étant en fait celui du lecteur que nous sommes dans la présentation de la lecture, sous toutes ses coutures, si l'on peut dire... Et les titres de ces dix récits, que le Lecteur et la Lectrice, personnages du livre, mais également nous, lisons avec intérêt, mis à la suite forment étrangement eux aussi un incipit:
      "Si une nuit d'hiver un voyageur, / loin de l'habitat de Malbork, / au bord de la côte à pic / sans craindre le vent et le vertige, / regarde en bas où l'ombre s'amasse / dans un réseau de lignes entrelacées, / dans un réseau de lignes entrecroisées / sur le tapis de feuilles illuminées par la lune / autour d'une fosse vide. / Quelle histoire, là-bas, attend sa fin? "
      De sorte qu'Italo Calvino semble avoir réussi l'exercice que l'un de ses personnages, écrivain dans le livre, souhaitait réaliser: «Je voudrais pouvoir écrire un livre qui ne soit qu'un incipit qui puisse garder tout au long de sa durée la potentialité du début, l'attente encore sans objet.» Le mot potentialité permet de rappeler au passage que l'auteur fut membre de l'Oulipo (Ouvroir de Littérature Potentielle). "Si", premier mot du titre aurait pu nous mettre sur la voie...

En résumé, avec Si une nuit d'hiver un voyageur, Italo Calvino nous donne à lire une étude approfondie et très fouillée sur le désir de lire et la lecture, menée de façon quasi ludique et de petit thriller, par le biais des pérégrinations du Lecteur et de la Lectrice à la recherche de la suite d'un roman interrompu. Étude, pour nous, rendue attrayante par les lectures ponctuelles de romans dans le roman, elles-mêmes souvent porteuses de considérations sur la littérature.

 

 

 

L'amie prodigieuse, d'Elena Ferrante (traduit de l'italien par Elsa Damien - éd. Gallimard tome1-2014/tome 2-2016/tome 3-2017/tome 4-2018)
lecture par Adéla :

Pourquoi parler ici d'un roman qui reçut déjà bien des éloges, fut tiré à des millions d'exemplaires et traduit dans plus de 40 langues? Parce que je ne saurais le qualifier autrement que de prodigieux et d'époustouflant. De troublant!
        D'autant qu'il est écrit sous le pseudonyme d'Elena Ferrante, dont le prénom est à l'intérieur du roman celui de la narratrice, Elena Greco, qui conte son ascension en tant qu'écrivaine issue des milieux défavorisés d'un quartier napolitain, après avoir consacré sa jeunesse à étudier laborieusement et réussir avec brio ses examens. Sa vie est entremêlée à celle de son amie d'enfance Lila, connue depuis sa première année d'école, et qui ne dépassa pas le primaire, mais qui était d'une intelligence fulgurante et aurait pu suivre des études avec facilité, ce qu'Elena ne réussit qu'à force d'efforts et de ténacité. Car les parents de Lila refusèrent de l'envoyer au collège, on avait besoin d'elle à la maison et pour épauler son père à la cordonnerie, et qu'elle ne s'opposa pas à leur volonté. Douée pour tout, avec le goût d'apprendre, Lila réussit dans bien des métiers, de cordonnière à informaticienne en passant par gérante de magasins et employée mal payée et mal traitée d'une usine de salaisons. Elle connut une vie multiple d'ascensions et de chutes. Dans le domaine conjugal aussi. Mais dans ce domaine là, Elena ne fut pas en reste.

D'un tempérament spécial, tantôt toute amicale et mielleuse, tantôt hargneuse, Lila arrivait à ses fins, et disait: «C'est moi la méchante, un pacte que nous avons fait depuis l'enfance» (depuis que petite elle jeta la poupée d'Elena dans le soupirail de la cave de leur vieil immeuble). Et aussi: «Il faut toujours que je fasse, refasse, couvre, découvre, renforce, et puis tout à coup que je défasse et que je casse.» Puis se lançait dans autre chose qu'elle réussissait tout autant.
        C'est elle qui incita implicitement Elena à réussir dans le domaine de l'écriture, à réaliser ce qu'elle même ne pouvait, n'ayant pas fait d'études: «C'est toi, l'écrivaine». Vocation d'écrire qu'elles avaient ressentie toutes deux dès l'école primaire en lisant Les quatre filles du Dr March.
        L'amie prodigieuse, d'une écriture qui évoque les accents à la fois populaires ou châtiés des nombreux personnages, qui parfois mêlent dialecte napolitain et bel italien, est une lecture prenante. Sur l'amitié et son emprise, les rivalités, les jalousies, les passions, les problèmes de couple, de violence conjugale, de harcèlement, de liberté sexuelle, sur le désir de maternité, l'éducation, l'empreinte génétique des parents sur leurs enfants quoi qu'ils s'en défendent, et le fossé entre classes populaires et bourgeoisie, entre ouvriers frustes et intellectuels, le désir de se hisser dans l'échelle sociale, l'ambition, le but de la vie et son bilan, la disparition.
        Mais il montre aussi l'attachement au lieu de naissance, le contexte intellectuel et politique de l'Italie
complexe entre fascistes, communistes, socialistes, pouvoirs de la Camorra et corruption... des années 1950, à 2011 si l'on tient compte du fait que la narratrice y mentionne l'attentat contre les Tours de New York alors qu'en s'interrogeant, elle est en train d'écrire son récit.

C'est une très longue saga parue en quatre volumes denses qui totalisent plus de deux mille pages. Elle retrace la vie des deux héroïnes, des membres de leur familles et des familles amies ou ennemies. La vie d'Elena, linéaire et toute tendue vers son but: devenir un écrivain remarqué et en vivre, elle reconnaît qu'elle a toujours eu de la chance, mais elle a aussi pris les décisions qu'il fallait. Celle, imprévisible, de Lila qui n'a rien à faire de la stabilité. 
        Le tome I porte sur leur Enfance et adolescence; le tome II intitulé Le nouveau nom, sur leur Jeunesse; le tome III ou L'époque intermédiaire est intitulé : Celle qui fuit et celle qui reste, puisque ses études amèneront Elena à quitter Naples alors que Lila ne quittera jamais sa ville; dans le tome IV: L'enfant perdue, elles accèdent à la Maturité et la vieillesse. Là, pointe le doute d'Elena sur la pérennité de son œuvre et le moindre intérêt qu'elle suscite auprès des lecteurs avec les ans qui passent, l'époque qui change, (œuvre à laquelle elle aura consacré toute une vie de travail, au détriment parfois de sa famille), jusqu'au sentiment de la vanité même de cette œuvre lorsque derrière il n'y a que labeur et pas une intelligence fulgurante, comme celle de son amie Lila qui, elle, aurait pu écrire quelque chose qui traverserait les siècles... si elle avait voulu.

Lila, finalement disparaît sans plus donner signe de vie à l'âge de soixante-six ans, comme évaporée après avoir effacé toutes ses traces. C'est cette Lila prodigieuse qu'Elena a tenté de reconstituer à partir de ses quelques souvenirs dans ces pages dont l'épilogue incite à relire le prologue, et pourquoi pas poursuivre pour mettre au jour, ce qui à la première lecture, nous aurait échappé.
        Mais peut être aussi, ce prologue et cet épilogue, ont-ils été ajoutés lorsque l'auteur, une fois l'écriture du roman achevée, doit se résigner à ce que disparaissent de sa vie des personnages, inspirés du réel, certes, puisque Elena Ferrante reconnaît dans des interviews écrits, la teneur autobiographique de son oeuvre, confirme qu'elle est une femme et mère de famille, et qu'il lui tient à coeur de dénoncer les injustices et les violences subies par ses congénères, dans une Italie marquée par le sexisme et le patriarcat. Mais imaginaires tout de même et avec lesquels il/elle (si l'auteur qui se cache et reste dans l'ombre est une femme) a vécu durant les mois et les mois d'intimité qu'a duré son travail d'écriture et qui l'ont mené(e) à travers leurs méandres propres à conter ce récit, et doit à présent se résoudre à ce que ceux-ci disparaissent de sa vie afin qu'il/elle puisse passer à autre chose? Et se pourrait-il qu'il/elle ait choisi de publier son œuvre sous pseudonyme pour s'en dissocier, puisque la narratrice, Elena Ferrante, s'y pose elle-même en personnage?

Alors qu'en tout début de lecture je me disais : ce n'est qu'un best-seller qui fait penser à une de ces séries télévisées, à une de ces sagas interminables à rebondissements sentimentaux distillées en petits épisodes... et il en a été effectivement tourné une série télévisée , j'ai malgré tout continué à lire, prise par cette histoire d'amitié indéfectible et chahutée et me suis rendu compte qu'il s'agissait de bien plus que cela, que s'y mêlait le sentiment d'effroi devant l'impermanence des choses, puisque rien n'est jamais acquis ni définitif et que plane l'anéantissement brusque de tout, comme le Vésuve prêt à se réveiller dans l'horizon de Naples, où se passe le roman et d'où a confirmé être originaire, Elena Ferrante.
        «Ah, quelle ville! Disait tante Lina à ma fille. Quelle ville magnifique et pleine de trésors! Imma, ici on a parlé toutes les langues, ici on a construit un tas de choses et on en a détruit tout autant, ici les gens, aussi bavards soient-ils, ne se fient à aucun bavardage, et ici il y a le Vésuve, qui rappelle chaque jour que l'entreprise la plus ambitieuse des hommes les plus puissants, l'œuvre la plus extraordinaire qui soit, peut être balayée en quelques secondes par le feu, par un tremblement de terre, par la cendre ou la mer.» Un Naples de violences et de passions, de volontés et d'asservissements, d'usure et de corruption. D'opportunisme aussi.

Ce roman complet et riche aborde absolument tous les domaines de la vie, des vies, sans cesse à reconstruire. C'est un roman à dimension universelle où le lecteur à une page ou une autre reconnaît l'une ou l'autre de ses propres constatations, expériences ou situations.
        Un roman de réflexion aussi sur la genèse et les motivations, sur le travail de l'écriture, puisque la narratrice y a vocation d'écrivaine et porte le même prénom que l'auteur inconnu qui écrit sous pseudo, et révèle à ses lecteurs en particulier, dans La frantumaglia, des aspects de la personnalité d'Elena Ferrante en lui donnant une mère couturière s'exprimant en napolitain, une date et un lieu de naissance, Naples 1943.

Mais qui est réellement Elena Ferrante? Qui est celle qu'on se prend à croire que c'est en écrivant cette Amitié de plus de trente années, avec ses hauts et ses bas, ses moments d'amour et ses moments de haine jusqu'à arriver enfin à agir selon sa propre volonté et non plus inconsciemment sous l'influence de Lila, qu'elle prouve à elle-même qu'elle est véritablement au bout du compte/du conte... devenue prodigieusement écrivain. Mais écrivain qui, comme son héroïne Lila, qui faisait parfois au cours du roman l'expérience curieuse de la délimitation, veut rester dans l'ombre, disparaître aux yeux du lecteur. Comme si seuls devaient continuer d'exister aux yeux de celui-ci les personnages littéraires, narratrice comprise, sortis de sa plume et non celui ou celle qui tint véritablement cette plume?

 

Le modèle oublié, de Pierre Perrin (éd. Robert Laffont 2019)
par Marie-Françoise :

Chacun connaît le nom de Gustave Courbet, dont en cette année 2019 est fêté le bicentenaire de la naissance, depuis que son tableau, L'origine du monde, fit scandale. Chacun a entendu parler aussi d'un autre de ses tableaux célèbres Un enterrement à Ornans. Ornans, petite ville franc-comtoise dont le peintre est originaire. Chacun sait qu'il vécut au dix neuvième siècle, et sait peut-être aussi qu'il fit de la politique. 

La biographie, qualifiée de roman, que nous présente Le modèle oublié, que Pierre Perrin fait partir de la rencontre de Gustave et de Virginie , nous dévoile, par le biais de l'évocation des toiles du peintre au fur et à mesure de leur création et de son ascension, ce que l'auteur a découvert de Virginie Binet, dieppoise qui fut un des modèles du peintre, vécut avec lui une dizaine d'années et lui donna un fils. Il nous fait découvrir la personnalité de Courbet issu d'un milieu paysan, qui voua sa vie à la peinture, voulait se démarquer des artistes de l'époque. Ses rapports avec ses contemporains: Baudelaire, Flaubert, Proudhon, Champfleury, Gautier ou Victor Hugo... Le départ de Virginie, la douleur qu'il en ressentit et exprima dans certaines toiles. Ce qu'il advint d'elle et de leur fils Émile, qu'il ne reconnut pas, que pourtant il aimait et glissa dans quelques-unes de ses œuvres. L'emprise de ses trois sœurs qu'il rejoignait de longs mois durant à Ornans où il se plaisait sans Virginie qu'il cachait à sa famille. Ornans, où il peignait et où, grâce à la vente de ses oeuvres, il agrandissait son patrimoine terrien. 

Quelles sont les parts de vérité, d'interprétation et d'imagination dans cette présentation, puisque la correspondance amoureuse de Courbet a été détruite ? 

Pierre Perrin dans un précédent récit, Une mère, Le cri retenu (Le Cherche Midi éditeur 2001), écrivait: «D'une existence, il ne demeure presque rien. Magicien sans illusion, on fait parler les restes, quelques bribes de phrases éventées, des lettres, des photos. On ne peut rien certifier de sa recréation.» Il incorpore dans Le modèle oublié, faits et conversations réelles tirées de la très large documentation qu'il a consultée (dont il indique la bibliographie en fin d'ouvrage), et met son style très personnel et savoureux, à l'avenant du langage de l'époque. 

 Toujours dans Une mère, il écrivait encore: «Une œuvre est un trompe l'œil; pour l'émotion suscitée, un souffle. L'artiste à la terrible volonté creuse sa tombe comme chacun. Qu'il s'en détourne ou la dévisage, ou croie la reculer, il s'enterre vivant.» N'est-ca pas ce que réalise Courbet, quand il peint L'Homme blessé? Ne fait-il pas encore de même en fin de vie? Si ce roman offre un tableau peu flatteur du peintre, c'est que le plus grand amour de Courbet fut son art, la peinture, et sans doute aussi la richesse et la renommée qu'elle lui apportait. Courbet qui, enflant de plus en plus, mourut d'hydropisie. 

Enfin, ce roman offre au lecteur un intéressant cheminement à travers les belles peintures de Courbet qu'il permet de découvrir ou redécouvrir, à condition de les aller visualiser dans un ouvrage spécialisé ou sur le net. Aussi regrette-t-on, qu'hormis la très belle couverture qui présente la partie centrale de la toile, L'Atelier du peintre, elles ne soient pas reproduites en encart dans l'ouvrage même.

 


Courir, de Jean Echenoz (Les éditions de Minuit 2008)
lecture par Marie :

Sur la couverture, en dessous du titre, on peu lire "roman". Mais il s'agit d'une biographie contée sous un angle particulier, celui de la course à pied. Biographie donc, de la carrière sportive du célèbre champion tchécoslovaque Émile Zatopek. Biographie limitée dans le temps puisqu'elle va de l'invasion de la Moravie en  1939 par les Allemands à celle de la Tchécoslovaquie par les Russes en 1968, alors que le célèbre coureur est né en 1922 et décédé fin 2000.
       On y découvre comment,
de jeune qui avait interrompu ses études car sa famille n'avait pas les moyens de l'y maintenir, et était apprenti chez Bata,  il en vint, bien que n'aimant pas le sport et n'en pratiquant pas, à aimer peu à peu la course à pied au point d'y prendre plaisir et de ne pouvoir plus s'en passer, après qu'il eût du, en 1941, participer à un cross-country de neuf kilomètres mis au point par la Wehrmacht à Brno. Épreuve dont il sortit aisément deuxième contre une sélection allemande athlétique, élancée, arrogante, équipée. Comment il finit par se laisser convaincre de participer à des compétitions et devint champion haut niveau de son pays puis de partout.
       Jean Echenoz nous décrit la mimique de cet homme, gentil et rieur sauf lorsqu'il court et grimace montrant un visage d'effort effort et de douleur. Son style de course particulier. Son entraînement journalier plus qu'intense qui le menait aux confins de la résistance humaine. Ses incroyables succès, les
records dont les siens, qu'il bat durant toutes les années où il laisse les autres participants derrière lui. Comment il sort victorieux de chaque épreuve et obtient ses médailles d'or olympiques. Sans fatigue apparente. Jusqu'à ce que l'âge aidant...
       Ceci avec l'obligation de s'en tenir au bon vouloir des dirigeants de son pays qui l'utilisent pour leur propagande, mais à qui il arrive aussi de refuser un visa de sortie pour l'étranger où on le sollicite pour des compétitions, de crainte qu'il ne rentre plus au pays... Et il accepte tout. De toute façon, il n'a pas le choix. Sauf lorsqu'il s'insurgera contre l'entrée des chars soviétiques dans son pays, sera alors déchu de tout. Mais acceptera, parce qu'il n'y a que lorsqu'il court qu'il aime se battre. 
       Bref, le récit, narré non sans humour, au présent, est facile et agréable à lire. Il nous apprend beaucoup sur le phénoménal coureur que fut Émile Zatopek, surnommé "la locomotive tchèque", mais aussi sur le contexte politique de son pays, et les bouleversements de cette époque.

 


On n'est amoureux qu'à bicyclette /Journal d'un Tour de France, d'
Olivier Larizza (Le Verger éditeur 2002)
lecture par Marie-Françoise
:

Voici un plaisant petit ouvrage présenté sous forme de journal d'un tour de France. Il se lit facilement et sans ennui même par un lecteur non assidu des retransmissions du spectacle de cette épreuve cycliste tant l'écriture en est frivole et chatoyante, d'un auteur à l'aise dans tous les registres (voir autres lectures) et qui se plaît ici à jouer avec les sons, ce qui donne une saveur particulière au texte.

Larizza y parle bien sûr de cette compétition, de ses des étapes, qu'il attend avec fièvre. Des coureurs, aux noms connus ou moins du tour de 2001 qu'il suit en direct, jour après jour à la télévision, et d'autres plus anciens, des difficultés qu'ils affrontent. Il y mêle quelques considérations autres, parle de ses occupations personnelles, pendant et en dehors des étapes, ses soirées, ses restaus, ses nuits, etc. Il ironise sur sa fatigue, sur son effort à écrire ce journal qui, dit-il, ne sera pas lu vautré sur son canapé rouge, tandis qu'il décrit les coureurs à la peine, les coureurs qui transpirent... lui aussi transpire, il fait chaud nous sommes en juillet, ou qui sont transis et bleuis par la pluie froide les jours de particulièrement mauvais temps.

Il donne son avis sur le dopage. Évoque les moments graves de ce tour, des tours passés, les abandons, les accidents, les morts. Mais vite, son ton redevient léger, car de la vie, Larizza ne veut prendre que le bon côté.

Il décrit peu du paysage et des villes traversées. Des villes d'arrivée, sauf à savoir ce que les coureurs y font: se nourrir, se reposer. S'étend un peu sur sa ville natale, Thionville, et sur celle de Strasbourg où il vit. Strasbourg, ville d'étape le 13 juillet, où il peut l'aller regarder passer au rond-point d'Entzheim. Et voir quoi ? La caravane, avec sa Cicciolie chérie qui récolte des objets publicitaires, et, en à peine quelques secondes trop rapides, le passage du peloton à toute allure:
      "16 h 58. Passage des coureurs. Je reconnais Brochard et aperçois le maillot jaune. C'est une ribambelle de couleurs, un train mosaïque dont j'entends la locomotive souffler, un fugace bourdon multicolore: un peu de noir, l'émail bleu-vif de ses ailes, l'argent de ses roues, ses yeux facettes rubis et bronze où toutes les nuances de l'arc-en-ciel se reflètent comme des gouttelettes d'eau en suspension, et ce bourdonnement des rayons et des pédales qui s'éloigne trop vite. (...) Tout le monde est content, ravi, surpris aussi par la vitesse de l'éclair humain qu'on a vu à peine une poignée de secondes."

Une amourette s'y devine tout au long, avec sa douce amie Cicciolie, délaissée durant les trois semaines où Larizza est rivé à l'écran, mais patiente et qui saura se venger une fois le tour terminé. Je ne vous en dit pas plus à ce sujet, quand vous aurez le livre entre les mains, vous le saurez.

 

La vérité sur l'Affaire Harry Quebert, de Joël Dicker (éd. De Fallois/l'âge d'homme 2012 - De Fallois/Poche 2018)
lecture par Marie :

L'écriture comme un combat. L'écriture comme la boxe avec ses techniques, sa discipline, ses exigences d'entraînement, de perfectionnement, afin de se surpasser pour se vaincre soi-même et produire un bon livre qu'aimeront les lecteurs. L'écriture aussi comme la course, par tous temps, qu'il fasse froid, pleuve ou vente, exigeant la persévérance pour arriver au bout.

Voilà le thème de ce roman où le grand écrivain, Harry Quebert, conseille et se confie au jeune Marcus Goldman tout au long d'une enquête à moult rebondissements. Enquête non dénuée de sentiments, "chagrin d'amour et chagrin de livre", avec des allers retours dans le temps, après que le corps de Nola, jeune fille de 15 ans aimant et aimée d'Harry, disparue trente ans auparavant, ait été retrouvé enterré dans la propriété de ce dernier; présumé donc coupable, ce qui brise sa carrière d'écrivain. Enquête menée par la police, bien sûr, mais aussi sur place par Marcus qui ne croit pas en la culpabilité de son ami et maître en écriture, Harry Quebert, lequel l'a aussi initié à la boxe, pour lui apprendre à savoir tomber, à oser et à quitter les chemins de la facilité. Enquête narrée par Marcus qui, sous contrat et pressé par son éditeur, veut réhabiliter son ami et décide d'en écrire un roman. Dans lequel entrent les voix des différents protagonistes qui donnent lieu à plusieurs interprétations des faits, et donc induisent différents coupables, avec la possibilité qu'a l'écrivain d'écrire plusieurs versions, de là les successifs rebondissements, jusqu'à ce qu'il trouve le vrai coupable.

Car l'écrivain ne connaît pas d'avance la fin de son roman. Mais celle-ci peut tout aussi bien être celle que, lui, souhaite, puisque l'on est dans la fiction, et il parvient alors au "paradis des écrivains"...

Bref, La vérité sur l'Affaire Harry Quebert, est un roman passionnant de 860 pages, présenté de manière très originale, où l'on assiste à l'écriture d'un roman dans le roman, en 31 chapitres numérotés à rebours, comme autant de conseils distillés à l'écrivain novice, contenus dans trois parties allant de "La maladie des écrivains" au "Paradis des écrivains" en passant par "La guérison des écrivains", précédées d'un prologue et suivies d'un épilogue.

L'auteur, Joël Dicker, écrivain suisse romand né à Genève en 1985, situe son roman dans l'Amérique des années 2008 avec retours sur l'année 1975 où il était répréhensible pour un homme de trente deux ans d'être amoureux d'une gamine de quinze ans.

Ce roman fut plusieurs fois primé et adapté sous le même titre en série télévisée par Jean-Jacques Annaud. Dans l'édition de 2018 Joël Dicker lui consacre une postface agrémentée de photos couleur prises lors du tournage du film.

 


Le club des veuves qui aimaient la littérature érotique, de Balli Kaur Jaswal  (éd. Belfond, mai 2018)
Lecture par Marie-Françoise : 

Comme le titre l'indique, voici un roman qui devrait intéresser les lectrices friandes de romans érotiques. Sans vulgarité ni obscénités il permet aux autres d'aborder la littérature de ce genre sans les heurter. 

Des femmes analphabètes indiennes habitant Londres se sont inscrites à un cours d'écriture. Pas pour apprendre la calligraphie, mais pour passer d'agréables moments à raconter leurs histoires afin qu'elles soient transcrites sur papier. De tous âges et de différents milieux et quartiers de Londres, que leurs époux soient décédés ou qu'ils les aient quittées, leur mariage pour la plupart avait été arrangé. Elles font part dans cet atelier d'écriture de ce qu'elles auraient voulu vivre en amour, de leurs fantasmes. 
        Leur professeure, également d'origine sikh, est une femme moderne, émancipée, qui, par désir de liberté, a quitté le foyer familial et le quartier de leur communauté pendjabi. Elle ne comprend pas que sa soeur se cherche, selon la tradition ancestrale, un époux de même religion qui satisfasse sa famille, et dans la famille duquel elle ira vivre. 
       
On le voit, c'est bien plus qu'un roman érotique puisqu'il aborde la question du mariage arrangé auquel sont confrontées, même en Occident, les femmes d'origine Orientale. De la méthode, moderne ou pas, employée pour choisir leur futur et de ses conséquences sur la vie de leur couple. 

Imprimés en italique, bon nombre des récits érotiques très imagés et pimentés de ces femmes, ponctuent le roman. Lequel est traité avec humour mais y plane tout au long l'ombre des dangers courus à enfreindre la "moralité", et l'énigme à résoudre du prétendu suicide d'une jeune fille sikh qui s'était rebellée après avoir accepté un mariage arrangé.

PS. Enfin, par certains aspects Le club des veuves qui aimaient la littérature érotique de Balli Kaur Jaswal peut se rapprocher de Quand le destin s'emmêle, d'Anna Jansson et de La bibliothèque des cœurs cabossés, de Katarine Biwald.

 


La conjuration des imbéciles, de John Kennedy Toole (éd. Laffont 1981 - éd. 10/18 2002)
lecture par Marie-Françoise :

Le roman se passe au début de l'année 1963. Ignatius J. Reily, célibataire, vit dans un quartier pauvre de la Nouvelle Orléans, avec, et aux crochets de sa mère qui ne pense qu'à lui. Elle s'est saignée pour qu'il fasse des études qu'il a prolongées le plus longtemps possible réussissant ses examens avec mention. Études en littérature médiévale qui n'ont pourtant débouché sur aucun travail. Il n'en a pas cherché.

Ses plus grandes préoccupations sont de manger, il devient de plus en plus obèse; d'aller au cinéma voir de mauvais films afin de se rendre compte de ce qu'il y a à y déplorer; de rester enfermé dans sa chambre sale et désordonnée, où il interdit à sa mère d'entrer, où il noircit de ses idées sur la société contemporaine qu'il abhorre, nombre de petits cahiers qu'il laisse traîner sur le plancher; de lire et de répondre aux lettres de Myrna, «péronnelle» à ses yeux, qu'il a connue à la fac et avec qui il a eu une relation platonique. Anarchiste, elle voudrait l'entraîner dans toutes sortes d'actions militantes à même de l'amener au sexe. 

Paresseux, menteur, hypochondriaque, atteint de troubles physiques et digestifs, «son anneau pylorique se ferme...» dès qu'il est contrarié. Ignatius est peut-être plus intelligent que psychopathe ayant le génie de se donner les moyens d'en faire le moins possible. C'est ce que finit par penser le lecteur lorsqu'il se rend compte qu'ayant, par la force des choses et pour aider sa mère, dû accepter de travailler, il berne allègrement ses employeurs qui finissent par le renvoyer. Ce qu'il entreprend pour tenter de rendre la société conforme à sa «conception du monde» tournant mal, comme si «dame Fortune» s'ingéniait à lui être néfaste. 

Si au cours du roman Ignatius reste campé sur ses positions, les personnages qui l'entourent, eux aussi très hauts en couleur, évoluent. Dont sa mère, arthritique et alcoolique au début du roman, qui finit par se rebeller et vouloir que son fils parte afin de vivre enfin pour elle-même… 

De quelques 475 pages d'un caractère serré, ce roman, tout d'ironie et d'humour noir, est à lire. Jamais le récit ne faiblit, que le lecteur français savoure à travers sa remarquable traduction de l'anglais par Jean-Pierre Carasso... qui restitue le langage tantôt érudit d'Ignatius, tantôt populaire des différents personnages, hommes ou femmes de différents milieux, dont le noir Jonas, avec nombre jeux de mots dus à l'orthographe purement phonétique utilisée. Car dans ce roman John Kennedy Toole présente tous les archétypes de l'Amérique contemporaine: les marlous, les beatniks, les rockers, le flic, les vieux chrétiens fondamentalistes, la voisine acariâtre, l'activiste anarcho-névrosée, les vendeurs de hot-dogs, etc. 

Enfin, puisque en préface du livre le destin de l'auteur John Kennedy Toole est signalé, ― auteur dont la mère à fait publier le roman après qu'il se soit suicidé parce qu'il se croyait un auteur raté, puisque refusé par les éditeurs , le lecteur se prend à imaginer qu'il ressemblait, peut-être?, par certains aspects à Ignatius... Va savoir! 
       En tout cas pour écrire un tel roman, génie, John Kennedy Toole, l'était assurément. D'ailleurs, ironie du sort, une fois publié, le roman fut primé et reconnu unanimement comme un chef-d'œuvre.

 



Le magasin des suicides, de Jean Teulé (éd. Julliard 2007)
lecture par Adéla :

L'auteur met en scène la famille Tuvache composée des deux parents, Mishima (prénom en allusion à l'auteur japonais suicidé par sepuko) et Lucrèce (allusion à la célèbre empoisonneuse Lucrèce Borgia) et de leurs trois enfants qu'ils ont appelé Vincent (à cause du peintre Van Gogh) Marilyn (à cause de Marilyn Monroe) et Alan. Leur caractère est en adéquation avec leur prénom, sauf celui d'Alan, le dernier né qui, au grand dam de ses parents, est un enfant anormal, puisqu'hilare de naissance, il voit toujours le bon côté des choses. 
       Les Tuvache tiennent depuis de nombreuses générations un magasin d'accessoires de toute nature pour les candidats au suicide... Pour donner à ce fait une apparence de crédibilité, l'auteur le situe dans une époque post XXIème siècle. 
      La chute en est surprenante après que leur commerce ait évolué tout au long du récit, et sous l'influence d'Allan, vers la vente de farces et attrapes. 
      Ce livre pourrait entrer dans la catégorie romans pour ados. Simple, sans considérations philosophiques, il se lit vite, on pourrait le trouver un tantinet bébête et pourtant... Il est truffé de jeux de mots, de références culturelles, de phrases empruntées à des œuvres littéraires, cinématographiques ou de la chanson, nichées au cœur du texte sans utilisation de guillemets, de sorte que c'est au lecteur de les reconnaître au passage, ce qui rend le texte, lorsque l'on s'en rend compte, d'autant plus hilarant. Bref, c'est un bon moment de détente.

 

 

Blonde, de Joyce Carol Oates (éd. Stock 2000)
lecture par Bernadette L. :

Ce livre m'a beaucoup intéressée par l'écriture et les portraits très bien dessinés, de Marilyn bien sûr, mais aussi de sa maman et de ses différents maris etc. par la description de l'Amérique des années 1950 à 1960 ainsi que des endroits où elle a vécu. Le dédoublement de sa personnalité se découvre au fur et à mesure de la lecture: petite fille confiante et spontanée qui devient un sexe symbole avec son corps parfait, transcendé par ses succès au cinéma mais qui rêve de maternité etc. et évolue vers une fin tragique...




Sourdes contrées, de
Jean-Paul Goux (éd. Champ Vallon 2019)
lecture par Marie-Françoise :

Avec ce beau titre emprunté à un vers de Jules Supervielle issu du recueil Oublieuse mémoire, Jean-Paul Goux nous amène à nous interroger avec Vivien, le narrateur, sur ces sourdes contrées qui constituent la mémoire lequel en cite quelques passages à un moment de son récit. Il s'agit ici du souvenir d'un vécu totalement perdu, ou peut-être inconsciemment occulté, ou d'une rêverie qui a pris l'apparence du réel, comme porte à le penser la phrase de Blanchot que l'auteur met en exergue de son livre: "Ce qui ne fut peut-être pas, ne fut peut-être que rêvé, mais, comme tel, n'en eut pas moins lieu." 

Vivien est donc celui qui écrit ces lignes pour les donner plus tard à lire à Julie, sa compagne architecte. Julie, dont il craint que l'esprit s'égare, dont il veut croire qu'elle ne fait qu'une crise passagère, qu'une "fugue" de la mémoire dans des souvenirs imaginaires ou rêvés, puisqu'il ne se rappelle pas qu'elle lui en ait jamais parlé auparavant, alors qu'elle-même affirme l'avoir fait très souvent. Alors en lui naît la peur: "...cette peur inconnue, que je n'ai pas nourrie moi-même, cette peur qui me vient du dehors, qui ne dépend pas de moi, qui tient à celle que j'aime quand celle que j'aime s'efface en ma présence, pourrait bientôt s'effacer tout entière, disparaître pour jamais..." 

Il lui écrit ces pages, ces traces de ce qui arrive où il note ses propres pensées et ce qu'elle raconte de si inconnu pour lui, après l'énervement de celle-ci lorsqu'il lui affirme qu'elle ne lui en a jamais parlé et qu'il ne croit pas que cela puisse donc être vrai. Pour éviter de réentendre la voix dure qu'elle eut alors et qui lui semble être celle d'une autre Julie que peu à peu elle devient, pour éviter qu'elle s'éloigne, qu'ils finissent par être sourds l'un à l'autre, ne plus s'entendre, il décide de l'écouter sans la contredire. L'emmène sur l'un de ses anciens chantiers, qu'elle dit ne pas connaître. D'un autre bâtiment qu'elle-même a rénové autrefois, elle prétend que ce n'est pas son travail, mais celui d'un dénommé Simon, qu'elle affirme avoir connu dès le lycée et dont Vivien ne se souvient pas qu'elle lui en ait jamais parlé... 

Ce Simon et quelques-uns des noms de lieux évoqués, les lecteurs de Jean-Paul Goux les reconnaissent. C'est le Simon des Hautes falaises, celui de L'embardée...  ce fils et petit fils d'architecte, architecte lui-même. Le biais de l'architecture permettant à Jean-Paul Goux de rendre sensible dans l'espace l'expérience du temps*, de longues pages sont consacrées à de minutieuses descriptions architecturales très visuelles d'immeubles, ici ceux des anciens chantiers de Julie: maisons, château, ancien monastère, maison forte... qu'elle a rénovés , en termes justes et techniques et d'une précision telle que si le lecteur prenait la peine de les dessiner, ces bâtiments, il y parviendrait. Ces lieux où s'articulent l'espace et le temps*, Julie dans son moment de détestation d'elle-même et de son travail dit les avoir seulement rapetassés. Alors qu'en fait elle les a "ranimés", fait "renaître, revivre..." ce qui a permis de les "réveiller et les réinventer pour les rendre habitables". De même Vivien dans ses notes, mêlées de la préoccupation pour le rêve et la rêverie agissante* dans la construction du souvenir, reprend* la teneur de leurs conversations. 

Le lecteur reconnaît aussi dans Sourdes contrées, l'intérêt de l'auteur pour les jardins, clos, et les escaliers, que l'on retrouve présents dans bien des chantiers de Julie et plus précisément l'escalier en forme de vis: "Une spirale, un ressort qui est est tendu d'abord, écrasé si tu veux, avec ses fins anneaux qui semblent seulement empilés les uns sur les autres, mais lorsqu'il se détend, voici que les anneaux deviennent des spires et qu'apparaît le lien qui les unit d'un bout à l'autre - un fil continu qui s'enroule autour d'un axe immatériel, invisible et qui tient ensemble le commencement et la fin, enchaîne le plus lointain et le plus proche, relie ses éléments distants par cette spirale que nous sommes dans le temps.

Cette ample prose poétique teintée de mélancolie caractéristique des œuvres de Jean-Paul Goux retient le lecteur attentif de page en page, lequel lecteur s'inquiète, de page en page, de l'issue du récit de Vivien... 

*Lire, ou relire, le compte rendu de la rencontre avec Jean-Paul Goux au Café littéraire luxovien où il s'attachait à expliquer bien des termes qu'il emploie dans ce présent ouvrage. 

 

Mon âge /L'averse/Les séances/Corps/Un homme aborde une femme, de Fabienne Jacob
par Adéla :

Dans des contextes légèrement différents, de livre en livre Fabienne Jacob décline ses mêmes thèmes de prédilection: les mots et le ressenti.

Elle nous dévoile l'intériorité du narrateur. Plutôt de la narratrice, sauf dans L'averse. Ce qu'il ressent, ses allers et retours de pensées vers l'enfance, les confidences d'autres femmes. Brosse des portraits, des sortes de "vies minuscules", qu'elle relie par un fil rouge. Dans Un homme aborde une femme, c'est la narratrice qui est plaquée par un homme. Dans Les séances ce sont deux sœurs dont l'une est devenue photographe et l'autre, qui fut adoptée, guérisseuse à l'écoute de femmes qui lui racontent leur histoire, leurs problèmes, à l'attente desquelles elle répond par une phrase sibylline. Dans Corps, c'est une esthéticienne à laquelle se confient des femmes qui n'aiment pas leur corps... Dans L'averse, c'est Tahar mourant et les souvenirs de sa vie qui affluent dans ses derniers moments.

Dans une écriture sobre et belle, elle met en scène des situations profondément humaines où tout un chacun, chacune, à un moment donné peut se reconnaître. 

 

 

Suite

 

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