Le Café Littéraire luxovien /le petit endroit
                                                                                                  

      

       Les cuvettes des toilettes modernes se dressent au-dessus du sol comme la fleur blanche du nénuphar. L'architecte fait l'impossible pour que le corps oublie sa misère et que l'homme ignore ce que deviennent les déjections de ses entrailles quand l'eau tirée du réservoir les chasse en gargouillant. Les tuyaux des égouts, bien que leurs tentacules viennent jusque dans nos appartements, sont soigneusement dissimulés à nos regards et nous ignorons tout des invisibles Venises de merde sur lesquelles sont bâtis nos cabinets de toilette, nos chambres à coucher, nos salles de bal et nos parlements.
       Les cabinets de ce vieil immeuble d'une banlieue ouvrière de Prague étaient moins hypocrites; le sol était en carreaux gris, d'où s'élevait, orpheline et misérable, la cuvette des waters. Sa forme n'évoquait pas la fleur du nénuphar, mais rappelait au contraire ce qu'elle était: l'embouchure évasée d'un tuyau. Il y manquait même le siège en bois et Tereza dut s'asseoir sur la tôle émaillée qui la fit frissonner.
       Elle était assise sur la cuvette, et le désir de vider ses entrailles, qui l'avait assaillie soudain, était le désir d'aller jusqu'au bout de l'humiliation, d'être un corps le plus possible et aussi totalement que possible, ce corps dont sa mère disait toujours qu'il n'était là que pour digérer et pour évacuer. Tereza vidait ses entrailles et elle éprouvait à cet instant une tristesse et une solitude infinies.
       Il n'est rien de plus misérable que son corps dénudé assis sur l'embouchure évasée d'un tuyau de vidange; son âme a perdu sa curiosité de spectateur, sa malveillance et son orgueil; elle est retournée tout au fond du corps dans ses replis les plus cachés. Elle attend désespérément qu'on la rappelle.

Milan Kundera , L'insoutenable légèreté de l'être

 

... car il faut que tu saches qu'à la fin de leurs journées de travail tous se rendaient à la salle de bains, une grande salle qui servait aussi de toilettes. Imagine. Sur un mur une longue rangée d'urinoirs, sur le mur d'en face des lavabos. Des urinoirs en forme de coquilles, en céramique, tous colorés, avec des ornements en motifs de fleurs. Chaque membre du clan de Staline avait son propre urinoir créé et signé par un artiste différent. Seul Staline n'en avait pas.
― Et il pissait où, Staline?
― Dans un cabinet solitaire, de l'autre côté  du bâtiment; et puisqu'il pissait seul, jamais avec ses collaborateurs, ceux-ci, dans les toilettes, se trouvaient divinement libres et osaient dire enfin à voix haute tout ce qu'ils étaient obligés de taire en présence du chef.

Milan Kundera, La fête de l'insignifiance

 

«C'est notre petite Corinne», annonça la belle-sœur à Chantal; puis, à l'enfant: dis bonjour à ta tante», mais l'enfant ne porta aucune attention à Chantal et annonça qu'elle voulait faire pipi. La belle-sœur sans hésiter , comme si elle connaissait déjà bien l'appartement, se dirigea avec Corinne vers le couloir et disparut dans les W.-C;
       (...) Comme la belle-sœur avait laissé grandes ouvertes et la porte du couloir et la porte des W.-C., ils ne pouvaient se dire grand-chose. Ils entendaient l'urine qui tombait dans l'eau de la cuvette, mêlée à la voix de la belle-sœur qui leur donnait des informations sur la famille, et qui apostrophait de temps en temps la pisseuse.
       Chantal se souvient: un jour, en vacances dans la villa, elle s'était enfermée aux W.-C.; soudain, quelqu'un tira sur la poignée. Détestant tenir une conversation à travers la porte des W.-C. elle ne répondait pas. À l'autre bout de la maison quelqu'un cria pour calmer l'impatient: «C'est Chantal qui est là!» Malgré l'information, l'impatient secoua encore plusieurs fois la poignée comme s'il voulait protester contre le mutisme de Chantal. 
       Le bruit de l'urine a été relayé par la chasse d'eau et Chantal pense toujours à la grande villa en béton où tous les sons se répandaient sans qu'on pût déterminer de quelle direction ils venaient. Elle était habituée à entendre les soupirs coïtaux de sa belle-sœur (leur sonorité inutile se voulait certainement une provocation, pas tant sexuelle que morale: un refus démonstratif de tous les secrets); un jour, les soupirs d'amour arrivèrent de nouveau jusqu'à elle et ce ne fut qu'au bout d'un certain temps qu'elle comprit qu'une grand-mère asthmatique, à l'autre bout de cette maison sonore, respirait en gémissant.

Milan Kundera, L'identité

 

«Je suis dans le four», avait soupiré le plombier en sortant de la salle de bain. Il s'était assis, accablé, délivrant son diagnostic: la fuite était identifiée; réparer la douche allait être facile. Mais il restait un problème: les toilettes (qui pourtant, se portaient comme un charme). Pour un spécialiste, elles étaient d'un format impossible, ancien, pénible; elles étaient sa bête noire, sa Némésis. Et allaient gâcher sa journée; peut-être sa vie. Je ne pensais pas qu'on pouvait haïr autant un sanitaire.

L'attrait des toilettes, de Gabriel Bortzmeyer

 

Il se trouva sur une véranda de bois rudimentaire dominant toute la vallée. Tout en bas, la rivière serpentait au milieu des champs, large et paresseuse. À quelque distance, vers le sud, elle se jetait dans un lac long et étroit bordé de montagnes. Le soleil ne s'était pas encore levé. une brume au-dessus de l'eau masquait l'extrémité du lac. C'était un paysage agréable. Bien sûr, se rappela Jean-Pierre, c'était la partie la plus fertile et la plus peuplée du Nuristan: presque tout le reste était désertique.
       Jean-Pierre remarqua avec satisfaction que les Russes avaient creusé des latrines. La pratique afghane d'utiliser les cours d'eau où ils puisaient leur eau potable était la raison pour laquelle ils avaient des vers. Les Russes vont vraiment remettre ce pays sur pied, une fois qu'ils en auront le contrôle, se dit-il.
       Il descendit jusqu'au près, utilisa la latrine, alla se laver dans la rivière et accepta une tasse de café d'un groupe de soldats plantés au milieu du camp.

Ken Follet, Les lions du Panshir

 

Au seuil du XXe siècle, le bibliophile britannique William Blades acheta les restes d'un livre précieux sauvé d'un naufrage scatologique. Blades raconte que l'été 1887, un de ses amis loua un appartement à Brighton. Dans les toilettes, il trouva des feuilles de papier destinées à être utilisées à cet endroit. Avant de s'en servir comme papier hygiénique, il les posa sur ses genoux nus et jeta un coup d'œil au texte, écrit en lettres gothiques. Il eut le pressentiment d'avoir découvert quelque chose. Ému, il régla rapidement ses affaires corporelles et le problème de l'essuyage, et sortit demander d'il y avait d'autres feuilles comme celles-là. La logeuse lui vendit les restes de livres sans reliure qu'elle avait encore et lui raconta que son père, qui adorait les antiquités, avait eu à une époque une malle pleine de livres. Après sa mort, elle les avait conservés, jusqu'au jour où elle en avait eu assez de ce fardeau. Supposant qu'ils n'avaient aucune valeur, elle les mit dans les toilettes, où les vestiges de la bibliothèque héritée étaient sur le point d'être définitivement engloutis. Le livre qu'il avait entre les mains se révéla être un des exemplaires les plus rares et précieux de l'imprimerie de Wynkyn de Worde, une œuvre intitulée Gesta Romanorum dans laquelle Shakespeare avait trouvé l'inspiration pour ses pièces de théâtre. Il ne restait plus qu'à imaginer les trésors bibliographiques qui avaient approvisionné jour après jour les latrines de cette pension anglaise.

Irene Vallejo, L'infini dans un roseau

 

Pour prolonger la rencontre, il la conduisit ensuite dans les ruelles de la vieille ville, jusqu'à un vieux couvent qui la dominait et dont le cloître attirait une nuée de touristes. Apparemment, il avait tout bien prémédité, puisque d'un pas relativement décidé il l'emmena dans un couloir désert, sous le prétexte assez sot de lui montrer un tableau. Ils arrivèrent au bout du couloir sans rencontrer le moindre tableau, mais seulement une porte peinte en brun où étaient inscrites les lettres W.C. Sans remarquer la porte, le garçon s'arrêta. Agnès savait bien que son camarade s'intéressait médiocrement aux tableaux et ne cherchait qu'un endroit à l'écart pour lui donner un baiser. Le pauvre, il n'avait rien trouvé de mieux que ce cul-de-sac, près des cabinets! Elle s'esclaffa et, pour lui éviter de croire qu'elle se moquait de lui, montra du bout du doigt l'inscription. Il rit aussi, malgré son désespoir. Avec ces deux lettres en toile de fond, il lui était impossible de se pencher vers elle pour l'embrasser (d'autant qu'il s'agissait d'un premier baiser, par définition inoubliable) et il ne lui restait plus qu'à retourner dans les rues avec un amer sentiment de capitulation.

Milan Kundera, L'immortalité

 

Être seul, est-ce tant demander? Tu m'étonnes si j'ai campé dans les chiottes, le seul endroit qui vous cerne de quatre murs et d'une minuscule fenêtre. Les chiottes en guise de plage à la Bora Bora. Les chiottes, cette île lointaine inaccessible au regard et à l'oreille des belligérants locaux. Les chiottes, cette galaxie bénie de toutes les divinités où le corps se détend et le reste aussi. Les chiottes, cet espace de liberté, ce bout de démocratie, cet isoloir des sens, j'arrête là. 

Magyd Cherfi, Ma part de Gaulois

 

Mon véritable espace de liberté est le temps que je passe aux toilettes. Vikkie n'a jamais accepté de m'y voir disparaître ainsi chaque jour pendant une heure. «Qu'est-ce que tu fais là-dedans que je ne peux pas faire en plus de cinq minutes? Tu te tires une peau? Tu es constipé?» Je me suis fait installer des toilettes japonaises à la maison et à mon bureau. Mon trône est un engin galactique: cuvette chauffante, réglage micrométrique des multijets. Mon luxe. J'y trouve mes idées en ne les cherchant pas. Le meilleur du design et de la technologie au service de mon cul. J'ai une bonne sono, des revues. Personne ne vient me poser de questions, personne n'ose profaner mes dix mètres cubes de paix thérapeutique. Vikkie urine en laissant ouverte la porte des toilettes. Elle ne supporte pas les portes closes. Au début de notre vie commune je protestais. Aujourd'hui, je m'éloigne. 

Yannick Grannek, Le bal mécanique 

 

Pour pisser, la plage disposait en tout et pour tout de trois chiottes, des cabines en plastique bleu, et une queue de vingt-cinq mètres devant chaque. Des meufs pour l'essentiel. Constatant la file d'attente, les mecs se rabattaient dans les bois. Anthony les imita. Il voulait se trouver un coin peinard, mais même là, ça fourmillait. Il s'enfonça plus loin entre les arbres. Bientôt, l'ombre du bois se referma sur lui. Dans son dos, la fête n'était plus qu'une pulsation jaune, assourdie. Il fit encore quelques pas. Le feuillage bruissait à peine. Il ouvrit sa braguette. 

Nicolas Mathieu, Leurs enfants après eux

 

Notre kommunalka disposait d'une petite salle de bain, un privilège que m'enviaient bien des camarades de travail. Mais la pièce était occupée à temps plein par Marinka, qui y faisait les lessives du voisinage. Quand c'était enfin disponible, je devais me récurer à toute vitesse en évitant de frôler les paroles moisies, car mes colocataires chronométraient le temps que j'y passais. Et Mykola tambourinait à la porte des cabinets où il cachait ses bouteilles. J'étais perpétuellement constipée, l'idée d'avoir à me dépêcher et d'être écoutée me bloquait les entrailles. 

Yannick Grannec, Le bal mécanique

 

C'est tout le chagrin du monde qui me tombe dessus. Je ne suis plus au bord de pleurer, à présent: je pleure. Des larmes coulent sur mes joues, qui ne cesseront jamais, qui couleront aussi longtemps que la misère humaine. Misère des victimes, misère des humilies, misère des naufragés, misère des crétins, misère des (...) misère du type qui lutte contre ses pires pulsions et qui perd la partie et qui sait depuis le début qu'il va la perdre. Misère que nous connaissons tous quand, assis sur la cuvette des chiottes dans la lumière jaune et froide d'une nuit d'insomnie, nous pensons à l'image valeureuse que, désespérément, nous tâchons de donner aux autres et à l'horrible vérité de ce qui nous habite en réalité, dans le secret de nos cœurs et des chiottes. 

Emmanuel Carrère, Yoga

 

Sept heures trente-cinq, pouvais-je lire sur ma montre bracelet tombée par terre. Ma couverture et ma chemise étaient aussi mouillés que si j'avais versé un plein seau d'eau dessus.
       Mon cerveau errait encore dans la grisaille, mais je n'avais plus de fièvre. (...) 
       Je descendis l'escalier et pris une douche brûlante. J'avais une mine de déterré, le teint horriblement livide et des joues que la nuit avait creusées. Je me rasai méticuleusement, selon mon habitude, en me barbouillant d'une triple couche de mousse. Puis j'urinai avec une abondance qui me sidéra. 
       Ce pipi m'avait élément épuisé que j'allai m'écrouler sur le sofa pour y rester, enveloppé dans mon peignoir, durant un bon quart d'heure. 

Haruki Murakami, La course au mouton sauvage

 

Les Russes qui pratiquent le négoce et frayent avec eux leur apportent, entre autres marchandises, une sorte de champignon qui croit en Russie sous le nom de mulchumor (amanite tue-mouche), et qu'ils échangent contre des écureuils, des renard, des hermines, des zibelines, etc., car les riches parmi eux peuvent faire provision des champignons pour l'hiver. Quand ils veulent faire la fête et collationner, ils versent de l'eau par-dessus les champignons, les cuisent et en boivent à l'envi. Alors se massent, autour de la cahute des riches, les pauvres qui ne peuvent s'offrir pareille provision de champignons, attendent que l'un des hôtes descende se soulager, tendent une coupe en bois devant lui et boivent l'urine où subsiste encore quelque puissance des champignons qui les rend ivres eux aussi. C'est pourquoi ils ne veulent pas laisser perdre au sol ce breuvage si plein de force. 

Philipp Johann von Strahlenberg 
à propos des autochtones du Kamtchatka, cité par 

Robert Hofrichter dans: La vie secrète des champignons

 

Elle a toujours été économe mais, avec l'âge, cette vertu a dégénéré en manie, et maintenant c'est sans nul doute d'avarice qu'il faut parler. Par exemple, elle n'autorise ses pensionnaires à se baigner quelle premier vendredi du mois et elle a imposé la coutume argentine si populaire dans les foyers de ce beau pays de ne tirer la chasse des cabinets qu'une fois par jour (elle le fait elle-même, avant de se coucher) à quoi la Pension Coloniale doit à cent pour cent, ce fumet constant, épais et tiède qui, surtout au début, donne la nausée aux pensionnaires (elle, imagination de femme qui a réponse à tout, soutient que c'est grâce à cela qu'ils dorment mieux). 

Mario Vargas Llosa, La Tante Julia et le Scribouillard

 

Je connais le chant des mouches par cœur. Je n'ai qu'à fermer les yeux pour les réentendre tourner autour de moi parce que, pendant des mois, je devais m'accroupir en petit bonhomme à dix centimètres au-dessus d'un bain géant rempli à ras bord d'excréments sous le soleil brûlant de Malaisie. Je devais regarder l'indescriptible couleur brune sans cligner des yeux pour éviter de glisser sur les deux planches, derrière la porte d'une des seize cabines, chaque fois que j'y mettais mes pieds. Il fallait maintenir l'équilibre, ne pas m'évanouir lorsque mes propres selles ou celles de la cabine voisine provoquaient une éclaboussure. Dans ces instants-là, je m'évadais en écoutant le vol des mouches. Une fois, j'ai perdu ma babouche entre les planches après avoir déplacé mon pied trop rapidement. Elle a plongé dans cette bouillie sans s'y enfoncer. Elle y flottait comme un bateau à la dérive. 

Kim Thuy, Ru

 

Les cloches des laudes ont sauvé l'évêque d'un rêve étrange dans lequel, pris d'atroces contractions, il accouchait d'une masse sanglante à même les marches de l'autel sous les vivats de ses paroissiens. 
       Il se lève sans le courage renouvelé du petit matin, la chemise trempée de sueur, la panse tiraillée de vents qu'il ne parvient pas à chasser malgré tous ses efforts. Pas aujourd'hui, par pitié!  Le dernier de ses valets émerge des latrines avec un sourire satisfait tandis que lui doit consacrer des heures à se libérer de ce qui se refuse à sortir. 
       Quand le ventre s'arrête, toute la pensée se constipe. Il n'a plus de goût à rien, se concentre avec peine.

Yannick Grannec, Les simples

 

Il fallait tenir jusqu'au lendemain matin où un ravitaillement ne manquerait pas d'arriver, mais, en attendant, transcendant les catégories sociopolitiques et les détestations claniques, il y avait le problème des chiottes. En rentrant de sa cigarette du soir, Fernand surprit un détenu en train de balancer une grosse poignée de paille par la fenêtre entrouverte, l'odeur ne laissait aucun doute sur l'origine du geste. Il fallait trouver une solution, faute de quoi l'atmosphère deviendrait rapidement irrespirable... 
       ― On va organiser un tour aux toilettes, dit-il à ses subordonnés. 
       ― J'ai pas envie, dit Bornier. 
       ― C'est pas de toi qu'il s'agit, c'est des prisonniers! 
       ― J'ai encore moins envie! 
       ― Pourtant, c'est ce que tu vas faire. 
       Les détenus furent autorisés, par groupes de trois, à se rendre aux toilettes sous la surveillance d'un garde mobile, situation pénible pour tout le monde. Les latrines, faiblement éclairées, avaient été nettoyées au jet d'eau quatre jours plus tôt et puaient comme en enfer, les premiers utilisateurs en sortirent exsangues, les autres préférèrent s'abstenir. Des le lendemain, Fernand organiserait une tournée de nettoyage. «Trouver du matériel», nota-t-il mentalement, la liste s'allongeait. Il autorisa les détenus à pisser le long des clôtures. «Pour le reste, c'est les latrines ou rien!» 

Pierre Lemaitre, Miroir de nos peines

 

«Dmitry, c'est ton tour de récurer les toilettes», ai-je dit au début du service. Dmitry est nouveau. Petit et nerveux, avec des cheveux en pointes, il a à peu près mon âge. Il est aussi ce que j'appellerai un employé à problèmes.
       Il était occupé à textoter et ne m'a pas répondu.
       «Dmitry. Tu sais que les toilettes doivent être inspectées et rafraîchies toutes les heures.
       ― Déso, ça va pas être possible, Dilbert, a-t-il lâché sans lever les yeux de son téléphone.
       ― Je m'appelle Wilbur. Et pourquoi?
       Je l'ai regardé sans comprendre.
       «Une maladie de peau. Peux pas me servir de produits d'entretient, ça me donne une éruption cutanée dégueulasse»
       Conscient que je ne pouvais pas le forcer à exécuter une tâche médicalement déconseillée ― j'avais lu les quatre-vingt pages du manuel, évidemment ―, j'ai récuré les toilettes moi-même. Je ne sais pas si c'est particulier à cette sandwicherie ou si c'est un phénomène universel, mais c'est fou le nombre de gens qui soit ne comprennent pas comment tirer la chasse, soit ne prennent simplement pas la peine de le faire.

Susin Nielsen, La vie en rose de Wil

 

Les locaux étaient au deuxième étage de l'immeuble largement vitré, aux allures de Lego, dans lequel on avait envie d'entrer comme dans un lave-vaisselle ou un commissariat. Les toilettes communes étaient hors de Charlie, à quelques mètres, au milieu d'un couloir toujours désert. Plus tard, à l'hôpital, ces toilettes ont pris pour moi une importance rétrospective ― comme une porte que je ne cesserai d'ouvrir. Elles me faisaient miroiter la fuite et un autre destin, mais elles n'ouvraient que sur un mur de briques. J'imaginais que j'étais en train de pisser quand les tueurs entraient. Non,je ne l'imaginais pas: au cœur des tuyaux, je le vivais. J'étais dans ces toilettes à leur arrivée et je pissais pendant qu'ils tuaient tout le monde, sans rien savoir, rien entendre. 

Philippe Lançon, Le lambeau

 

... la chose qui, à l'en croire, le séduisit d'emblée en Europe, fut les WC ― les toilettes. Au cours de leur tournée des pensions, Garp découvrit que les toilettes étaient en général un réduit minuscule sommairement équipé d'une cuvette; ce fut la première chose à laquelle Garp trouva du sens en Europe. Il en parla à Helen: 
       ― C'est le système le plus intelligent que je connaisse ― on urine et se vide les tripes dans un endroit, on se brosse les dents dans un autre. 
       Les WC, comme de juste, occuperaient une place éminente dans le récit de Garp, la Pension Grillparzer, récit que d'ailleurs Garp ne devait pas écrire dans l'immédiat. 

John Irving, Le monde selon Garp

 

       ― C'est où les W.-C. ? 
      
Les vécés ? 
       L'aubergiste s'esclaffa, mais ses yeux restaient aussi froids que ceux d'un poisson mort. 
      
Ici, on dit les latrines. Fond de la cour. 
       (...) 
       Paul rabattit le loquet du cabanon. Il n'était pas mécontent d'échapper à l'attention générale. Le cabanon consistait en quatre planches à ciel ouvert, une cuvette encrassée et un tas de papier qui tenait à un clou, pour s'essuyer. L'endroit était modérément sale, un peu moins qu'il ne le craignait, surtout si on évitait de trop respirer. 
       Il finissait de se soulager quand un grand vent lui souleva les cheveux, lui arrachant un couinement de peur. D'un seul mouvement, il se reculotta d'une main, débloqua le verrou de l'autre et se jeta dehors, horrifié d'être pris au piège par une bête inconnue. En fait de monstre, une poule battait furieusement des ailes, dardant vers lui un œil furibard. Une basse-cour flanquait les cabinets qui tenaient lieu de perchoir aux plus aventureux des volatiles. 

Nicolas Vanier, L'école buissonnière

 

       On n'a pas eu le temps d'échanger deux mots que Rolande, la vieille cousine, une femme volontaire en robe Marcelle Griffon et gros clips d'oreille en or, pas du genre à molasser, s'est jetée sur lui de dos et un peu fort pour lui demander s'il y avait des toilettes quelque part parce qu'elle avait besoin de faire pipi et qu'elle n'allait pas pouvoir attendre vu l'état de sa vessie. 

Anne Pauly, Avant que j'oublie

 

Elle s'éclipse dans le couloir, s'enferme aux toilettes. Elle baisse son pantalon, sa culotte, retire sa serviette hygiénique et la roule dans la poubelle. Elle colle une nouvelle serviette, spéciale nuit, au mur, et s'assoit sur la cuvette, le smartphone dans la main. Elle sait qu'il ne faut pas le faire, mais elle le fait quand même, poussée par un irrépressible besoin de plonger dans la merde, parce que c'est toute cette merde-làqu'elle s'est donné pour mission de nettoyer. 
      Les gouttes d'urine font clapoter l'eau qui stagne au fond de la cuvette pendant qu'elle lit ses mentions sur Twitter : (...) 
      Elle se souvient de Roland Fourgue, le cul posé dans un de ses fauteuils, à siroter un whisky. De Fraticelli, de Lartigolle, de tous les autres qui vont embrayer aujourd'hui, demain... «On a autre chose à foutre que de récurer les chiottes sous couvert de faire du fact checking», avait dit le journaliste du Temps. Visiblement, on lui a mis une balayette dans les mains. 
      Elle pose le smartphone sur le carrelage, se relève, s'essuie le sexe et décolle la serviette propre du mur avant de l'installer dans sa culotte. Les tampons ne suffisent plus à absorber des caillots de sang de la taille d'une mirabelle. 

Thomas Bronnec, La meute

 

Une curieuse construction ce chalet de nécessité qui, sous ses airs suisses, rappelait la pagode chinoise et le temple hindou avec sa toiture retroussée, ses boiseries sculptées et sa décoration de céramiques. 
       Ce qui intéressait particulièrement Tupik, c'était la division de l'espace intérieur du chalet en deux parties rigoureusement opposées. Il y avait à gauche le domaine des hommes avec ses urinoirs malodorants, parcimonieusement irrigués, et, derrière des portes qui fermaient mal, des latrines turques formées d'un trou cynique, encadré par deux semelles de ciment striées pour poser les pieds. Rien de plus avenant au contraire que le domaine des dames. Les lieux, qui fleuraient le désinfectant au lilas, étaient décorés de porcelaines figurant des paons aux queues largement déployées. Des serviettes fraîches et neigeuses s'empilaient sur une console entre deux lavabos immaculés. Mais ce qui enchantait surtout Tupik, c'était les petits cabinets bien clos par des portes d'acajou, les sièges hauts perchés, le papier hygiénique soyeux, insonore et imprégné d'essence de violette. 
       Tel le chien Cerbère, gardien des enfers, Mamouse, énorme dans ses épaisseurs de tricots et de châles, le masque mou, large et impassible encadré par les bords d'une mantille de dentelle noire qui coiffait ses cheveux blancs, siégeait devant une table entre les deux portes, celle des messieurs et celle des dames. Sur cette table étaient posés la soucoupe destinée aux oboles et un réchaud à alcool surmonté d'une casserole où mijotait un invariable bouillon aux abattis de volaille. 

Tupik (nouvelle dans Le coq de bruyère), de Michel Tournier

 

Allez donc jeter un coup d'œil dans les lavabos des hommes, dit le policier, en mettant le cap sur une femme qui poussait un landau surchargé de couvertures. 
       Pour Garp, tous les lavabos et tous les WC se ressemblaient; à l'entrée de ce lieu malodorant, Garp croisa un jeune homme qui sortait. Il était rasé de près, sa lèvre supérieure si lisse qu'elle en paraissait presque luisante; il avait l'air d'un étudiant. En pénétrant dans les toilettes, Garp était comme un chien de chasse, les poils hérissés sur la nuque et tous les sens en alerte. Il vérifia si des pieds passaient sous les panneaux des portes des chiottes (...) Il alla voir si quelqu'un n'était pas planté devant le long urinoir, lui tournant le dos - ou encore debout devant les lavabos jaunâtres, en train de le guetter dans les glaces au tain piqueté. Mais il n'y avait personne dans les toilettes. Garp renifla. Il y avait maintenant longtemps qu'il portait la barbe, pleine mais taillée, et il ne reconnut pas sur-le-champ l'odeur de la crème à raser. Il décela pourtant une odeur étrangère à ce réduit humide. Puis son regard tomba sur le lavabo le plus proche: il vit des flocons de mousse, le cercle de poils accrochés à la cuvette. 
       Le jeune homme rasé de près et qui avait l'air d'un étudiant traversait le parking, d'un pas rapide mais calme, lorsque Garp jaillit des toilettes. 

John Irving, Le monde selon Garp

 

Pour les waters, cela se passe carrément dehors: au pied du bâtiment, dans la rue, derrière une vieille porte en bois avec un petit cœur pour la ventilation. La nuit, la vieille dame utilise plutôt un pot de chambre, qu'elle descend vider chaque matin. Sauf si Jean vient en vacances, c'est alors lui qui s'y colle. 

Aurélie Valognes, Au petit bonheur la chance !

 

La vie dans notre petit appartement se déroulait comme dans le sous-marin que j'avais vu au cinéma Edison, où les matelots passaient d'un sas à l'autre en refermant derrière eux un nombre incalculable de cloisons: j'allumais la lumière dans les toilettes d'une main en éteignant de l'autre celle du couloir pour ne pas gaspiller le courant. J'actionnais parcimonieusement la chaîne du Niagara car on ne gaspillait pas un réservoir entier juste pour un pipi. On le réservait pour d'autres besoins (qu'on ne nommait jamais chez nous). Mais un pipi? Un plein réservoir? Alors que les pionniers du Néguev utilisaient l'eau qui leur avait servi à se rincer les dents pour arroser les plantes? Quand, dans les camps d'internement, à Chypre, un seul seau servait à toute une famille pendant trois jours? 

Amos Oz, Une histoire d'amour et de ténèbres

 

Durant le siège [de Jérusalem en 1948], maman, papa et moi dormions sur un matelas, au fond du couloir, où la longue procession de ceux qui allaient aux toilettes nous enjambait toute la nuit. Les WC d'ailleurs puaient atrocement parce qu'il n'y avait pas d'eau pour tirer la chasse et que la lucarne était obstruée par des sacs de sable. À chaque explosion, la montagne tremblait, et les maisons de pierre avec elle. Parfois les cris terrifiants d'un dormeur en proie à un cauchemar me réveillait en sursaut. 

Amos Oz, Une histoire d'amour et de ténèbres

 

...les femmes ont continué à porter le poids de l'histoire inaudible du Viêtnam sur leur dos. Très souvent, elles se sont éteintes ainsi sous cette lourdeur, dans le silence. Une de ces femmes, que j'ai connue, est décédée en perdant pied dans ses toilettes, juchées au-dessus d'un étang rempli de barbotes. Ses babouches en plastique ont glissé. Si quelqu'un l'avait observée à ce moment-là, il aurait vu son chapeau conique disparaître derrière les quatre panneaux qui cachaient à peine son corps accroupi et l'entouraient sans la protéger. Elle est morte dans la fosse septique familiale, sa tête plongeant dans un trou d'excréments entre deux planches de bois, derrière sa hutte, entourée de poissons-chats à la chair jaune, à la peau lisse, sans écailles, sans mémoire. 

Kim Thuy, Ru

 

Je traverse, je prends le couloir. Un lourd remugle dormant assaille les narines, un maigre jour filtre par une étroite fenêtre, je m'enfonce dans les entrailles du logis. Tout de suite à gauche, le cabinet, avec le siège en bois déteint, assorti à la poignée qui pendille au bout de la chaîne. Luxe délectable: souvent, quand on rend visite à la famille dans les coins juifs, il n'y a qu'un cabinet turc, commun à l'étage, empli des relents collectifs. À droite, la cuisine (...) 

Serge Doubrovsky, Le livre brisé

 

Tous ces petits vicieux, quand ils reviennent de l'école et qu'ils passent là... Ils attendent et ils jettent des pierres. Même, ils viennent taper à coups de pied dans la porte, ils tirent dessus, et si je ne me cramponnais pas, ils l'ouvriraient, les petits fumiers. Les petits salauds! (...) 
       Nanase regarda vaguement du côté de la vieille: 
      
Et qu'est-ce qui t'empêche d'aller chier quand ils sont en classe? 
       Elle lâcha une rafale de crachotements indignes, de petits cris assourdis. 
      
C'est à cette heure-là que je vais aux cabinets! couina-t-elle. Ça se commande pas! Je pourrais au moins être tranquille, non, quand ça se fait? Penses-tu! Il faut encore que ces petits merdeux sortent de l'école et qu'ils s'amusent aux dépens d'une pauvre vieille qui fait ses besoins dans des cabinets comme il n'en existe plus ailleurs! 
      
Sûr qu'il en existe ailleurs des pareils à celui-là, dit Nanase. (...) 
      
Compte-les! Compte-les! Glapit la vieille. Et dis-moi un peu où ils sont! Des cabinets comme celui-là, je serais bien surprise que des gens acceptent d'en avoir. C'est une honte! 
      
Va le dire au propriétaire. (...) C'est ça: va donc te plaindre au proprio. Au notaire qui encaisse le loyer chaque mois. Va lui dire: «Monsieur, je voudrais des chiottes potables comme ça devrait être pour tout le monde dans une démocratie. Liberté, égalité, fraternité. Ouais. Je voudrais pouvoir aller chier quand ça me chante, sur un trône en faïence et avec une chasse d'eau qu'on tire, vous savez, joliment décorée d'une boule métallique, et qu'on m'embête plus quand ça se produit. S'il vous plaît, monsieur le notaire...» (Il hocha la tête et son regard se durcit.) Et qu'est-ce qu'il en a à foutre, le propriétaire de cette baraque? Tu crois peut-être que ça l'empêche de dormir, tes chiottes à l'extérieur avec la porte qui se déglingue? Elle va être vendue, cette maison, et rasée. 

Pierre Pelot, Pauvres Z'Héros

 

       Il n'y avait pas assez d'heures dans ses journées pour noter sur ses carnets et sur ses petits feuillets de partitions tout ce qui l'enchantait. 
      Il notait le clapot de la pluie dans la mare. Le cliquetis de la chaîne de fer du puits qui cogne contre l'étrange cloche du seau vide qui descend dans l'ombre verticale du cercle des pierres. 
      Il notait le battement de la porte des chiottes faite en pauvres lattes de bois ajourées, à l'entrée du jardin, près du compost, qui bat dès qu'il y a du vent, et l'attache de laiton qui tinte quand on la referme sur soi et qu'on s'accroupit sur la fosse de la tinette.

 Pascal Quignard, Dans ce jardin qu'on aimait

 

Et les latrines à tous les étages, vous croyez qu'elles sentaient bon, les latrines? Là encore, faute de temps, les maçons du père Santot n'avaient pas fait du beau travail: des fosses trop petites et des tuyaux trop étroits. Résultat? Des engorgements, qui remontaient jusqu'aux sièges d'aisance! Bon, on n'est pas médecin sans avoir le nez aguerri, il n'empêche que, certains jours, l'odeur qui refoulait de la tourelle était si dégoûtante que je craignais de m'en approcher; le méphitisme n'est pas une légende, certes non! Des hommes de science en ont apporté la preuve. Moi, j'avais peur de crever asphyxié sur place si je m'enfermais dans ce réduit! Il faut croire que je n'étais pas le seul à avoir ce genre d'idées: bien des collègues préféraient pisser dans les cheminées plutôt que d'entrer dans les commodités et d'y " rester"! D'ailleurs, je ne connais rien de meilleur pour la santé que de pisser dans le feu, il communique aux entrailles un principe sulfureux très actif dépuratif et astringent... La difficulté, c'est de bien viser; parce qu'on pisse dans la flamme, on pisse dans la cendre, on pisse sur le jambage, et pour finir on pisse sur le carrelage ou sur le parquet! Alors là, au bout d'un moment, pour ce qui est de l'odeur... 

Françoise Chandernagor, La chambre

 

Les toilettes étaient un vague réduit qui prenait jour par une minuscule fenêtre près du plafond. Mara ferma la porte, mais ne réussit pas à tirer le verrou. «Et maintenant?» Son besoin était trop pressant: elle s'accroupit, en espérant que personne ne viendrait. 

Carlo Cassola, La Ragazza

 

Il arriva devant les toilettes pour hommes et... Ça alors! Elles n'avaient pas du tout changé. L'insecte l'attendait. C'était un gros insecte palpitant, fantomatique et mou, qui se cognait en chuchotant contre l'antique ampoule électrique. Une phalène qui, depuis vingt ans, soupirait et se débattait dans l'air nocturne humide des douches... en attendant que je revienne, songea-t-il. Il n'avait que huit ans à l'époque, et l'insecte avait foncé sur lui tel un spectre poudreux, époussetant ses ailes répugnantes et le poursuivant de ses hurlements silencieux. Poussant des cris aigus, il s'était élancé sur le vert sombre de l'herbe d'août pour aller se réfugier dans le chalet. Par la suite, plutôt que de retourner là-bas, c'était derrière la maison qu'il était régulièrement allé se libérer à grande eau de sa douleur explosive. Il avait pris soin aussi de se rendre plusieurs fois aux toilettes au cours de la journée pour ne plus jamais y affronter de nuit l'horreur aux ailes de poudre. 

Ray Bradbury, Quelqu'un sous la pluie 
(nouvelle dans: Train de nuit pour Babylone)

 

      Anelo ne se souvenait plus s'il avait vomi ou non, comme c'était son intention quand il avait pris ses distances. En fait, il n'avait plus très envie. Il se planta pour la forme deux doigts au fond de la gorge, et tout ce qu'il réussit à provoquer furent des bruits pareils à ceux que produisent des canalisations encombrées quand on tente de les déboucher. Il essuya ses doigts sur son pantalon. Des filets de salive brillaient sur son menton, d'autres se balançaient dans ses cheveux. Comme il flageolait trop pour tenir debout, il se laissa tomber à genoux et pissa dans cette position, après avoir fourragé longuement pour se dégager des innombrables pièges d'une braguette de Lewis 501 véritable, à boutons. Il se pissa dans les doigts tout ce qu'il savait, se détrempa copieusement une jambe, arrosa un bon mètre carré de pierres, et quand il eut terminé, à demi couché sur le dos, renfournant tout son attirail et reprenant le problème des boutons de braguette à l'envers, il entendit le bruit. 

Pierre Pelot, Le bonheur des sardines

 

       Les motards s'en allèrent en recoiffant leur casque. Elian se rendit aux W.-C., boitant à peine... Se tenant de la main droite, la gauche sur la hanche, il pissa ce qui lui parut être quatre fois le volume de bière et de limonade ingurgité depuis une heure, fixant à hauteur d'yeux, sur le mur, le graffiti qui proclamait depuis au moins trois ans sur un ton légèrement fané maintenant Tous ceux qui puissent debout sont enculables l'apophtegme ne l'impressionnait plus. 

Pierre Pelot, Ce soir, les souris sont bleues

 

J'avais beau dire que je m'étais toujours tiré des pétrins dans lesquels je m'étais fourré, de tous les bons coups comme de tous les mauvais pas. Le passé est comme un ver solitaire toujours plus long que je porte enroulé en moi et qui ne perd pas ses anneaux malgré les efforts que je fais pour vider les tripes dans tous les cabinets à l'anglaise ou à la turque, dans les chiottes des prisons, dans les vases des hôpitaux ou dans les feuilles des campements, ou tout simplement dans les buissons, en vérifiant bien auparavant qu'un serpent ne surgisse pas, comme cette fameuse fois au Venezuela. 

Italo Calvino, Si une nuit d'hiver un voyageur

       
      Et ainsi, les grands-parents dormirent comme frère et sœur dans la chambre d'amis: un lit haut, en fer incrusté de nacre, à une place et demie, un tableau de la Madone à l'enfant, une pendule sous sa cloche de verre, un lavabo avec le broc et la bassine, un miroir orné d'une fleur peinte et un pot de chambre en porcelaine sous le lit.(...) 
      Si grand-père dormait profondément, elle faisait pipi dans le pot de chambre rangé sous le lit, sinon il suffisait qu'il bouge imperceptiblement pour qu'elle mette son châle, sorte de la chambre et traverse la cour par ni importe quel temps, pour aller aux cabinets à côté du puits. Du reste, grand-père n'essaya jamais de l'approcher, il se tenait lui aussi recroquevillé de l'autre côté, tout corpulent qu'il était, il tomba plusieurs fois et ils étaient tous les deux pleins de bleus.

 Milena Agus, Mal de pierres

 

Au fond de la cour de l'école, quatre ou cinq cagibis accolés, fermés par des portes en bois d'un brun-vert-jaune. On les nomme les toilettes, plus vulgairement les chiottes. On n'y passe pas sa vie, certes, l'odeur d'urine et d'excrément inclinant n'importe quel anachorète à préférer, sauf cas désespéré, la compagnie de l'humain à celle de ses déjections, mais nous y sommes, hélas, malgré nous, plongés dans ces odeurs fécales, aux côtés du gosse qui, ce matin, avant de partir pour l'école, a embrassé Monsieur Lucien sur ses deux joues flasques, quitte maman et ses fourneaux, Fernande et ses mots creux, grand-mère et ses grenouilles, papa et son enclume, Jacky et son poitrail, Marguerite-des-Oiseaux et sa purée-jambon, et que l'on retrouve planqué, ici, dans une de ces latrines, derrière la porte d'un brun-vert-jaune augurant des diarrhées, porte au loquet fermé de l'intérieur; il est accroupi et songeur, vêtu d'une blouse grise et d'un short kaki qui n'est même pas baissé. 

Joël Dicker, Le Livre des Baltimore

 

Anna Kanner
      À l'automne 2013, l'atmosphère bon enfant qui régnait au commissariat au moment de mon arrivée ne dura guère plus de deux jours, laissant rapidement place aux premières difficultés d'intégration. Elles se manifestèrent d'abord par un détail d'organisation. La première question que tous se posèrent fut de savoir comment on ferait pour les toilettes. Dans la partie du commissariat réservée aux policiers, il y avait des toilettes à chaque étage, toutes conçues pour des hommes, alliant rangées d'urinoirs et cabines individuelles. 
      Il faut décréter que l'une des toilettes est pour les femmes, suggéra un policier. 
    
Oui, mais alors ça devient compliqué s'il faut changer d'étage pour aller pisser, lui répondit son voisin de rangée. 
     
On peut dire que les toilettes sont mixtes, proposai-je pour ne pas compliquer la situation. Sauf si cela pose un problème à quelqu'un. 
     
Moi, je trouve malheureux d'être en train de pisser avec une femme qui fait je-ne-sais-quoi dans la cabine derrière, releva l'un de mes nouveaux collègues qui avait parlé en levant la main comme à l'école primaire. 
     
Ça te la bloque ? Ricana quelqu'un. L'assistance éclata de rire. 
      Il se trouvait que le commissariat disposait, côté visiteurs, de toilettes séparées pour hommes et femmes, juste à côté du guichet d'accueil. Il fut décidé que j'utiliserais les toilettes femmes visiteurs, ce qui me convenait parfaitement. Le fait que je doive traverser l'accueil du commissariat chaque fois que je voulais aller aux toilettes ne m'aurait pas dérangée si je n'avais pas perçu un jour les ricanements de l'agent d'accueil qui comptait mes allées et venues. 
     
Dis donc, elle pisse drôlement souvent celle-là, glissa-t-il au collègue avec qui il conversait, vautré sur le guichet. Ça fait déjà trois fois aujourd'hui. 

Joël Dicker, La disparition de Stéphanie Mailer

 

      À l'intérieur, loin de la bousculade de la terrasse, je passe devant des canapés blancs occupés par des personnalités en vue. Partout de belles fleurs et de grandes plantes vertes dans des vases, des lumières qui paraissent vives mais qui éclairent les gens de manière à ce qu'ils aient l'air de luire. Merde, il faut que je trouve les toilettes. Deux femmes débouchent d'une porte dissimulée dans le mur, et je me rue dans cette direction. 
      Je referme derrière moi puis, le dos parcouru de frissons, je m'assois pour pisser et réfléchir. La peur revient s'insinuer en moi, aussi je me lève et je tire la chasse pour essayer de l'évacuer. L'image que me renvoie la glace me fait tressaillir. C'est moi. Le lourd collier en argent orne mon cou comme si j'étais une déesse, la peau d'un brun châtaigne sur ma robe lavande. Putain! que cette nuit dure toujours! D'un seul coup, j'imagine Daniel le Baker grimpant le long du tuyau d'écoulement pour émerger par la cuvette des W.-C. 

Joseph Boyden, Les saisons de la solitude 

 

      Je me suis dirigé, à l'aveuglette, vers le fond de la voiture, me tenant, dans l'obscurité, aux parois. J'ai observé, à travers la porte vitrée du fond, la voie, à peine distincte.(...) 
      Je suis entré dans les toilettes, juste à côté. Dans le noir. 
      J'ai pissé longuement. À l'arrêt, ce qui est généralement interdit. Tant pis. Ça ferait un peu d'arrosage sur le ballast. Et peut-être pousser des mandragores. 

Jean-Bernard Pouy, Train perdu wagon mort

 

      Allez ouste, tu te couches maintenant et tu nous fais un gros dodo! 
      Elle attendit qu'il soit allongé pour remonter le drap et le border serré. L'enfant la dévisageait, les yeux écarquillés, l'air à demi rassuré. 
     
Et si je veux faire pipi? 
     
Tu as un pot sous le lit. 
     
Et si c'est pas pipi? 
     
Alors tu vas dans le cabanon au fond du jardin avec la chandelle. Je t'ai mis une boîte d'allumettes dans le tiroir, mais ne les gâche pas. Bon dodo, mon lapin... 

Nicolas Vanier, L'école buissonnière

 

      Ma vessie est pleine. J'ai besoin de me soulager. Je me lève en tremblant et je cherche le pot de chambre. Je l'aperçois sous la couchette d'un des garçons de ferme. Il est presque plein, mais je n'ai plus le loisir d'aller le vider. Mes bas usés glissent sans peine jusqu'à mes chevilles. Je m'accroupis au-dessus du seau. Le jet m'éclabousse la cuisse. La sueur perle à mon front.
      Pourvu que personne ne se réveille! Je n'ai aucune envie d'être surprise dans cette position. Je suis si pressée d'aller remettre le pot à sa place que je remonte mes bas avant d'avoir complètement terminé. Les dernières gouttes d'urine coulent le long de ma jambe quand je pousse le seau sous une couchette.

À la grâce des hommes, Hannah Kent

 

      Ensuite nous entrâmes dans un autre bar. Je bus du whisky, tandis que Midori prenait trois ou quatre cocktails indéfinissables. En sortant, elle me dit qu'elle avait envie de grimper à un arbre. 
      « Primo, il n'y en a pas ici. Secundo, dans l'état où tu es, tu en serais bien incapable. 
      ―
Il faut toujours que tu déprimes les gens avec tes discours raisonnables. Si Je suis ivre, c'est que je l'ai voulu. Alors ça va bien comme ça. Je peux quand même grimper aux arbres si je suis saoule. Tu vas voir. Je vais grimper tout en haut d'un arbre et, de la haut, je vais faire pipi sur les gens comme une cigale! 
      ―
Aurais-tu envie d'aller aux toilettes, par hasard?
       Exactement!» 
      J'accompagnai Midori jusqu'aux toilettes payantes de la gare de Shinjuku, payai pour elle, puis achetai au kiosque l'édition du journal du soir que je lus en l'attendant. Mais elle n'en finissait pas. Elle ressortit au bout d'un quart d'heure, juste au moment où, poussé par l'inquiétude, j'allais me décider à aller voir. Son visage avait pâli. 
      « Excuse-moi. Je me suis assoupie une fois assise, me dit-elle. 

Haruki Murakami, La ballade de l'impossible

 

      Ce soir, merde lourde et collante. Deux chasses d'eau ne suffisent pas à décoller les chiures sur la céramique ni à effacer les traces brunes au fond de la cuvette. D'où balayette. Et là, révélation: dans mon enfance je ne savais pas à quoi servait la balayette des cabinets. Je la prenais pour un ornement, avec sa tête de porc-épic perpétuellement plongée dans une gamelle immaculée. Elle m'était familière et littéralement insignifiante. Parfois, je la transformais en jouet, sceptre que je brandissais assis sur le trône. Cette ignorance tenait à ce que les crottes des petits enfants ne collent pas ou peu à la cuvette. Elles glissent d'elles-mêmes et disparaissent dans la cataracte sans laisser de trace. Restes d'ange. Foin de balayette. Et puis un jour, la matière prend le dessus. Ça résiste. La matière fait cal. On n'y attache pas d'importance on ne regardait jamais le fond de la cuvette jusqu'à ce que l'adulte de service vous fasse observer la chose et exige la propreté des lieux.

Daniel Pennac, Journal d'un corps

 

      Derrière l'école, au bas d'une pente couverte de ronces et d'une végétation exubérante coulait le crick, la Tonawanda Creek, large, rapide, souvent boueuse, où les écoliers avaient interdiction de s'aventurer et de jouer; de part et d'autre de l'école s'étendaient des champs à l'abandon, envahis par la végétation; «au fond», il y avait les cabinets, ceux des garçons à gauche et ceux des filles à droite, de grossières constructions en bois, abominablement fétides par temps chaud, dont les eaux usées s'évacuaient lentement dans la rivière. (...) 
      Un frisson de terreur accompagne pour moi le souvenir de ces cabinets. Mais ces derniers temps, il me vient une sorte de compassion alarmée pour la pauvre Mme Dietz (l'institutrice), qui, elle non plus, n'avait d'autre solution que de les fréquenter. 

Joyce Carol Oates, Paysage perdu

 

      C'est une bombe tout ce qu'il y a d'artisanal (...) 
      Une petite bombe. 
      Elle truffe de céramique un concessionnaire en meubles sanitaires d'origine allemande, qui pissait paisiblement dans les chiottes de l'exposition suédoise, au dernier étage (de très jolis gogues, vraiment blancs, très résistants la porte n'a pas sauté - si parfaitement calfeutrés que personne n'a entendu la déflagration un pet discret, sans plus) qui pissait, donc, le concessionnaire, la victime. (...) 
      Mais ce que nous aimerions savoir, monsieur Malaussène, c'est ce que faisait votre sœur Thérèse devant ces W.-C. scandinaves, figée comme une statue, jusqu'à ce qu'on enfonce la porte et qu'on découvre le cadavre. 

Daniel Pennac, Au bonheur des ogres

 

      Des toilettes pour le pays, le gouvernement l'avait pourtant promis. Hélas, elles ne sont pas arrivées jusqu'ici. À Badlapur comme ailleurs, on défèque à ciel ouvert. Partout le sol est souillé, les rivières, les fleuves, les champs, pollués par des tonnes de déjections. Les maladies s'y propagent comme une étincelle sur de la poudre. Les politiciens le savent: ce que réclame le peuple, avant les réformes, avant l'égalité sociale, avant même le travail, ce sont des toilettes. Le droit à déféquer dignement. Dans les villages, les femmes sont obligées d'attendre la tombée de la nuit pour aller dans les champs, s'exposant à de multiples agressions. Les plus chanceux ont aménagé un recoin dans leur cour ou au fond de leur maison, un simple trou dans le sol qu'on appelle pudiquement «toilettes sèches», des latrines que les femmes Dalits viennent vider chaque jour à main nues. 

Laeticia Colombani, La tresse

 

« Chers parents, ..... » 
« On voulait fumer le carré où on avait planté pour épater grand-mère. Éric avait repéré la dalle de la fosse des cabinets du jardin, qui est comme Louis XI. On l'a décollée avec un démonte-pneus du garage, mais on n'a pas pu la lever. Alors on a attaché Mathilde [c'est leur chienne] à une corde et on a mis un petit chien devant elle qui appelait sa mère. Alors, elle a tout soulevé et on lui a mis des cales. 
« Alors on a essayé avec la casserole qu'on avait piquée dans la cuisine attachée au manche du balai. Mais c'était tout noir et on voyait rien pour pêcher. Alors Éric a allumé des allumettes. Y en a une qui tombe et ça prend feu. Moi je savais pas que le caca ça fait explosion! On a vite laissé tomber la dalle et alors c'est le pépète à Ambroisine qui a tout pris, parce qu'elle était juste assise sur le vatère, qui est une caisse avec un trou. Et les flammes ont passé par le gros tuyau, comme une cheminée. Ça lui a pas beaucoup brûlé, juste un petit coup, mais la pétoche alors! qu'elle courait partout et criait avec ses tas de jupons en l'air! (...) 
« Bons baisers, 
« Patrice »
« Chère Maman, 
« Tu diras à François qu'il faut pas qu'il fume dans les cabinets. 
« Bons baisers, 
« Éric »

Randal Lemoine, Ces chers petits

 

      Pissé dans un café de la rue Lafayette. La lumière s'éteint au milieu de mon affaire. Deux fois. Je me demande sur la base de quelle moyenne d'âge est calculé le temps d'éclairage minimum accordé à un pisseur par les installateurs de minuteries. Se peut-il que je sois si lent? Se peut-il que j'aie été si rapide? Saloperie de jeunesse qui affecte jusqu'à la production de ces moulins à temps. L'observation vaut aussi pour les minuteries d'escalier et pour les portes d'ascenseur qui se referment de plus en plus vite. 

Daniel Pennac, Journal d'un corps

 

      Il n'y avait pas de fenêtre à la salle de bain, comme le plus souvent dans les hôtels, et l'aérateur n'avait pas l'air de marcher, en tout cas il ne faisait aucun bruit, alors je me suis arrangée pour passer la première à la salle de bains après le petit déjeuner. À la lumière de ce que j'ai déjà eu l'occasion de vous confier sur la question, vous ne serez pas étonné d'apprendre que... comment dire... quand je parviens à faire caca, c'est plutôt des petites crottes serrées. Vous tenez vraiment à ce que je continue? Alors voilà, il se trouve que ces toilettes de Tenerife n'étaient pas fichues de les avaler. Quand j'ai actionné la chasse d'eau, les crottes ont joyeusement sautillé dans l'eau, comme de minuscules balles en caoutchouc brun, et refusé de disparaître. Chaque fois que je recommençais à tirer la chaîne, elles rebondissaient à la surface. Vous parlez d'un retour du refoulé. Je devenais frénétique. Je ne voulais pas sortir de la salle de bain avant de m'en être débarrassée. Je veux dire, c'est pas très agréable de trouver les cacas de quelqu'un d'autre qui flottent dans la cuvette quand on veut s'en servir, et c'est un peu dégrisant pour une idylle, vous ne croyez pas? (...) J'aurais eu besoin d'un bon seau d'eau à déverser dans la cuvette, mais le seul récipient disponible dans la salle de bains était une corbeille à papiers en plastique ajouré. J'ai fini par pousser mes crottes jusqu'au fond avec la balayette et les faire partir, mais plus jamais ça. 

David Lodge, Thérapie

 

      Lorsqu'il eut terminé, comme chaque matin, il sortit, contourna la maison et alla s'installer sur la planche percée, dans la guérite de rondins mal joints adossée à sa cave. La porte grande ouverte, il demeura un moment à contempler la fuite du halage et du canal qu'atteignaient les rayons du soleil. C'était un instant de la journée qu'il aimait. Il rallumait son mégot, et il demeurait sans penser. Si quelqu'un passait sur le halage et l'apercevait, pas gêné du tout, il faisait bonjour de la main. 

Bernard Clavel, Le tambour du Bief

 

      ... ils m'emmenèrent jusqu'à une porte qui ouvrait sur une petite pièce, à peine plus grande qu'un placard. J'y découvris un trou circulaire découpé dans une plate-forme en bois surélevée, et Benji, se faufilant à côté de moi, regarda à l'intérieur de l'égout à ciel ouvert. 
      ―
C'est les toilettes, me dit-il. 
      Il m'expliqua en rigolant que pendant la mousson Hideo était contraint de clouer une planche sur le siège pour empêcher les eaux de déborder et d'inonder la maison. 

Jackie Copleton, La voix des vagues

 

      Pendant tout le trajet, il avait fallu faire attention à ne pas révéler la véritable identité de Lénine [lors de sa fuite en Finlande en juillet 1917 déguisé en chauffeur de locomotive]. Ç'avait été d'autant plus difficile qu'il souffrait d'une sévère diarrhée et devait se soulager toutes les cinq minutes. Il n'était bien sûr pas question d'utiliser les toilettes des compartiments de passagers, et Matteus Lamuvaara avait procuré au chef révolutionnaire un seau sur lequel s'accroupir quand le besoin s'en faisait sentir. Ils avaient eu quelques divergences de vues sur la question de savoir lequel des deux viderait et rincerait le récipient. Ils étaient finalement arrivés à un compromis: Lénine le nettoierait, à condition que Matteus le débarrasse d'abord de son contenu. 

Arto Paasilinna, Le dentier du maréchal, madame Volotinen et autres curiosités

 

      J'ignorais encore que chaque tâche ancillaire relève en Inde d'une caste bien particulière. Mon personnel comptait un bearer, c'est-à-dire un majordome, un cuisinier, un dhobi chargé du linge, un sweeper préposé au ménage, un mali pour l'entretien du jardin et, enfin, un chowkidar pour garder la maison. 
      (...) 
      Le cuisinier était musulman, ce qui était plutôt une chance si je voulais échapper à des menus exclusivement végétariens. Les responsables du linge et du jardin étaient hindous, mais de très basses castes. Le gardien lui aussi était hindou. Quant au préposé au ménage, celui qu'on appelait le «sweeper», un homme malingre et très noir de peau, il était un «hors-caste», c'est-à-dire un «intouchable». Il accomplissait en effet les besognes que les Indiens jugeaient les plus viles, puisque l'une d'elles était le nettoyage des WC. 
      (...) 

      Gandhi s'était installé le 13 août [1947] dans une vieille maison à balustres que son dernier propriétaire avait abandonnée aux rats, aux serpents, aux cafards. On avait balayé d'urgence les immondices qui la souillaient et réparé la commodité qui l'avait signalée à l'attention du Mahatma: les WC, une rareté dans les quartiers populaires de Calcutta. C'était là, dans cette demeure environnée de puanteur, de vermine et de fange, qu'il s'était attaqué à l'impossible mission que lui avait assignée le dernier vice-roi. (...) 
      Gaston, lui, fréquentait des latrines récemment installées à trois ruelles de la courée. L'édicule était surmonté d'une guérite, ce qui assurait une relative intimité. À quatre heures et demie du matin, son accès était déjà bloqué par plusieurs dizaines de personnes. Tout le monde salua joyeusement le grand frère avec son crucifix en sautoir, mais la venue d'un autre sahib en jeans et en baskets suscita une vive curiosité, d'autant plus que, dans mon ignorance des coutumes du pays, j'avais commis une bévue contre laquelle mon compagnon avait omis de me mettre en garde: j'avais apporté quelques feuilles de papier hygiénique. Pour ces Indiens, tu es un barbare, m'expliqua Gaston, enchanté de faire mon apprentissage. Comment ne s'étonneraient-ils pas que tu veuilles recueillir dans du papier une souillure expulsée par ton corps pour la laisser ensuite aux autres? En me montrant la boîte de conserve pleine d'eau qu'il tenait à la main, un gamin me fit comprendre que je devais procéder à une ablution intime avant de nettoyer la cuvette. Je constatai que chacun avait en effet apporté un récipient avec de l'eau. Certains en possédaient même plusieurs qu'ils poussaient du pied à mesure que la file avançait. - Ils font la queue pour d'autres, m'indiqua Gaston. C'est un des mille états boulots du slum. 

Dominique Lapierre, chapitre  Des hommes, des femmes et des enfants lumières du monde, dans Mille soleil

 

      Il aimait se réfugier dans les toilettes du bas, il y avait un porte-papier avec un corps de femme africaine. Elle était habillée de papier rose. En tirant sur le rouleau, le corps montait et l'on découvrait sa nudité. 

Bernard Giraudeau, Les dames de nage

 

      J'étais en train de taper le SMS pour Laurène quand j'ai changé d'avis. La faute à Théo. La faute à Zephyr aussi. La faute à tous ceux qui font de ma vie un Enfer. Un Enfer pour moi, pendant qu'eux ils s'amusent sur mon dos. Sur ce qui reste de moi. Après qu'ils sont passés. J'étais planqué dans les toilettes comme d'hab. Cet endroit pue, c'est insupportable. Pourtant j'y passe mon temps. Je connais les tags par cœur. La couleur jaune sale aussi. Jaune sale peut-être pour pas qu'on remarque que c'est sale de toute façon. Je me demande pourquoi les chiottes sont aussi crades. Et aussi puants. Mais je fais avec. Au moins j'ai la paix. Enfermé dans la cabine. Assis sur le couvercle des chiottes. Je peux écouter de la musique. Jouer sur mon portable. Noter des trucs sur mon carnet.
       Des fois y a des gars qui passent. Personne ne fait jamais attention à la cabine fermée. Peut-être qu'ils se disent qu'elle est en travaux. Peut-être qu'ils ne la remarquent même pas. Peut-être qu'ils s'en foutent, font leur affaire dans la pissotière et partent. Certains utilisent l'autre cabine. Et ensuite l'odeur est pire. Je dois respirer par la bouche pour survivre.

Elliot P. Lewis, The Zephyr song, du lait et des cookies

 

      Il était chauve, fatigué et se trouvait empâté. Distraitement, il souleva le roman de Singer, Le Magicien de Lublin. Il lui vouait une véritable passion, à tel point qu'il le laissait près des toilettes depuis des années, pour le cas où l'envie le prenait d'en lire un passage dans les moments où son intention de détraquait. 

David Lagercrantz, Millenium 4 Ce qui ne me tue pas

 

      J'avais étudié les habitudes de l'homme à abattre. Il offrait l'avantage de ses horaires réguliers. Mon plan au point, je me levai un matin avant l'aube. Je déjeunai, je nettoyai mon arme une fois encore et j'allai à la selle, acte nécessaire avant de plonger dans une action.

Erri De Luca, Acide, Arc-en-ciel

 

      Le seul réconfort dont Köwes avait besoin en cet instant, c'était des toilettes. Malheureusement, dix personnes patientaient déjà. Ne pouvant attendre davantage, il grimpa l'escalier. Il trouverait à l'étage d'autres WC, lui avait-on dit. Arrivé là-haut, il arpenta un labyrinthe de petites salles ayant chacune leur petit bar. Il demanda à un serveur où étaient les toilettes les plus proches. 

Origine, Dan Brown

 

      Venir jusqu'ici lui a pris une grande partie de la journée, et lui et les chiottes d'avion, paraît-il, ça ne fait pas bon ménage (Jack sourit). Il a dit à Wireman qu'il avait eu l'impression d'être assis sur quelque chose toute la journée et qu'il voulait pouvoir se libérer tranquillement. 
      J'éclatais de rire. Mais j'étais aussi touché. Il ne devait pas être facile, pour un homme de la taille de Kamen, d'utiliser les transports publics... et maintenant que j'y pensais sérieusement, je me disais qu'il devait être exclu pour lui de s'asseoir sur l'un de ces sièges minuscules qu'on trouve dans les toilettes d'un avion. Pisser debout? À la rigueur. Tout juste. Mais pas s'asseoir. Il ne pouvait tout simplement pas tenir dans l'espace. 

Stephen King, Duma Key

 

      Son ingéniosité n'était jamais à court lorsqu'il s'agissait d'instituer une redevance, une taxe, des droits, un péage. On rapporte qu'il taxa même la collecte de l'urine par les fabricants de laine, qui l'utilisaient industriellement comme dégraissant. Moyennant, donc, une redevance, l'artisan disposait devant ses ateliers une jarre ébréchée tout exprès, où les passants avaient la faculté de se soulager ou de vider commodément leurs pots de chambre s'ils habitaient au-dessus ou à côté. Comme un de ses conseillers lui faisait part de ses scrupules, Vespasien lui avait mis sous le nez l'argent ainsi récupéré, lui demandant s'il percevait une odeur. De là vient la légende tenace autant que ridicule qui a fait de Vespasien l'inventeur des pissotières. Il n'avait rien eu à inventer dans ce domaine: les cabinets publics payants existaient avant lui, où chacun pouvait, commodément mais collectivement, satisfaire toute la gamme des besoins naturels. Ces édicules, agréablement décorés et pourvus d'une circulation d'eau, offraient jusqu'à vingt places disposées en hémicycle. Le conductor foricarum en avait la gestion.

Lucien Jerphagnon, Histoire de la Rome antique,
les armes et les mots

 

      Le côlon spastique était l'un des sujets de conversation préférés de Grand-père. J'ai le souvenir de mon grand-père, doux, distrait, tendre et surtout constipé. Il partait déféquer comme on part à la gare. Il annonçait, son journal sous le bras: «Je vais aux toilettes.» Il donnait à Grand-mère un petit baiser d'adieu sur la bouche et elle lui disait: «À tout à l'heure, mon chéri.» 

Joël Dicker, Le Livre des Baltimore

 

      Plus alchimiste qu'il ne l'avait jamais été lui-même, ses boyaux opéraient la transmutation de cadavres de bêtes ou de plantes en matière vivante, séparant sans son aide l'inutile de l'utile. Ignis inferioris Naturae : ces spirales de boue brune savamment lovées, fumant encore des cuissons qu'elles avaient subies dans leur moule, ce pot d'argile plein d'un fluide ammoniaqué et nitré étaient la preuve visible et puante du travail parachevé dans des officines où nous n'intervenons pas.

Marguerite Yourcenar, L'Œuvre au noir

 

       Il posait la main sur la poignée de portière quand la douleur lui tordit le bas du ventre et lui coupa le souffle il n'avait jamais reçu de coup de couteau, mais cela devait y ressembler. Ce n'était pas la première fois... c'était même presque fréquent, depuis... depuis un certain temps. Les boyaux qui se tordent vivement, brusquement, non, pas un coup de couteau, mais comme empoignés par une patte aux griffes de fer plantée dans la ventraille, une torsion violente, la déchirure suivie d'une série d'ondes douloureuses irradiant dans tout l'abdomen, une pression terrible dans le scrotum, et puis diffusant jusqu'aux reins, la soudaine et irrépressible envie de chier que l'on pressent forcément calmante et libératrice, la seule issue pour un soulagement possible à la torture fouailleuse. Une poussée de sueur qui vous inonde tout le corps, vous chauffe le cou et les tempes, frayeur incarnée dans les pores, sur et sous la peau, épouvante fulgurante de s'interroger et se répondre dans le même sursaut sur l'identité de ce mal enfoui. 
      Il serra les dents et résista le plus longtemps possible en guettant le reflux progressif de la douleur dispersée dans toutes les fibres de son être. Redoutant à la fois le passage inopiné d'une voiture sur la route, une voiture conduite par quelqu'un de connaissance, quelqu'un qui l'eut identifié... 
      Quand il lui fut impossible de tenir le coup davantage, il descendit dans le fossé, plié en deux et les poings pressés sur le ventre, remonta tant bien que mal de l'autre côté et s'enfonça dans la maigre broussaille aux feuilles pâles à peine dépliées qui poussait à cet endroit, et déboucla sa ceinture de cuir et s'accroupir en prenant garde à écarter de l'éclaboussement à venir son pantalon baissé. L'ultime pointe de douleur qui lui tarauda le sphincter relâché le libéra en même temps de celle qui lui tordait les intestins, il éructa un grognement incoercible de soulagement, expulsant avec forte pression la boue puante et liquide et la honte de se voir là dans cette position. La sueur était froide à son front. Il avança d'un pas à croupetons pour éloigner son pantalon du désastre, arracha ce qu'il put d'herbe à portée de main pour s'essuyer mais ce n'était sans doute pas suffisamment efficace alors il tira en se contorsionnant un peu le mouchoir de sa poche et acheva le nettoyage avec le tissu qu'il roula en boule et jeta loin de lui dans le fond du taillis. Il se redressa et remonta slip et pantalon et reboucha la ceinture sur sa taille maigre. 

Pierre Pelot, Braves gens du Purgatoire

 

Il se redresse cahin-caha. Le niveau de la bouteille à diminué dangereusement. 
      Il en a éclusé plus de la moitié. Yani, lui qui boit peu, il vient de battre son record. (...).
      Il est bien sur ce canapé, seulement il a besoin de pisser. Et les toilettes sont loin. Au bout du monde. À plus de vingt mètres. Est-ce qu'il pourra seulement arriver jusque là? 
      Bien sûr. 
      Easy-Easy
      Plus dur à faire qu'à dire. 
      Easy-Easy
      Sans lâcher la bouteille, il prend appui sur ses poings, s'écroule, recommence. 
      Quelqu'un ― sa mère, un copain...? ― lui a affirmé que vodka signifiait "petite eau". 
      Petite eau, mon cul. Eau forte, plutôt. 
      Il grogne, râle et rit. Se lève enfin. Le salon tourne et tangue.(...) 
      Il n'a fait qu'un pas en avant. Les toilettes sont décidément trop loin. Et le patio si proche. Il pissera sur les plantes d'Ava. 
      Ça ne leur fera pas de mal à ces plantes à la con. Depuis le temps qu'il se fait chier à les arroser, elles sont un peu à lui, non? 

Chochana Boukhobza, Le troisième jour

 

      Revers de la médaille: il ne peut plus atteindre les cabinets... Mais le père Lustucru, ce lutin à bonnet bleu et rouge qui paraît sorti du journal que Toine lisait à Marie-Jeanne, le père Lustucru a fait vider le pot de chambre («Y a combien de temps que c'était plein de pisse, ce godet-là?»); et il a rajouté dans la chambre un grand baquet de bois qu'il appelle «une griache», «une tinette»: «Charlot, quand t'auras rempli ton pot, avec du petit ou avec du gros, tu me ficheras le tout dans la tinette, comme à l'"Hôtel des Haricots"! La tinette, Gourlet la portera chaque semaine jusqu'aux " lieux" avec un homme de quart. Hein, Gourlet? Ce jour-là, par exception d'extraordinaire, tu déverrouilleras le couloir de commodités. 
       (...) «Qu'est-ce que c'est que cette pétaudière, Gourlet? J'arrive pour surveiller le petit par le "regard" comme de juste, et je fais tintin! Y a plus de marmot! Rien dans la chambre; envolé le lustucru. "Aie pas peur, que le fait le citoyen Mancel (en faut beaucoup, on dirait, pour remuer un guichetier!), le petit doit être aux cabinets." Aux cabinets? Où ça, aux cabinets? Il se promène donc à volonté, cet enfant? Pour sûr, oui, puisque du côté du couloir, sa chambre n'est pas bouclée. Et au bout du couloir qu'est-ce qu'on voit? Une porte, ça ne le sais, mais il y a beau temps que je la croyais condamnée! Ah, point du tout: suffit de tourner la poignée! Et derrière cette foutue porte, y a quoi? Une tourelle, mes amis, grande comme celle des pigeons, et avec trois fenêtres s'il vous plaît... Petites, les fenêtres? Oui, petites. Des meurtrières? Oui. Mais fermées comment, ces meurtrières, je te le demande, Gourlet, gros paour? D'un côté un abat-jour pourri, et de l'autre, plus de carreaux ― vitres cassées, pas signalées, pas réparées... Bien heureux que je trouve encore mon oiseau au nid, culotte baissée! 

Françoise Chandernagor, La chambre

 

(...)elle l'a trouvée accroupie près d'un buisson, la culotte baissée, en train de faire pipi. Aussitôt Eva a détourné la tête pour ne pas la gêner. 
      ― Oh! pardon. 
      ― Tu peux regarder je m'en fiche, a répondu Liv, lui plantant ses yeux dans les siens. Puis elle a baissé la tête, a écarté un peu les pieds pour ne pas s'en mettre partout et à regardé le pipi s'écouler, ça faisait une rigole suivant un méandre indécis qui était sur le point d'atteindre le pied gauche d'Eva. Celle-ci a à peine eu le temps de se déplacer légèrement pour l'éviter. 
      ― C'est rigolo, a dit Liv, on dirait un petit ruisseau d'or, le pipi. 
      Sur le moment Eva n'a pas trop su quoi penser de sa pisseuse de sœur et de sa réflexion sur la petite rivière. Un peu plus tard elle s'est rappelé ce qu'elle avait lu dans son encyclopédie des animaux: c'est avec leur urine qu'ils marquent leur territoire. Liv ne venait-elle pas de faire exactement la même chose le jour de son arrivée? Mais déjà elle s'était relevée à la hâte, avait remonté à la va-vite sa culotte toute tirebouchonnée et avait tiré par-dessus le pan de sa robe. Déjà elle sautait à cloche-pied à travers les pâquerettes. 

Fabienne Jacob, Les séances

 

      Il entra dans la salle de bain, posa son verre sur le bord du lavabo, puis se soulagea. C'est étrange, se dit-il, que plusieurs fois par jour, un homme soit obligé de déboutonner son pantalon, pour libérer un jet de liquide chargé de déchets organiques qui s'est accumulé en lui. Il faut le voir pour le croire. Après avoir refermé sa braguette, il se lava les mains, puis, toujours muni de son verre, quitta la pièce.
      Peut-être l'homme ne représente-t-il rien de plus pour Dieu, pensa-t-il, que ce que représente pour moi ce liquide. Quoi qu'il lui arrive... ça n'a pas d'importance.

Philip K. Dick, L'homme dont toutes les dents
étaient exactement semblables

 

      Messer grande me fit entrer dans une gondole où il se plaça près de moi n'ayant gardé que quatre hommes, et ayant renvoyé tout le reste. La gondole arriva chez lui: il me fit entrer dans une chambre où il me laissa seul après m'avoir offert du café que j'ai refusé. J'ai passé presque quatre heures toujours opprimé par un sommeil assez tranquille interrompu à chaque quart d'heure par la nécessité de lâcher de l'eau, phénomène fort extraordinaire; car la chaleur était excessive; je n'avais pas soupé, et je n'avais pris dans la journée précédente qu'une glace à l'entrée de la nuit; j'ai néanmoins rempli d'urine deux grands pots de chambre. La surprise causée par l'oppression était pour moi un grand narcotique, et j'en avais fait autrefois l'expérience; mais je ne l'avais pas cru diurétique: j'abandonne cela aux physiciens. Il y a cependant apparence que dans le même temps que mon esprit effrayé devait donner des marques de défaillance par l'assoupissement de la faculté pensante, mon corps aussi, comme s'il se fut trouvé dans un pressoir devait exprimer une bonne partie des fluides qui avec une circulation continuelle donnent l'action à notre faculté de penser: et voilà comment une effrayante surprise peut parvenir à causer une mort subite, car elle peut arracher l'âme au sang. 

Giacomo Casanova, Histoire de ma fuite des prisons de la République de Venise qu'on appelle les plombs

 

      Lui que maman décrivait, avec un brin de regret, «comme tous les Frame, un austère écossais, votre père est un austère écossais, les enfants», était pourtant grand amateur de plaisanteries, montrant une prédilection pour le genre comique lorsqu'il écoutait notre nouvelle radio, lisant les blagues dans le Happy Mag et Humour avant d'en découper les feuilles en carrés qui serviraient de papier pour les cabinets...

Janet Frame, Ma terre, mon île (Un ange à ma table)

 

      Hygiène anale des Arabes. Civilisation islamo-anale. Un Arabe qui va chier n'emporte pas une poignée de papiers, mais un peu d'eau dans une vieille boîte de conserve. Il se montre justement choqué par la grossièreté et l'inefficacité des torche-culs occidentaux. Supériorité d'une civilisation [orale] sur une civilisation écrite. L'Occidental est tellement entiché de paperasserie qu'il s'en fourre jusque dans le cul. 

Michel Tournier, Les météores

 

      Je repense à une plaque en faïence bleue fixée dans les toilettes de Verdelot, le fief campagnard de ma mère. Le Zubial, noctambule impénitent, avait volé cette plaque une nuit, au début des années soixante-dix, sur une pelouse de la ville de Saint-Tropez. Son libellé l'avait fait sourire: «Prière de respecter et de faire respecter les Jardins.» Moi, elle m'avait toujours fait frissonner. et si cette injonction municipale, finalement, n'était pas une plaisanterie? Comme si elle posait, sur la place publique, la question de notre honorabilité... dont le Zubial avait préféré s'amuser en affichant cette phrase dans nos toilettes; là où se vidange la merde d'une famille.

Alexandre Jardin, Des gens très bien

 

      La superbe maison de mes grands-parents ne possède pas de cabinets. Aussi, chaque matin, les bonnes se livrent-elles à une corvée médiévale. Elles coltinent en peinant jusqu'à la rivière, les énormes seaux d'émail à couvercle qui renferment les excréments de toute la maisonnée. Je les accompagne toujours. Au rythme de leurs pas, les seaux émettent des bruits douteux. Selon la nature du bruit et la couleur du seau, les bonnes diagnostiquent l'état intestinal de tel ou tel d'entre nous. Elles rient tout en causant, environnées d'une odeur de pourriture et d'eau de Javel parfumée.
      Dans toutes les maisons nobles de la ville, dans toutes celles qui ont des jardins donnant sur la rivière, on jette chaque jour à l'eau sa merde, son urine, sa blennorragie, sa vérole, et j'en passe. Cette pratique n'empêche personne de laver son linge aux lavoirs de ladite rivière, ni même d'y faucarder le cresson que l'on mange en salade.

Pascal Jardin, La guerre à neuf ans

 

     Lause démolit de ses propres mains une des trois cabanes annexes et commença à se construire des tinettes avec les planches ainsi récupérées. Ça promettait de devenir de belles tinettes avec porte et fenêtre et planche d'assise rabotée. Il en décora l'intérieur avec des photos découpées dans les magazines illustrés qu'il avait apportés et, quand il eut fini, il était possible, tout en restant assis à l'intérieur le temps requis, d'étudier la vie à Londres à l'époque de Dickens ou de lire la recette d'une salade de homard ou encore de faire des mots croisés.
      Il fallut un mois et demi à Lause pour édifier la maison. Mais, à ce moment-là, c'était devenu, non seulement les plus belles, mais encore les seules toilettes du nord-est du Groenland. Il les peignit d'une brillante couleur orange, tellement vive qu'il était possible de trouver la maisonnette, même dans les pires bourrasques de neige.
      Les toilettes furent soigneusement colmatées avec des morceaux de toile à sac et il y avait du sable et des gravillons sur le sol. Elles furent ensuite, en prévision de la nuit polaire à venir, dotées d'une petite lampe à pétrole. Lause était tellement content de ses cabinets qu'il envisagea, pendant des semaines de mettre un rideau devant la fenêtre, mais cela ne resta qu'un projet.
      Siverts ne se mêla pas de cette histoire. Il continua à aller chercher un des chiens à l'attache, comme il l'avait toujours fait (...)
      Le désir d'essayer ces commodités lui vint lentement, furtivement. Cela pris de la force avec le temps et devint, un jour, impérieux.

rn Riel, Une condition absolue, 
nouvelle de "La vierge froide et autres racontars"

 

      ― Je marche mais je vois rarement ce qui m'entoure. Je vois sans cesse les lieux perdus. Je vois le lycée. Je vois un peu la carte de géographie en couleurs mais je vois surtout les deux cabanes de bois des cabinets dans la cour de récréation, leur trou suffocant. En arrivant on mettait les manteaux près du poêle sur un perroquet en fer. Cela sentait la pluie, la laine mouillée, la craie, la poussière, l'encre fade, la transpiration très aigre des jeunes garçons. Ils sont tous morts, ceux qui étaient dans ma classe.

Pascal Quignard, Villa Amalia

 

      Il y a un, deux, trois, quatre W-C, chacun dans sa petite chambre à l'intérieur d'une autre grande chambre avec quatre éviers et tout plein de miroirs. C'était vrai que dans le Dehors les W-C ont un couvercle sur leur réservoirs: je peux pas regarder dedans. Quand Maman a fait pipi et se relève, j'entends un horrible rugissement qui me fait pleurer. «N'aie pas peur, elle dit en m'essuyant la figure à deux mains, c'est juste une chasse automatique. Regarde, avec ce petit œil, les toilettes voient qu'on a fini et tirent la chasse elles-mêmes: malin, non?»
      Moi j'aime pas les W-C intelligents qui regardent nos fesses.

Emma Donoghue, Room

 

     Si t'avais vu ce vieux type qu'avait dans les cinquante piges. Ce qu'il a fait, il est venu frapper à la porte de notre piaule et il a demandé si ça nous ennuyait qu'il aille aux lavabos. Les lavabos c'était au bout du couloir. Je vois pas pourquoi c'est à nous qu'il a demandé. Et tu sais ce qu'il a dit? Il a dit qu'il voulait vérifier si ses initiales étaient encore sur une des portes des chiottes. Ce qu'il avait fait, y a dans les quatre-vingt-dix ans, il avait gravé ses vieilles connasses de saletés d'initiales sur une des portes et il voulait vérifier si elles y étaient encore. Donc, mon copain de chambre et moi, on est allés avec lui aux lavabos, et on est restés là à attendre pendant qu'il cherchait ses initiales sur toutes les portes des chiottes. Et il a pas arrêté un instant de nous parler, nous racontant que ses années à Pencey c'étaient les plus heureuses de sa vie, et nous donnant un tas de conseils, pour notre avenir et tout. Ouah, il m'a flanqué un de ces cafards!

J.D. Salinger, L'Attrape-cœurs

 

      Ne vous aventurez qu'une seule fois dans les toilettes. Juste pour voir ce qu'on y fait. Mais n'y revenez plus. D'ailleurs, les professeurs, eux, sont protégés, ils ont des lavabos à part, ce qui leur permet de ne pas savoir. Mais cette fille blonde ne peut tromper personne. Elle perd peu à peu sa voix, sa mémoire s'éparpille, son dos se courbe, ses os apparaissent. Son écriture est tremblotante, et elle revient sereine et tranquille des toilettes, elle a trop souvent les yeux dans le vide et vous regarde d'une drôle de façon, sans vraiment vous voir, elle a toujours avec elle un sac en papier dont elle ne se sépare jamais. Personne ne s'aperçoit de rien. Ils font semblant d'ignorer. Qu'est-ce qu'ils pourraient faire d'ailleurs? ils ne savent rien faire sauf s'occuper des absences.
      C'est là qu'on vous propose pour la première fois une simple cigarette.

Valérie Valère, Le pavillon des enfants fous

 

      Accompagné du chat, d'étage en étage, de palier en palier, j'accédai à un couloir, s'enfonçant dans les profondeurs du monastère qui sentait l'encens, le moisi. Une porte céda sous ma poussée; j'entais dans un petit sanctuaire obscur décoré de boiseries et de tableaux à fond d'or représentant des dieux inconnus et des anges faiblement éclairés par une étroite meurtrière qui donnait sur la jungle. Je refermai la porte de cette chapelle intérieure. Les vieux planchers gémirent sous mes pas, et, çà et là, menacèrent de se rompre. D'autres couloirs plus obscurs encore ne menaient qu'à d'antiques latrines dont les trous ronds laissaient apercevoir de charmants jardins potagers, vingt mètres plus bas, près d'un ruisseau.

François Augiéras, Un voyage au mont Athos


      

      Manuela a peaufiné au Coton-Tige des chiottes dorées à la feuille qui, en dépit de cela, sont aussi malpropres et puantes que tous les gogues du monde parce que s'il est bien une chose que les riches partagent à leur corps défendant avec les pauvres, ce sont leurs intestins nauséabonds qui finissent toujours par se débarrasser quelque part de ce qui les empuantit.

Muriel Barbery, L'élégance du hérisson

 

      Les toilettes furent son univers, la première semaine. On considérait leur entretien comme une tâche adaptée aux besoins et aux capacités des nouveaux. Quand il y arriva, ils étaient deux, et il y avait trois toilettes, une par étage: cela permettait de ne pas bâcler le travail. Comme disait le surveillant qui leur avait remis seau, serpillière et balai: «L'important, ce n'est pas ce qu'on fait, mais de le faire bien et de pouvoir en être fier.» Dick, docile, nettoya les chiottes avec la minutie d'un restaurateur de tableaux. Il réussit à s'absorber dans ce labeur et à le faire durer sans s'y perdre: au bout d'une heure ou deux consacrées à la même cuvette, il savait s'arrêter, considérant que c'était fini, et passer à autre chose. Ce comportement révélait un équilibre peu répandu à X-Kalay.

Emmanuel Carrère, Je suis vivant et vous êtes morts
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Philip K. Dick 1928-1982

 

      À soixante ans, Édouard est considéré comme retraité et à ce titre est dispensé des travaux de force, mais on ne le laisse pas pour autant écrire, lire ou méditer comme il pouvait le faire à Lefortovo et Saratov. Jusqu'au soir, il lui est défendu de regagner sa baraque, ses livres et ses cahiers, et il doit s'adonner à des tâches de nettoyage, absurdes aussi. Récurer à fond, vraiment à fond, une rangée de chiottes, cela demande au maximum une heure. On lui en donne quatre pour le faire. Très bien, il y mettra quatre heures. Quatre fois sur le métier il remettra l'ouvrage, aucune cuvette au monde ne brillera davantage, et personne ne le verra, ne serait-ce qu'une minute, bayer aux corneilles

Emmanuel Carrère, Limonov

 

      À bord de mon dernier embarquement, j'étais affecté en dehors de mes activités de mécanicien à un poste d'entretien tout à fait enthousiasmant, celui des chiottes équipage qu'il fallait récurer, nettoyer à grande eau sans ménager sa peine, un endroit délicieux, surtout le matin après le petit-déjeuner et des creux de huit mètres. Rien de plus joyeux, l'estomac à l'envers, que de repousser la merde et le vomi en vous accrochant désespérément à tout ce qui se présente. 
      C'était un jour comme celui-là que je dégageai fortuitement Marcel Proust de l'emprise de la tuyauterie où il était coincé, avec un jet d'eau salvateur qui le posa sur une vague d'eau douce et le sauva des urines égarées. Quelqu'un, par forte mer, avait abandonné Marcel dans ce lieu. Je ne saurai jamais quel était le marin qui se trouvait ce jour-là démuni de son ouvrage préféré et qui aimait l'auteur au point de le lire par gros temps sur la lunette instable des toilettes équipage. Je ne pouvais m'empêcher d'imaginer l'exploit. Il lui avait fallu coincer le livre sous l'aisselle et déboutonner le pont du pantalon d'une main sans lâcher l'auteur tout en gardant l'autre main pour la sécurité afin de ne pas être cruellement projeté contre les cloisons. Une fois assis, grimaçant sous l'effort de s'y maintenir, le lecteur avait dû récupérer Proust de sa main libre et tenter de l'ouvrir pendant l'instant suspendu où le navire, après avoir remonté la lame, hésite avant de se précipiter dans le gouffre liquide. Restait l'incroyable défi de tourner les pages, et, talent suprême, de capturer les lignes de son auteur préféré dont l'ouvrage pressé fermement sur ses genoux nus tentait avec le roulis d'échapper à sa double concentration. Je suppose qu'une lame peu charitable le contraignit à lâcher prise et abandonner Proust aux déjections de toutes sortes pour que le marin garde un peu de dignité. Celui qui n'a pas connu cela ne peut pas comprendre. 

Bernard Giraudeau, Les dames de nage

 

      Le niveau sonore de cette cacophonie était aussi haut qu'était bas son niveau intellectuel. On y parla de l'origine des fontaines, du flux et du reflux de la mer, de la manière dont l'âme frappe des objets corporels, de la communication entre les organes et le cerveau, de l'émanation de la lumière et des couleurs primitives, de la transparence des corps touchés par la grâce, des propriétés de certaines études géométriques, de la philosophie de Newton, des tragédies de Métastase, «le Racine de l'Italie», et des premiers vers du Siennois Bernardino Perfetti, composés alors qu'il n'avait que sept ans! Au terme d'une bonne heure de discussions acharnées, Lucia fut nommée reine de cette journée qui ne faisait pourtant que commencer. Vêtue de satin blanc et drapée dans son manteau semé d'étoiles, elle reçut une couronne de laurier des mains du comte de Moasca sous les applaudissements de l'assistance. Le musicien joua au clavecin des pièces de Rameau, «comme Rameau lui-même», soutint un Français présent, d'autres de sa propre composition, et chanta en s'accompagnant. Puis tout le monde se leva, pour se dégourdir les jambes et assouvir derrière les buissons et sous les volées d'escalier ses besoins naturels. 

Gérard de Cortanze, Assam

 

      «T'en fais pas, petit, eux aussi ils vont aux cabinets!» me disait Grand-père, comme pour m'extraire de ma stupide contemplation et me consoler. La phrase, à mes heures paresseuses, résonnait dans mon petit esprit et j'essayais d'imaginer les cabinets des ingénieurs: les nôtres, ceux du bistro, étaient dans le jardin, une cabane de bois noir avec à l'intérieur une planche de sapin, percée d'un trou rond, et patinée comme un cuir de selle à vélo. Au mur, il y avait entassés sur un grand clou tordu des paquets de feuilles de journal, et quand au cœur de l'été on s'enfermait dans la boîte, la musique ronfleuse de grosses mouches bleutées et leur ballet vibrant donnaient au lieu une singulière effervescence. 
      Sans doute les cabinets des ingénieurs étaient-ils faits d'un bois plus noble, chêne, merisier, cèdre ou palissandre, le clou devait être doré, les mouches moins bruyantes, mieux élevées, et les carrés de papier ne provenaient pas de l'âpre journal régional, dont l'encre noire finissait par déteindre sur les fesses, mais de magazines en couleur, au papier glacé, remplis de photographies de vedettes de cinéma.

Philippe Claudel, Le Café de l'Excelsior

 

      Chez moi, il n'y avait pas de bureau. Je faisais mes devoirs enfermé dans les toilettes, une planche sur les genoux en guise de bureau et un casque de chantier sur la tête pour étouffer les cris des voisins. 

La fille de papier, Guillaume Musso

 

      La manière dont le jeune Louis XIV vit en permanence, du lever au coucher, sous l'œil des autres, m'a toujours semblé admirable (...) J'étais un malade reconstitué et sous tuyaux, avec un os de jambe à la place du menton (...) Dans ma chambre, c'était pareil. Je devais être à la hauteur de ce qui avait lieu, depuis l'attentat jusqu'aux interventions successives en passant par les visites, et je devais l'être d'abord seul, avec tout le naturel possible, sans mensonge, sans artifice, en faisant appel au meilleur de moi-même. Je devais chier sur le trône et pisser dans le pistolet avec le maximum de dignité, d'humour, de courtoisie et d'attention, sans aucune plainte ni aucune familiarité, quand bien même l'urine envahirait le lit faute de trouver le bon angle de miction, comme c'était à peu près toujours le cas. Il ne s'agissait pas de me prendre pour un roi. La situation était assez folle pour qu'il soit inutile de m'ajouter un entonnoir ou une perruque sur la tête. Il s'agissait de prendre, dans l'exemple du roi, tout ce qui pouvait me permettre de contrôler. 

Philippe Lançon, Le lambeau

 

L'empereur Maximilien, bisaïeul du Roi Philippe qui règne à présent, était un prince doué de grandes qualités, et entre autres, d'une beauté singulière. Mais parmi ces dispositions de caractère, il en avait une bien contraire à celle des Princes qui, pour traiter les affaires les plus importantes, font de leur chaise percée un trône: il n'eut en effet jamais de valet de chambre si intime qu'il lui permit de le voir en sa garde-robe*. Il se cachait pour uriner, aussi scrupuleux qu'une demoiselle à ne découvrir, ni à un médecin, ni à qui que ce fût les parties que l'on a coutume de tenir cachées. 

* C'est aussi l'endroit où l'on rangeait la «chaise percée». ― et correspondait de ce fait à nos «toilettes». On remarquera que Montaigne considère comme exagéré le fait de ne pas se montrer à son valet en cette situation... Il est vrai qu'à l'époque, si l'on en croit les truculents récits de Brantôme, existait une certaine «convivialité des latrines»... 

Michel Eyquem de Montaigne, Les essais Livre I chapitre 3 : Nos façons d'être nous survivent (dans la traduction moderne de Guy de Pernon d'après le texte de l'édition de 1595)

 

      La cloche de la chasse d'eau de nos toilettes, au mécanisme vieux d'un bon siècle, ayant rendu l'âme, son réservoir suspendu, bloqué dans sa rouille, impossible à changer sans démolir, au dire du plombier, descente en plomb, cuvette, à laquelle elle est entée, conduit d'évacuation; notre propriétaire ne répondant jamais à nos lettres, je bricole, au moyen de poulies et de cordes, un système qui évite que l'eau ne coule en permanence, dont le maniement nécessite d'être expliqué, démonstration à l'appui, chaque fois qu'une personne en visite nous demande si elle peut emprunter la garde-robe. 

Xavier Bazot, Fresque et Mosaïque

 

GARDE-PROYE : garde-robe, soulignant le rôle du cabinet d'aisances dans cette pièce par l'usage du mot d'argot «proye», qui désigne le cul, l'anus. Chez Trévoux (1753), «cabinet» est synonyme de «garde-robe" (ainsi orthographié) pour désigner «le lieu secret pour les nécessités de la nature», et le rédacteur illustre cet usage par le vers de Molière, dans Le Misanthrope: «Franchement il est bon à mettre au cabinet», attestant ( mais les auteurs du dictionnaire ont-ils raison?) une acception déjà ancienne du mot «cabinet» pour désigner autre chose que la pièce où l'on se retire pour travailler ou méditer, où l'on accumule éventuellement les curiosités glanées au cours des voyages. Pour certains, la réplique définitive d'Alceste signifie plutôt: «[votre poème] est bon à conserver au secret de votre cabinet d'étude». 

Christian Chavassieux, La vie volée de Martin Sourire 
(dans l'annexe sur le vocabulaire employé dans ce roman historique)

 

      La nette simplicité du blanc, sans marbre ni fioritures faiblesses bien souvent des nantis qui tiennent à rendre somptueux tout ce qui est trivial et la tendre douceur d'une moquette solaire sont, en matière de W.-C., les conditions mêmes de l'adéquation. Que cherchons-nous lorsque nous nous y rendons? De la clarté pour ne pas penser à toutes ces profondeurs obscures qui font coalition et quelque chose sur le sol pour accomplir notre devoir sans faire pénitence en se gelant les pieds, spécialement lorsque l'on s'y rend de nuit.
      Le papier toilette, lui aussi, aspire à la canonisation. Je trouve beaucoup plus probante cette marque de richesse que la possession, par exemple d'une Mazerati ou d'un coupé Jaguar. Ce que le papier toilette fait au postérieur des gens creuse bien plus largement l'abîme des rangs que maints signes extérieurs. Le papier de chez M. Ozu, épais, mou, doux et délicieusement parfumé, est voué à combler d'égards cette partie de notre corps qui, plus que toute autre, en est particulièrement friande. Combien pour un seul de ces rouleaux?

Muriel Barbery, L'élégance du hérisson

 

       Autre problème: faire ses besoins. Au début, il n'y regardait pas de si près: ici ou là, le monde est grand, il faisait là où il se trouvait. Puis il s'avisa que ce n'était pas bien agir. Il découvrit sur les bords d'un torrent, la Merdance, au point le plus propice et le plus écarté, un aulne qui faisait saillie, avec une fourche sur laquelle on pouvait se tenir très commodément assis; La Merdance était une rivière obscure, au cours rapide, cachée sous les roseaux, et les pays voisins y faisaient déboucher leurs égouts. Le jeune Laverse du Rondeau vivait en civilisé, respectueux de  lui-même comme de son prochain.

Italo Calvino, Le Baron perché

 

      Elle se dirige clopin-clopant jusqu'aux WC qui se trouvent au sud-ouest de la cour. Elle soulève le couvercle en ciment, les remugles se répandent sous la pluie. 
       Le chef-lieu du district se trouvant à un stade d'aménagement mi-chinois, mi-occidental, il n'existe pas encore de système complet de tout-à-l'égout. Les habitants des maisons sans étage possèdent pour la plupart des WC à ciel ouvert, comme à la campagne, la gestion des excréments est pour eux un vrai casse-tête. Ta femme se lève souvent au beau milieu de la nuit pour aller en cachette les déverser dans la rivière, près du marché Nongmao. C'est une pratique courante chez les habitants du quartier. Ta femme, portant son seau, avance clopin-clopant, la trouille au ventre, rasant les murs en direction de la rivière des Fleurs célestes. À la voir ainsi, j'ai le cœur serré, aussi je m'efforce de ne pas faire mes besoins à la maison, en règle générale je pisse sur les pneus de l'Audi du directeur de l'usine de fibres en polypropylène, ton voisin ouest, celui qui se conduit si mal, j'adore l'odeur produite par l'urine canine au contact des pneus, une odeur étrange de poils grillés, je suis un chien qui a un grand sens de la justice. En règle générale, je fais mes gros besoins dans les parterres de la place des Fleurs-Célestes. La merde de chien est un engrais de premier choix, je suis un brave toutou qui possède des connaissances scientifiques et la notion de l'intérêt public, je transforme la puanteur du produit en parfum de fleur. 

Mo Yan, La dure loi du karma

 

      Dans le silence de plus en plus profond, le bruit des sapeurs occupés à creuser s'entendait d'autant plus fort. Il n'ignorait pas que bon nombre de ses officiers juraient entre leurs dents et espéraient que lui-même, mort de sommeil, donnerait l'ordre de cesser d'aménager les rigoles. Il serra les dents comme en ce jour où, en plein conseil de guerre, il avait parlé pour la première fois des latrines. Avant d'être une multitude en marche, des drapeaux, du sang à verser, une victoire ou une défaite, une armée était un océan de pisse. Bouche bée, on l'avait écouté exposer que, bien souvent, l'affaiblissement d'une armée commençait non pas sur le champ de bataille, mais par de menus détails dont on ne soupçonnait pas l'importance, auxquels on ne songeait pas, comme, par exemple la puanteur et la saleté. 
      Il imaginait les extrémités des rigoles, à présent de plus en plus proches de la rivière, laquelle se réveillerait au matin le teint jauni, le regard glauque... En fait c'est ainsi que commençait la guerre, et non pas comme se la représentaient les hanoums de la capitale. 

Ismail Kadaré, Les tambours de la pluie

 

      Parvenu au milieu de l'interminable descente vers San Sebastián, et peut-être dérangé par ces pensées digestives, je fus pris d'une envie irrépressible que la constipation de ces derniers jours expliquait aisément. Chaque pas me résonnait dans le ventre de façon atroce. J'étais parvenu à l'endroit du coteau où il est planté d'arbres rares, parcouru d'allées et de bassins: un véritable jardin public. Il continuait de pleuvoir et il n'y avait personne en vue. Que faire? En d'autres circonstances, j'aurais sans doute montré de l'héroïsme et continué la descente en me contenant. À ma grande surprise, le pèlerin déjà présent en moi me commanda d'agir tout autrement. Je posai mon sac sur une table de pierre destinée au pique-nique des familles et, enjambant une haie taillée, j'allais m'accroupir sur un parterre.
      Je retournai à mon sac en proie à une soudaine frayeur: quelqu'un m'avait peut-être vu. (...) Je serrai ma capuche autour de ma tête et disparu du lieu de mon forfait, ombre grise au milieu des arbres tristes, enveloppés de pluie. C'est par de telles expériences que l'on mesure sa nouvelle faiblesse, qui est une grande force. On n'est plus rien ni personne, seulement un pauvre pèlerin dont les gestes sont sans importance. Eussè-je été découvert que nul ne m'aurait fait de procès. j'aurais seulement été chassé à coup de pied, comme l'insignifiant chemineau que j'étais déjà devenu.

Jean-Christophe Rufin, Immortelle randonnée,
Compostelle malgré moi

 

      Cachés par les hautes herbes, nous nous approchons et y postons pour explorer les lieux, quand un événement inespéré vient faciliter notre entreprise. Une file de prisonniers enchaînés s'avance, chacun portant sur la tête un grand seau. Escortés par un garde de cercle armé, ils se dirigent vers un grand trou que l'on devine un peu plus loin. Le vent, qui souffle dans notre direction, amène à nos narines une odeur révélatrice qui n'a vraiment rien à voir avec le fumet de la cuisine des Blancs. Nous nous regardons ébahis: "Mais ce sont les excréments des Blancs que les prisonniers transportent là!" et effectivement, nous voyons les prisonniers vider à tour de rôle le contenu de leur seau ― comme ils le font d'ailleurs chaque jour ― dans le grand trou aménagé spécialement pour recevoir les excréments des Blancs, sans doute trop précieux pour être mélangés à ceux des Noirs.

Amadou Hampâté Bâ, Amkoullel, l'enfant Peul

      

      Une complication supplémentaire surgit dans la pressante nécessité de trouver parmi les tentes un coin pour se soulager. Tandis que, dans ce but, il allait de-ci de-là, il se prit à évoquer les fréquentes occasions où il avait été obligé d'agir de même. Il lui fallut tant de temps pour découvrir ce qu'il cherchait que, lorsque, après l'avoir découvert, il se retrouva au soleil, il se sentit de bien plus joyeuse humeur.
      L'âcre odeur ammoniacale de ce réduit de fortune lui rappela les W.-C. publics de l'Esplanade, à Weymouth, où, quittant le sable chaud, il descendait autrefois par quelques marches souillées de crachats. Ce souvenir, combiné avec une sensation de grand bien-être physique, attira son esprit comme un aimant vers son vice mystique et secret. Une fois de plus, en se livrant à cet abandon psychique, il eut l'impression de s'engager dans quelque mystérieux conflit universel où s'opposaient le Bien et le Mal. 

John Cowper Powys, Wolf Solent

 

      Les toilettes se trouvent dans la cour, derrière cette porte marron. Je vais te donner la clef de ce royaume. Tu verras comme il est vaste. Surtout, ne te perds pas. 
      J'ai ri tandis qu'Abd el Hakim détachait une clef plate d'un trousseau. Il me l'a tendue solennellement. 
      Va en paix. 
      Derrière la porte marron, un espace d'un mètre sur deux aux murs peints en jaune citron. Les toilettes étaient à la turque et empestaient. Je me suis dépêchée et j'ai mouillé d'un jet d'urine ma sandalette. 

Chochana Boukhobza, Le troisième jour

 

      Tu te souviens, au milieu de l'allée, il y avait une espèce de cabane. 
      Tu veux parler des toilettes publiques pour hommes.
      ―
Des toilettes? Tu rigoles! Tout juste des latrines. 
      C'est vrai. C'était une cabane en brique, sombre et humide, à moitié écroulée, avec un toit de tuiles constellé de trous par lesquels la lumière pénétrait. Il y avait toujours un essaim de mouches qui dansaient. Aucun éclairage électrique. Des flaques d'eau partout. Le sol n'était jamais sec, même quand il faisait beau. Tu imagines quand il pleuvait: impossible d'y mettre les pieds. Tout le monde pissait depuis la porte d'entrée. Parfois, on faisait des compétitions, nos jeux Olympiques à nous, pour voir qui pisserait le plus loin. 

Dai Sijie, Le complexe de Di

 

      Il a neigé. La route en pente devant ma porte est gelée. Quand je suis revenue de Kyoto après une unique nuit d'absence, un froid glacial m'a saisie en allant aux toilettes. J'ai dû descendre l'escalier, parcourir les trois pièces non chauffées, jamais chauffées, et j'avais oublié de remettre ma doudoune rouge. J'avais pourtant branché dès l'arrivée le petit convecteur de la cuisine qui diffuse instantanément son semblant de chaleur rougeoyante. Par bonheur, le siège des W.-C. est électrifié, ce qui réchauffe mes fesses et mon cœur lorsque je m'y installe, oubliant le froid pendant un instant. Instant fatal, qui me fait éternuer.

Nicole-Lise Bernheim, Saisons japonaises

 

     En 1933 Tanizaki publia un court texte où il disait qu'il regrettait l'ombre. (...) Ce regret était d'autant plus poignant qu'il était argumenté de façon provocante. Tanizaki y exprimait sa nostalgie pour les lieux d'aisances presque obscurs de l'ancien Japon. Lieux qui n'étaient déjà plus tolérés par l'ensemble de la société nippone soudain acquise à la volonté générale d'excréter dans la lumière puritaine, impérialiste, américaine, éblouissante des néons, dans une cuvette de porcelaine immaculée, entourée d'un carrelage blanc, hygiénique, luisant, dans l'odeur de fleur feinte.

Pascal Quignard, Les ombres errantes

 

      Je demande les toilettes, elles sont au fond de la cour. Mon instinct de chasseur m'avait demandé de prendre la caméra et je me régale à filmer l'indescriptible cuvette des chiottes, un monument de l'art conceptuel avec un trou qui semble sans fond au centre d'une cuvette qui fut peut-être en porcelaine et au-dessus de laquelle pend un tuyau d'arrosage bariolé duquel s'égoutte une eau sale. La chasse d'eau passe par la fenêtre en serpentant vers une grande lessiveuse assise sur des tréteaux.

Bernard Giraudeau, Esquisses Philippines dans Cher amour

 

     Comment demande-t-on ceci dans le monde?
      Où sont les gogues? ne me paraît curieusement pas idoine.
      À l'inverse:
      Voudriez-vous m'indiquer l'endroit? bien que délicat dans l'effort fait de ne pas nommer la chose, court le risque de l'incompréhension et, partant, d'un embarras décuplé.
      J'ai envie de faire pipi, sobre et informationnel, ne se dit pas à table non plus qu'à un inconnu.
      Où sont les toilettes? me pose problème. C'est une requête froide qui sent son restaurant de province.
      J'aime assez celui-ci:
      Où sont les cabinets? parce qu'il y a dans cette dénomination, les cabinets, un pluriel qui exhale l'enfance et la cabane au fond du jardin. Mais il y a aussi la connotation ineffable qui convoque la mauvaise odeur.
      C'est alors qu'un éclair de génie me transperce.
      Les ramen sont une préparation à base de nouilles et de bouillon d'origine chinoise, mais que les Japonais mangent couramment le midi, est en train de dire M. Ozu en élevant dans les airs une quantité impressionnante de pâtes qu'il vient de tremper dans l'eau froide.
      Où sont les commodités, je vous prie? est la seule réponse que je trouve à lui faire.
      C'est, je vous le concède légèrement abrupt.

Muriel Barbery, L'élégance du hérisson

 

       Un autre grand moment de solitude pour bon nombre de caissières, c'est celui où l'on demande l'autorisation de se précipiter au salon d'aisance...
      Imaginez un instant: le magasin est bondé, ça fait deux heures que vous sous tortillez sur votre chaise, dans l'attente improbable de voir passer votre envie d'aller aux toilettes parce que vous ne voulez déranger personne. Malheureusement, ces envies restent et, au bout d'un moment, il faut prendre la décision de demander de fermer votre caisse pour pouvoir aller vous soulager.
      Vous faites l'effort de prendre le téléphone (...)
      Après plusieurs tentatives (le téléphone sonne toujours occupé), la caisse centrale répond enfin.
      ― Je peux m'absenter un instant de ma caisse? (Voix discrète.)
      ― C'est pour quoi? (Avec une voix désagréable, ça marche aussi.)
      ― Il faut que j'aille aux toilettes.
      ― Euh, tu peux attendre un peu? (Choisissez la réponse appropriée.) On va te donner ta pause dans une heure / Tu y es allée il y a seulement deux heures / Mais tu as commencé il y a à peine une heure!
      ― C'est que c'est urgent.
      ― ... Mmmh (ou autre borborygme), on va te remplacer.
      (Et là, on espère que la remplaçante arrivera vite!)
      Dans certains magasins, des codes sont mis en place pour permettre de faire la demande en toute discrétion au téléphone, car dire: «J'ai un code violet», «Je peux avoir un 157», «Le soleil brille», «1945» fait tout de suite plus énigmatique.

      Parce que sincèrement... le «J'ai envie de faire pipi» n'intéressera sans doute pas la terre entière... et les sourires en coin de certains clients ne vous feront pas forcément rire non plus.
      C'est compliqué d'aller soulager sa vessie quand on est caissière.

Anna Sam, Les tribulations d'une caissière

 

      Je montai et descendis des escaliers pendant un bon moment avant de trouver les lieux d'aisances, qui à l'instar de tout le reste n'avaient subi aucun changement depuis le début du siècle. Les cabines de bois peintes en kaki, les carreaux blancs, les lourdes faïences des urinoirs avaient certes vieilli, étaient écornés, craquelés, parcourus d'un réseau de fissures grises, mais restaient à l'identique, si l'on excepte les graffitis qui dataient tous des vingt dernières années. 

W.C. Sebald, Vertiges

 

      Mon bol d'eau de café aussitôt bu, j'empoignais mon pot de chambre d'Aubagne rempli de pissat, dans un coin de la chambre, et montais à la rencontre de mon arbre. Le jour s'ouvrait peu à peu et le soleil dispersait de grandes raies de lumière à travers le ciel, semblables à des chevaux-à-trois pattes. La rosée me faisait frissonner au plus profond de mes membres. Je renversais alors le contenu du pot de chambre à la racine de l'arbre jusqu'à ce qu'elle soit submergée d'écume jaune. On aurait alors juré que l'arbre retrouvait une nouvelle vigueur, ses branches se redressaient et son écale se teintait d'un beau marron tendre. Je l'interpellais, hiératique, ma chemise de nuit ballottant sous l'emprise du vent coulis qui surgissait de l'en-bas de Rivière-Lézarde. 

Raphaël Confiant, Mamzelle Libellule

 

      Il [le docteur Urbino] fut le premier homme que Fermina Daza entendit uriner. Elle l'entendit la nuit de leurs noces dans la cabine du bateau qui les emmenait en France alors qu'elle était épuisée par le mal de mer, et le bruit de ce torrent chevalin lui sembla si puissant et investi de tant d'autorité que la crainte d'un anéantissement accrut sa terreur. Ce souvenir lui revenait souvent en mémoire à mesure que les années affaiblissaient le jet, car jamais elle n'avait pu se résigner à ce qu'il laissât le bord de la cuvette mouillé toutes les fois qu'il l'utilisait. Le docteur Urbino tentait de la convaincre, avec des arguments faciles à comprendre pour qui voulait les entendre, que cet incident quotidien se reproduisait non par manque de soin de sa part mais pour des raisons organiques: son jet de jeune homme était à ce point net et direct qu'au collège il avait gagné des concours de remplissage de bouteilles à distance, mais avec l'usure de l'âge il avait décru, était devenu oblique, s'était ramifié et avait fini par n'être plus qu'une source de fantaisie, impossible à diriger en dépit de ses nombreux efforts pour le redresser. Il disait: «Les cabinets ont dû être inventés par quelqu'un qui ne connaissait rien aux hommes.» Il contribuait à la paix du ménage par un acte quotidien qui tenait plus de l'humiliation que de l'humilité: il essuyait avec du papier hygiénique les bords de la cuvette chaque fois qu'il s'en servait. Elle le savait mais ne disait jamais rien tant que les vapeurs ammoniacales n'étaient trop évidentes, ou le proclamait comme qui eût découvert un crime. «Ça pue la cage à lapins.» Au seuil de la vieillesse, ce même embarras du corps inspira au docteur Urbino la solution finale: il urinait assis, comme elle, ce qui laissait la cuvette propre et le laissait lui en état de grâce.

Gabriel García Márquez, L'amour aux temps du choléra

 

       Säbjörn ne dit pas un mot, s'assit devant la fosse à feu, ôta ses bottines mouillées et suspendit ses braies et sa cape à côté du feu pratiquement éteint. Puis il se releva et sortit pour se soulager, pied nus et vêtu de sa seule tunique. Épuisé, il se laissa aller contre un arbre tout en scrutant distraitement, dans la faible lumière du crépuscule, le chemin d'accès à la ferme alors qu'il essayait de faire sortir douloureusement les dernières gouttes. Il lui fallait de plus en plus de temps. Il commençait à se faire vieux. 

Katarina Mazetti, Le Viking qui voulait épouser la fille de soie

 

      D'abord, c'est la ruée de tout le baraquement vers les toilettes, avec une pause cigarette dans la cour. Comme il est un des rares à ne pas fumer, Édouard en profite pour aller chier dans le peloton de tête. Si son transit est d'une exemplaire régularité, il a remarqué que sa merde pue davantage qu'à l'extérieur, et même qu'elle ne puait en prison. Il a remarqué aussi que si la merde des zeks pue, leurs poubelles en revanche ne sentent rien. C'est qu'hormis les mégots elles ne contiennent rien d'organique, tout ce qui est organique étant plus ou moins comestible et tout ce qui est comestible étant mangé: telle est la loi du camp.

Emmanuel Carrère, Limonov

 

      Entrée dans leur salle de bains, elle rabattit le siège laqué blanc, se ravisa. Non, il pourrait entendre. Tiens, je songe encore à ne pas lui déplaire. Un peignoir sur son déguisement de fillette, elle sortit dans le couloir, poussa la porte d'une des toilettes communes, tourna le verrou, releva le bas du peignoir, s'assit sur le siège laqué blanc, posa à terre le flacon d'éther qu'elle avait emporté, se leva, actionna la chasse d'eau, resta à regarder la petite cataracte dans la cuvette de faïence, se rassit, tira une feuille de papier hygiénique, la plia en deux, puis en quatre. Ô le jardin de Tantlérie, les petites lampes roses du cognassier éphèbe, le mirabellier fendu, la résine acajou qui en sortait et qu'elle pétrissait avec ses doigts, le banc près de la petite fontaine qui coulait toujours un peu et où les mésanges venaient boire, le vieux banc vert délavé par la pluie, c'était exquis d'enlever les écailles vertes. (...)
      «J'étais heureuse», murmura-t-elle, sur son siège assise.
      Elle tira une autre feuille de papier hygiénique, en fit un cornet qu'elle jeta, puis elle se leva, se regarda dans la glace. Elle n'était plus une petite fille.

Albert Cohen, Belle du Seigneur

 

      Après quelques secondes, elle se releva, légèrement étourdie, chercha ses vêtements dans la pénombre, les roula en boule et se traîna jusqu'à la salle de bains. Elle déchira une feuille de papier hygiénique et la lança dans le fond de la cuvette pour couvrir le clapotis de son urine. Elle remarqua un éclat sur la faïence avant de découvrir, dans le reflet d'un miroir curieusement placé face aux toilettes, son visage et son corps ramassé, qui lui évoqua fugace ment le penseur de Rodin. 

Thomas Bronnec, Les initiés

 

      Les toilettes, elles aussi m'impressionnaient beaucoup. Près du lavabo, il y avait un incinérateur avec un écriteau: «Prière de jeter ici les serviettes hygiéniques».
      Il fallait, exposée à tous les regards, parcourir avec sa serviette hygiénique à la main la distance interminable pavée de carrelage sonore qui séparait les W.C. de l'incinérateur, placé juste à l'autre bout de la pièce.

Janet Frame, Un été à Willowglen (Un ange à ma table)

 

      C'est en ce lieu qu'il faut que s'achève et se perde
      Le trésor des gloutons et des savants gourmets.
      Le faisan, le poisson et les complexes mets
      D'illustres maîtres queux n'y sont plus rien que merde.
      Le ventre a déchargé le faix dont l'alourdirent
      La langue qui goûta et les dents qui mordirent,
      Et le prodigue ici péniblement avoue
      Qu'un or mal dépensé s'est transformé en boue.

Agathias le Scolastique (fin du Ve et VIIe siècles 
avant notre ère - Anth. Pal.IX.642) traduit par 
Marguerite Yourcenar dans La couronne et la Lyre

 

      Un parfum mêle l'encens et la citronnelle, du Chopin en sourdine et des lavabos et des urinoirs recouverts de l'arbre de Carrare: jusque dans les toilettes, les Allemands ont du goût. Antoine Fertel s'avance lentement jusqu'à Claude Danjun, qui, les yeux rivés sur son sexe, ne l'entend pas venir. Le conseiller du président se racle la gorge et crache au fond de l'urinoir. Fertel s'installe à côté de lui et descend sa braguette. Danjun l'observe du coin de l'œil en continuant à pisser à gros bouillons. 

Thomas Bronnec, En pays conquis

 

      Aux toilettes, comme toujours très fréquentées, il se trouva être le voisin de Johnson, le directeur de la section économique, qui le salua d'un cordial «bonjour». Une aimable égalité régnait dans ce lieu de délassement où les huiles, en leur station devant les eaux perpétuelles, souriaient amicalement à leurs subordonnés, soudain leurs pairs et compagnons. De cette réunion semi-circulaire de célébrants, debout et graves en leurs vespasiennes, communiant dans le recueillement et parfois mécaniquement traversés par un frisson de déperdition, se dégageait une ambiance complice d'alliance et de concorde, d'unisson d'âmes, de convent viril, de secrète fraternité. Bref, Adrien en sortit ragaillardi et décidé à en mettre un bon coup.

Albert Cohen, Belle du Seigneur

 

      Les deux compères avaient pour habitude de s'accroupir au ras du caniveau à ciel ouvert qui séparait la Levée des Terres-Sainvilles, pour y déféquer, leurs shorts kaki baissés jusqu'aux chevilles. En plein jour s'il vous plaît! La maréchaussée avait beau les verbaliser, ils recommençaient le lendemain à la grande joie d'une égaillée de petites marmailles qui traînaillaient avant d'affronter les coups de règle de leur maître d'école. Ils pariaient des billes ou des noix sur celui des deux fiers-à-bras qui lâcherait son étron le premier. Spectacle désopilant que de voir une douzaine de gamins penchés à même le sol, l'œil rivé à leurs fesses. Quand on sait que Bec-en-Or et Fils-du-Diable-en-Personne en profitaient pour se refiler les dernières bonnes affaires ou préparer quelques mauvais coups, on comprend sans peine que leur évacuation matinale durât parfois près d'une heure et qu'un inévitable attroupement se produisît à cet endroit.

Raphaël Confiant, L'Allée des Soupirs

 

      Le coup avait frappé le milieu de la porte, car les plombs entouraient le journal sur les quatre côtés. Je ressentis une fierté triomphale, et j'attendais que l'oncle Jules exprimât son admiration.
      Il s'avança, examina la cible, se retourna et dit simplement:
      «Ce n'est pas un fusil, c'est un arrosoir!
       Il a frappé en plein milieu! dis-je avec force.
      Ce n'est pas mal tiré! dit-il avec condescendance. Mais une perdrix qui s'envole n'a pas grand chose de commun avec une porte de cabinets. On va maintenant essayer les plombs de quatre, de cinq et de sept.»
      Ils tirèrent encore trois coups de fusil chacun, toujours suivis d'examens et de commentaires de l'oncle.
      Enfin, il s'écria:
      «Pour les deux dernières, on va tirer les chevrotines. Serrez bien votre crosse, Joseph, car j'ai mis une charge et demie de poudre. Et vous, mesdames, bouchez-vous les oreilles, car vous allez entendre le tonnerre!»
      Ils tirèrent en même temps; le fracas fut étourdissant, et la porte tressaillit violemment.
      Ils s'avancèrent tous les deux, souriants et satisfaits d'eux-mêmes.
      «Tonton, demandai-je, est-ce que ça aurait tué un sanglier?
     
― Certainement, s'écria-t-il, à condition de le toucher...
     
― Au défaut de l'épaule gauche!
     
― Exactement!
»
      Il arracha les journaux superposés, et je vis profondément incrustés dans le bois, une vingtaine de petites billes de plomb.
      «C'est du bois dur, dit-il. Elles n'ont pas traversé! Si nous avions eu des balles...»
      Heureusement, ils n'en avaient pas eu, car à travers la porte massacrée, nous entendîmes une faible voix. Elle disait, incertaine:
      « Est-ce que je peux sortir, maintenant?»
      C'était la «bonne».

Marcel Pagnol, La gloire de mon père

 

      Dehors, à côté de l'immense  macrocarpa qui était le rendez-vous des pies, il y avait une buanderie en ruine; dans un coin, une lessiveuse pour faire bouillir le linge lavé dans les cuveaux de bois. Le «petit coin», au bout du sentier qui venait de l'appentis, se trouvait à côté du cyprès «aller au cyprès» devint vite la formule consacrée; la cabane, couverte de petites roses blanches qui sentaient très bon et que nous appelions des «roses-cabinet», n'avait pas de porte; le siège, aussi vaste qu'un banc de plage, surplombait un trou profond à demi-plein de vieux «kiki» (c'était le mot que nous employions pour désigner les excréments) de diverses nuances de brun, surmontés de morceaux jaunis de l'Oamaru Mail ou de l'Otago Daily Times.

Janet Frame, Un été à Willowglen (Un ange à ma table)

 

      J'étais aux toilettes, dans la baraque en bois au fond du jardin, visant le trou creusé dans une planche de bois qui recouvrait une fosse indiscrète, lorsque j'entendis crier mon nom. Il semblait que toute l'assemblée me demandait, et je me trouvais très embarrassé par mes fonctions naturelles. Heureusement une voix d'enfant, lequel m'avait vu aller vers des latrines, s'écria en russe «Il est aux toilettes». Ce qui souleva un énorme rire dans l'assemblée. C'était cocasse et je me dépêchai de terminer mon devoir et de me reculotter. En sortant de la cabane, je découvre une cinquantaine de regards qui m'attendent amusés. Qu'est-ce qu'ils me veulent? Fiodor s'avance vers moi et m'explique qu'ils veulent m'introniser Cosaque! Il faut donc que j'apprenne en quelques secondes à dire en russe «Merci» puis «Mon père», puis «Pour ton enseignement»! Fiodor continue: «Il faut que tu t'étendes sur le banc, ici, le dos en l'air. Le grand chef des Cosaques va te donner un premier coup de fouet et tu diras: "Merci!" puis un deuxième coup de fouet et tu diras: "Mon père!" et un troisième où tu diras: "Pour ton enseignement!" Allez, vas-y, allonge-toi!»

Philippe B. Tristan, Carnets de Sibérie

 

      ...  je vous parle énormément de W.-C... particulièrement ceux du Löwen... c'est qu'on était sur le même palier, la porte en face, et qu'ils désemplissaient pas! tous les gens de Siegmaringen, de la brasserie, et des hôtels, venaient aboutir là, forcément... la porte en face!... tout le vestibule, tout l'escalier étaient bourrés jour et nuit de personnes à bout, injurieuses, râlantes que c'était la honte!... qu'ils en avaient assez de souffrir!... et c'était vrai: tout l'escalier dégoulinait!... et notre couloir, donc! et notre chambre! vous pouvez pas plus laxatif que le Stamgericht, raves et choux rouges... Stamgericht plus la bière aigre... à plus quitter les W.-C.!... jamais! vous pensez tout notre vestibule grondant pétant de gens qui n'en pouvaient plus!... et les odeurs!... les gogs refoulaient! il va de soi!... ils arrêtaient pas d'être bouchés!... les gens entraient à trois... à quatre!... hommes, femmes... enfants... n'importe comment!... ils se faisaient sortir par les pieds, extirper de vive force!... qu'ils accaparaient la lunette!... «ils rêvent! ils rêvent!...» si ça mugissait!... le couloir, la brasserie, et la rue!... et que tout ce monde se grattait en plus... et se passait, repassait la gale et morpions... et mes malades!... mélimélo... qu'ils y allaient forcément aussi pisser sur les autres et partout! il était vivant notre couloir!... aussi des gens pour von Raumnitz... je vous expliquerai von Raumnitz... une autre affluence, pour son bureau, un de ses bureaux, l'étage au-dessus... ceux-là allaient aussi aux gogs la porte en face... le moment le plus magique c'était tous les jours quand les gogs vraiment pouvaient plus... vers huit heures du soir... qu'ils éclataient! la bombe de merde!... du trop plein du tréfonds!... tous les soulagements de la brasserie de la veille et du jour!... alors un geyser plein le couloir!... et notre chambre! en cascade plein l'escalier!... vous parlez d'un sauve-qui-peut!... mêlée-pancrace dans la matière! tous à la rue!... c'était le moment Herr Frucht s'amenait! tenancier!... du Löwen! Herr Frucht et son jonc!... il avait vraiment tout tenté pour sauver ses gogs... mais aussi responsable lui-même!... c'était lui le tôlier, la tambouille aux raves! lui la brasserie! le restaurateur!... cinq mille Stamgericht par jour! pas être surpris que les lieux débordent! Herr Frucht montait avec son jonc! touillait! retouillait! refaisait fonctionner la tinette!... et replaçait un autre cadenas... vissait!... vissait!... que plus personne puisse ouvrir! basta! deux minutes qu'il était parti ses chiotts étaient re-re-pleins! les gens à se battre! plein le vestibule!... Herr Frucht, qu'était pas Sisyphe, avait beau jurer «Teufel! Donner! Maria! » ses clients du Stamgericht y auraient plus qu'inondé sa tôle! submergée sous des torrents de raves! s'il avait coincé sa lunette, vraiment empêché les clients! cimenté le trou!... il menaçait mais il osait pas...

Louis-Ferdinand Céline, D'un château l'autre

 

      Et puis c'était sale, c'était sale, à l'usine! Écoutez! étant gosses, on ne pouvait même plus entrer dans les W.-C., on était obligées de mettre des paniers dessus, dans les W.-C., comme ça, avec le fond dessus. On marchait dessus pour aller aux W.-C., tellement c'était dégueulasse. Il a fallu que l'inspecteur vienne pour qu'ils commencent à faire de nouveaux W.-C. Et puis les femmes, elles étaient très sales. Ma maman, c'est elle qui nettoyait les W.-C. Eh bien! elle disait tout le temps: "J'aime autant faire les W.-C. des hommes que des femmes." Parce que, ma foi, l'homme il allait, il faisait ses besoins, mais les femmes, celles qui étaient dérangées, elles défaisaient une canette, elles se mettaient ça entre les jambes et après elles jetaient ça dans les cabinets et ça bouchait tout. Alors tout revenait au-dessus, c'était dégoûtant. Il fallait vraiment avoir besoin d'y aller. J'ai vu maman enfiler son bras jusque-là pour déboucher un trou. Après, l'inspecteur du travail est venu et ils ont fait des W.-C. Avec des chasses d'eau et du carrelage, enfin des beaux W.-C. Et ils ont voulu mettre quelqu'un d'autre à la place de maman. C'est le syndicat qui a dit: «Ah non! c'est elle qui mettait son bras dans la merde», c'est le cas de le dire, «c'est à elle de continuer». Alors à chaque fois qu'il y en avait une qui sortait des cabinets, il fallait qu'elle aille voir derrière si elle laissait pas de saletés.

Jean-Paul Goux, Mémoires de l'Enclave
 
Du côté de Béthoncourt

 

      On sait en y pénétrant qu'on ne se rend pas chez une fleuriste. L'urine rancie, les excréments, le Crésyl et la Javel composent des miasmes qui peuvent figurer la litanie de notre misère. On y prend un cours de morale à moindres frais. Les respirer vaut acte d'humilité et de contrition. Notre monde rêve d'être inodore, c'est-à-dire inhumain. Dans les siècles qui ont précédé le nôtre, tout sentait, le pire comme le meilleur. Nous traquons les odeurs, celles de nos corps, celles de nos villes, comme de hauts délinquants qui nous rappelleraient trop que nous produisons des humeurs et qu'elles empestent. Gamin, j'entre dans une pissotière et cela pue. Je n'en suis pas surpris, ni gêné. J'y vois un miroir d'un genre particulier, à peine déformant. J'apprends qui je suis. Parfois, un clochard y ronfle, agrémentant l'espace restreint de ses effluves de gros vin, de crasse et de tabac gris. Je me figure qu'il est un dieu tombé parmi les hommes, masquant sa vraie nature sous des hardes trouées.

Philippe Claudel, Parfums

 

Parfois, je voudrais ne jamais remonter des lavabos, rester assise à côté de Lulu à dévisager les clients jeter leurs piécettes dans la soucoupe. Certains descendent juste pour lui acheter des cigarettes, d'autres lui font des signes indiens et elle disparaît dans son vestiaire pour leur tendre en échange d'un billet plié en quatre le petit papier plié en huit contenant la dose Lulu.
       Les hommes, on les entends pisser dans l'urinoir, on entend la chasse, mais on n'entend pas l'eau du robinet, ni le glissement du savon sur son axe oblique, ni le rouleau de la serviette à mains. Après, ils vont vous caresser la joue, ils vont vous beurrer un toast et vous baiserez leurs doigts pour les remercier. Quand il est saoul, Francis lui aussi oublie de se laver les mains. J'ai envie de le tirer alors. 

Gilles Leroy, Alabama Song

 

                        Le petit endroit

Vous qui venez ici
dans une humble posture

De vos flancs alourdis
décharger le fardeau

Veuillez quand vous aurez
Soulagé la nature

Et déposé dans l'urne
un modeste cadeau

  

  Epancher dans l'amphore
  un courant d'onde pure

  Et sur l'autel fumant
  placer pour chapiteau

  Le couvercle arrondi
  dont l'auguste jointure

  Aux parfums indiscrets
  doit servir de tombeau

Alfred de Musset à George Sand

 

      Le soir même, ma mère m'emmena au restaurant avec un de ses bons amis que je détestais catégoriquement. C'est insupportable de voir tous ces plats si bien préparés par un cuisinier qui, depuis des années, y met toute son âme alors que devant tant d'amour vous n'éprouvez qu'une insurmontable nausée. Heureusement, les toilettes sont un refuge reconstituant, mais enfin, on ne peut tout de même pas y rester plus d'un quart d'heure sous peine de se faire traiter d'obsédée sexuelle.

Valérie Valère, Le pavillon des enfants fous

 

      Lilli s'impatienta tout à coup et descendit à son tour, à la suite de Boule, dans les toilettes du restaurant. C'étaient des toilettes comme partout dans ce genre d'endroit, avec les carrelages jointoyés de crasse et fissurés, les graffiti, le plâtre rayé, à part l'inscription gravée sur l'empattement métallique du savon mural au-dessus du lavabo qui Lilli tenta de déchiffrer ― mais les lettres s'embrouillaient. (...) 
       Boule sortit des W.-C. C'est-à-dire qu'il fit sa réapparition, s'encastrant dans le miroir tavelé de traces diverses et multiples à côté du reflet de Lilli à un moment où celui-ci relevait les yeux. Peut-être était-ce à cause de l'éclairage des lieux, de l'ambiance générale du sous-sol, mais ils arboraient tous les deux un teint carrément livide, avec des traits creusés et sombres comme s'ils avaient traversé un nuage de suie. 
       « Hé, dit Lilli. Je me souviens de ce que je voulais dire. J'ai trouvé.» 
       Boule le regardait dans le miroir. Il hocha la tête et attendit. Ils se tenaient chacun d'un côté du lavabo, dans une attitude similaire, les mains posées à plat, sagement, sur le rebord de la cuvette de faïence ternie. L'eau coulait du robinet et tournait sur la collerette de métal de la bonde avant de disparaître au fond d'insondables gouffres. 

Pierre Pelot, Le bonheur des sardines

 

      Attendez-moi là. 
      La porte claque. Au centre du panneau en bois, le logo stylisé d'un homme jambes écartées fait face à Myriam, silhouette sexuée qui indique un endroit qui lui est interdit. Cette limitation la fâché, éveille en elle une colère qu'elle ne soupçonnait pas. Comme si après ces luttes communes, elle ne tolérait plus de devoir lui laisser, en plus de la lumière et des débats victorieux, l'usage des chiottes pour mâles. De devoir poireauter dans le couloir pendant qu'il se soulage. 
      Elle entre. L'intérieur n'a rien de surprenant: deux rangées de pissotières, une odeur aseptisée de javel, trois portes fermées, dont une avec le pictogramme d'un handicapé. Elle en a déjà vu, des toilettes masculines, pourtant elle se sent en effraction, son cœur bat plus vite. Quelque chose monte, qu'elle récuse avec dégoût, mépris, violence. 

Arnaud Friedmann, La condition du mâle blanc hétérosexuel,
dans: La vie secrète du fonctionnaire.

 

      En général, j'allais droit aux lavabos, et cela me remontait un peu. Il y faisait un peu plus frais, ou tout au moins le bruit de l'eau courante me le faisait croire. C'était toujours une douche froide, ces lavabos. C'était la réalité. Avant d'y parvenir, il fallait traverser une rangée de Français qui se déshabillaient. Pouah! comme ils puaient, les cochons! et ils étaient bien payés pour ça, aussi! Mais ils étaient là, tout de même à moitié nus, les uns avec des caleçons longs, les autres avec des barbes, presque tous blêmes, rats écorchés avec du plomb dans les veines. Dans les cabinets, on pouvait faire un inventaire de leurs pensées vagabondes. Les murs étaient couverts de dessins et d'épithètes, tout ça obscène et drôle à la fois, facile à comprendre et, somme toute, assez rigolo et sympathique. Il avait dû leur falloir une échelle pour arriver à certains endroits, mais je suppose que ça valait la peine, même du simple point de vue psychologique. Parfois, lorsque j'étais en train de pisser, je me demandais quelle impression ça ferait sur ces dames chics que j'avais vu entrer et sortir des magnifiques cabinets des Champs-Elysées.

Henry Miller, Tropique du Cancer

 

      Nous allions devenir de véritables citadins, avec la lumière électrique, des cabinets à chasse d'eau, au lieu du trou du «petit coin», dont le jet au début nous emplit de frayeur, et les pièces brillamment éclairées, où le mobilier hors des grands pans d'ombre qui naguère l'enveloppaient semblait soudain grossier et trop voyant.

Janet Frame, Ma terre, mon île (Un ange à ma table)

 

      Depuis son salon, la vue n'était pas très réjouissante. Sous ses yeux, la terre, les tubulures et le gravier envahissaient tout le paysage. Et de quoi s'agit-il, se demanda Runcible, sinon d'un aménagement destiné à transporter de la merde de la maison des Dombrosio vers le monde extérieur? Et nous sommes obligés d'assister à cela, nous devons contempler les tuyaux et le gravier qui vont minimiser les agressions que Sherry et Walter Dombrosio, régulièrement, font subir à l'environnement parce qu'ils ont besoin d'aller aux toilettes.

Philip K. Dick, L'homme dont toutes les dents
étaient exactement semblables

 

      Je vous parle des choses qui m'apportèrent quelque soulagement au début. Il y avait l'eau des water-closets qui bouillonnait à intervalles réguliers dans les tuyaux. Ce bruit me semblait énorme. Il remplissait toute ma cellule. Il résonnait dans ma tête avec fracas, comme une chute d'eau. Je voyais des montagnes. Je respirais l'air des sapins. Je voyais une branche prise entre deux pierres qu'un remous faisait aller et venir, aller et venir, aller et venir. Mais, à la longue, je m'habituai à ce dégorgement inattendu des tuyaux. Je restais des heures sans l'entendre. Puis, soudain, je me demandais s'il avait déjà eu lieu ou s'il allait bientôt se produire. Je faisais des efforts insensés pour me rappeler combien de fois cela était arrivé dans la journée. Je comptais sur mes doigts. Je me tirais les doigts à en faire craquer les phalanges. Cela devenait une manie. Et le bruit retentissait comme je m'y attendais le moins, emportant tout mon échafaudage de comptes et de calculs. Je courais à la cuvette pour contrôler le fait. Au fond, le trou nauséabond était immobile comme un miroir. En me penchant dessus, je l'obscurcissais tout. Je m'étais trompé. La vidange s'était faite dans ma tête. Elle n'avait pas eu lieu réellement. Je perdais la notion du temps. Tout était à recommencer. Un désespoir sans borne m'envahissait.

Blaise Cendrars, Moravagine

 

       Au pied de sa cabane, il avait conservé le vase émaillé de ses pipis nocturnes qui lui venait de sa grand-mère. Il l'avait installé là en guise de souvenir, puis l'avait érigé en symbole de ces liens qu'il voulait maintenir avec les gens de sa lignée; puis il s'était mis à l'utiliser à mesure que les âges avaient rendu sa vessie lien plus autoritaire que ses besoins de sommeil. C'est là qu'il arrosait le monde à chacun de ses réveils, lentement, longuement, avec le soin considérable qu'il accordait au moindre de ses actes. Il contemplait la couleur de son urine, en appréciait l'odeur tel un fauve contrôlerait les fragrances d'un territoire vital.

Patrick Chamoiseau, Biblique des derniers gestes

 

      Un jour où je regardais mon gros tas d'excréments dans les cabinets, le comparant avec le caca du bébé dans ses couches, je vis des petites choses blanches qui se tortillaient dans le marron.
      ― Maman, m'écriais-je, il y a des petits machins blancs qui gigotent dedans.» La panique sur le visage de ma mère m'emplit d'effroi.
      ― Des vers ! s'exclama-t-elle avec horreur. Cette enfant a des vers.

Janet Frame, Ma terre mon île (Un ange à ma table)

 

      « ... Peu à peu mes fluides corporels ont laissé place à de l'air, un air pur qui circule librement et me rend plus léger.»
      J'ignore ce qui transparaît sur mon visage, mais Mando à dû y voir passer l'ombre d'un doute.
      « Tu ne me crois pas ? Je vais te le prouver ! »
      Il se lève, sort de sa chambre et s'éloigne dans le couloir. Je l'entends pisser dans les toilettes dont il a laissé la porte ouverte. Il revient me chercher, me conduit devant la cuvette où un peu de mousse couvre la surface de l'eau jaunie.
      « Tu vois toutes ces bulles ? Voilà ce que j'évacue depuis des semaines, ce n'est pas une preuve, ça? De l'air, de l'air qui me nourrit, que je pisse et que je chie, il n'y a plus que de l'air en moi! »
      Si je le croyais encore capable d'humour je lui dirais volontiers que tout ça c'est du vent.

Philippe Grimbert, La mauvaise rencontre

 

      De tous les équipements antiques de la salle de bains du deuxième, aucun n'était plus vieux, moins "modernisé" que les toilettes, placées dans une alcôve, dissimulées à la vue; comme si le seul spectacle de ce siège, grossier, énorme, d'un blanc terne, risquait de heurter les sensibilités raffinées. Pourtant M.R. ne put faire autrement que de s'y précipiter, les mains crispées sur le bas du ventre. Une douleur terrible! Si brutalement! Le siège était aussi disproportionné que le lavabo si bien que, assise, M.R. avait les pieds qui touchaient à peine le sol; et le sol était poisseux, humide. Dans le gros réservoir taché de rouille, un ruisselis permanent, mélancolique comme un chagrin inavoué; la cuvette de porcelaine, jadis blanche, était terriblement entartrée, aucun récurage n'avait pu la débarrasser de décennies de crasse fécale. Sur ce siège, M.R. se sentit soudain paralysée; bien qu'éprouvant un urgent besoin de se libérer de la terrible diarrhée qui lui brûlait le ventre, elle ne le pouvait pas; ni uriner non plus; elle avait la vessie douloureuse, mais ne pouvait pas uriner; une terrible pression s'accumulait en elle, mais elle ne pouvait l'évacuer, car elle craignait qu'on frappe soudain à la porte (...); ou, plus abominable encore, tourne la poignée et ouvre (...) car il n'y avait pas de verrou à cette vieille porte (...) 

Joyce Carol Oates, Mudwoman

 

      Je suis entrée au Brazza. J'ai commandé un chocolat et j'ai sorti mes copies à corriger, mais je n'ai pas lu une ligne. Je me disais sans arrêt que je devais aller voir les toilettes. [...] J'ai fini par me lever et demander les toilettes au barman. Il m'a montré la porte du fond de la salle. Elle donnait directement sur un cagibi avec un lavabo, une glace au-dessus, à droite une seconde porte, celle des toilettes. C'était un vécé à la turque. Je ne me suis pas rappelé si celui du café d'il y a trente-cinq ans était ainsi. À l'époque, ce n'était pas un détail qui aurait pu me frapper, presque tous les vécés publics étaient ainsi: un trou dans le ciment avec un pas de chaque côté pour poser les pieds et s'accroupir.

Annie Ernaux, L'événement

 

    Te promenant à travers Hyde Park, saisi d'une envie qui n'attendra pas notre retour chez nous je te laisse dans ta poussette à l'entrée de la pissotière, où je m'éclipse trois minutes, ma vessie vidée se noue ma gorge, je suis fou de ne pas t'avoir gardé avec moi, durant cet infini laps de temps n'importe qui a pu te prendre, s'enfuir hors de vue dans n'importe quelle direction, je me précipite dehors, tu es toujours là, tout mon corps tressaille de mon inconscience.

Xavier Bazot, Stabat Mater

 

      Paris refuse le chien sans l'admettre, la statut n'est pas clair. Parcs, jardins, commerces, transports, la consigne est à l'interdit mais la ville a du remords. Elle en avait tellement dans les années quatre-vingt qu'un maire dota la capitale d'une armada dévolue aux déjections des bêtes de compagnie rendues à la chaussée. On a oublié ces chevaliers de la crotte, disparus comme ils étaient venus, des cantonniers plutôt spécialisés, nouveaux, vêtus de combinaisons vert et blanc, enfourchant des motos de marque dont les formes disparaissaient sous une panoplie de tuyaux latéraux, de compliqués embouts aspirants, des tubages accordéonnés un peu partout, des bras articulés, des machines dévolues au seul ramassage des fientes. Espèces d'archanges de la voirie, les motards du trottoir traquaient le crottin, passant de l'un à l'autre sans jamais donner pneu à la chaussée, et lorsqu'un piqueur d'excréments avisait un étron, il stabilisait son engin contre, déployait la bonne trompe, mettait plein gaz au point mort, l'aspiration se faisant à grand potin. L'écologie d'alors ne voyait pas plus loin que le bout de ces procédés sinon que la soldatesque avait pour gentil nom très officiel «caninnette», diminutif infantile où sonnait le caniveau. De quoi dresser une part des contribuables contre les amateurs de chiens. On ne les vit plus d'un mois à l'autre, après une élection, Paris les suspendit, retoqua le parc des motos pour en appeler au civisme des maîtres et de leurs bêtes - apprendre où faire, ramasser, c'était moins idiot. Denise ne fut pas de l'époque de ces palatins du caca. Elle faisait comme les autres, relevait les relents à la promenade, humait rue Taibout, d'escale en escale, le trottoir comme un volumen, un immense agenda où aller prendre son flair, pisser là subitement comme on laisse sa carte de visite, son «profil» bien des années avant l'apparition des réseaux sociaux. 

Michel Jullien, Denise au Ventoux

 

      S'habituant peu à peu à la pénombre et à l'éblouissement des fenêtres, mon père distingua la religieuse qui se tenait au chevet d'un lit où gisait un être ratatiné, quasiment de la taille d 'un enfant, les bras repliés derrière sa tête il regardait fixement le plafond, et dans ses yeux vides de toute joie, de toute espérance, le temps était presque sur le point de s'arrêter. C'était mon oncle Pepi. La bonne sœur se pencha sur lui et, le soulevant dans le dos aussi aisément qu'une fillette le ferait avec sa poupée, tellement il était léger, elle lui annonça: «Pépé, voici une visite pour vous.» Puis, pendant qu'elle lui découvrait les jambes, des jambes aussi blanches que si elles avaient trempé longtemps dans une eau de chaux, mon père s'aperçut, avec la répulsion horrifiée des bien-portants, que Pepi était langé comme un bébé, et la bonne sœur écarta toutes ces couches en disant gaiement: «On va regarder s'il n'est pas mouillé.» Puis elle ajouta: «Pépé, voulez-vous aller sur le gramophone?» Pepi ne dit rien, il fixait toujours le plafond de ses yeux bleu pâle, délavés comme du lilas fané, comme deux myosotis figés par le gel. Et la bonne sœur approcha le gramophone, une chaise percée dont elle retira le couvercle pour y asseoir mon oncle, si dodelinant qu'il serait tombé comme une statue déboulonnée si mon père ne l'avait pas retenu, mon père qui regardait les pieds bleuis de son frère, la plante des pieds complètement lessivée dont la peau s'en allait en lambeaux blanchâtres, les pieds de Pepi qui trônait là tout nu, juste avec une serviette autour des reins comme le Christ couronné d'épines. Et ce spectacle arracha soudain à mon père un gémissement, une longue plainte le libérant peu à peu de tout ce qui lui oppressait la poitrine à en faire craquer les boutons de sa veste (...). La bonne sœur soupira: «Il ne veut plus rien manger du tout», puis elle entreprit de retaper le lit et mon père laissa errer son regard d'un lit à l'autre (...). Figé par l'appréhension, mon père entendit enfin ces terribles borborygmes intestinaux qui horripilent tout être vivant en bonne santé, il était gêné à l'idée que la bonne sœur avait elle aussi perçu ce bruit, or pour elle cela n'était qu'une bagatelle parfaitement humaine, une diarrhée sénile ne saurait ternir la lumière que lui donnait sa foi (...).

Bohumil Hrabal, La petite ville où le temps s'arrêta

 

      «Que dites-vous, don Saverio, dit l'homme, enveloppé dans une couverture militaire rescapée de deux guerres, à son père assis sur la cuvette des cabinets, vous qui avez vu quatre-vingt-un hivers, quand donc finira cette punition?» Pour toute réponse, le vieil homme a la décharge d'un frisson de viscères et de froid. C'est le deuxième jour de tramontane, toujours suivi d'un troisième. 
      Le vous de l'homme à son père est le dernier reste d'un respect terminé. Lorsque, dans un petit espace, on se trouve secoué par des spasmes de l'intestin même si l'on est à jeun, lorsqu'on est un poids et une puanteur pour les autres, le respect s'en va dans les tourbillons de la chasse d'eau. 

Erri de Luca, Une chose très stupide

 

      Une cuiller à café de bouillie l'étouffait, il s'accrochait à nos mains, il cherchait l'air et retombait sur son lit. Mais il avalait. De même six à sept fois par jour il demandait à faire. On le soulevait en le prenant par-dessous les genoux et sous les bras. Il devait peser entre trente-sept et trente-huit kilos: l'os, la peau, le foie, les intestins, la cervelle, le poumon, tout compris: trente-huit kilos répartis sur un corps d'un mètre soixante-dix-huit. On le posait sur le seau hygiénique sur le rebord duquel on disposait un petit coussin: là où les articulations jouaient à nu sous la peau, la peau était à vif. (...) Une fois assis sur son seau, il faisait d'un seul coup, dans un glou-glou énorme, inattendu, démesuré. (...) Il faisait donc cette chose gluante vert sombre qui bouillonnait, merde que personne n'avait encore vue. Lorsqu'il l'avait faite on le recouchait, il était anéanti, les yeux mi-clos, longtemps. Pendant dix-sept jours, l'aspect de cette merde resta le même. Elle était inhumaine. Elle le séparait de nous plus que la fièvre, plus que la maigreur, les doigts désonglés, les traces de coups des S.S.

 La douleur, de Marguerite Duras

 

      Comme il lui est arrivé déjà plus d'un malheur au lit, Poil de Carotte a bien soin de prendre ses précautions chaque soir. En été, c'est facile. À neuf heures, quand madame Lepic l'envoie se coucher, Poil de Carotte fait volontiers un tour dehors; et il passe une nuit tranquille.
      L'hiver, la promenade devient une corvée. Il a beau prendre, dès que la nuit tombe et qu'il ferme les poules, une première précaution, il ne peut espérer qu'elle suffira jusqu'au lendemain matin. On dîne, on veille, neuf heures sonnent, il y a longtemps que c'est la nuit, et la nuit va durer encore une éternité. Il faut que Poil de Carotte prenne une deuxième précaution.
      Et ce soir, comme tous les soirs, il s'interroge?
      ― Ai-je envie? se dit-il; n'ai-je pas envie?
      D'ordinaire il se répond «oui», soit que, sincèrement, il ne puisse reculer, soit que la lune l'encourage par son éclat. Quelquefois M. Lepic et grand frère Félix lui donnent l'exemple. D'ailleurs la nécessité ne l'oblige pas toujours à s'éloigner de la maison, jusqu'au fossé de la rue, presque en pleine campagne. Le plus souvent il s'arrête au bas de l'escalier; c'est selon.
      Mais, ce soir, la pluie crible les carreaux, le vent a éteint les étoiles et les noyers ragent dans les prés.
      ― Ça se trouve bien, conclut Poile de Carotte, après avoir délibéré sans hâte, je n'ai pas envie.
      Il dit bonsoir à tout le monde, allume une bougie, et gagne au fond du corridor, à droite, sa chambre nue et solitaire. Il se déshabille, se couche et attend la visite de madame Lepic. Elle le borde serré, d'un unique renfoncement, et souffle la bougie. Elle lui laisse la bougie et ne lui laisse point d'allumettes, et elle l'enferme à clef parce qu'il est peureux. Poil de Carotte goûte d'abord le plaisir d'être seul. Il se plaît à songer dans les ténèbres. Il repasse sa journée, et compte, pour demain, sur une chance égale. Il se flatte que, deux jours de suite, madame Lepic ne fera pas attention à lui, et il essaie de s'endormir avec ce rêve.
     
À peine a-t-il fermé les yeux qu'il éprouve un malaise connu.
      ― C'était inévitable, se dit Poil de Carotte.
      Un autre se lèverait. Mais Poil de Carotte sait qu'il n'y a pas de pot sous le lit. Quoique madame Lepic puisse jurer le contraire, elle oublie toujours d'en mettre un. D'ailleurs, à quoi bon ce pot, puisque Poil de Carotte prend ses précautions?

Jules Renard, Poil de Carotte

 

      Le TGV jusqu'à Grenoble, la SNCF maintenait un niveau de service minimum, dans les TGV; mais les TER étaient véritablement laissés à l'abandon, celui qui rejoignait Briançon eut plusieurs pannes, et arriva finalement avec un retard d'une heure quarante; les toilettes étaient bouchées, un flot d'eau mêlée de merde avait envahi la plateforme, menaçant de se répandre dans les compartiments.

Michel Houellebecq, Soumission

 

      Vous avez loupé votre train oh d'un clin d'œil seulement,... le cul orangé du wagon qui s'en va devant vous & alors quoi faire là sur le quai durci Le prochain c'est 18h55 ça me laisse un instantané Vais-je m'asseoir sur le banc ici écrivant Ou alors le grand hall plein de gens Pour un kafé (encor un) c'est trop court & les WC sont fermés ( parfois j'y lisais avec plaisir des graffitis vulgaireux) ça changeait des banalités partout qu'on voyait... 

Jean-Paul Klée, Manoir des mélancolies

 

      En équilibre instable dans le mètre carre des toilettes de l'avion, je tenais mon pantalon dégrafé à mi-jambes, évitant de le tâcher sur le sol marécageux. Je soulageai mon bas-ventre de la pression qu'exerçait depuis mon départ vingt-quatre billets de cinq cent euros: mes économies. Je n'avais pas de carte de crédit, je n'en avais jamais eu. Ma vie durant, j'avais opté pour l'anonymat. Une main tenta d'ouvrir la porte. Je n'étais pas le seul à avoir des soucis d'argent dans cet Airbus. 

Dominique Forma, Hollywood Zéro

 

      Le mictorio c'est les W.-C. de la gare
      Je regarde toujours cet endroit avec curiosité quand j'arrive dans un nouveau pays
      Les lieux de la gare de Santos sont un petit réduit où une immense terrine qui me rappelle les grandes jarres qui sont dans les vignes en Provence où une immense terrine est enfouie jusqu'au col dans le sol
      Un gros boudin de bois noir large et épais est posé en couronne sur le bord et sert de siège
      Cela doit être bien mal commode et trop bas.
      C'est exactement le contraire des tinettes de la Bastille qui elles sont trop haut perchées

Blaise Cendrars, Au cœur du monde

 

      Dans la cellule de la prison, elle s'assit sur le bord de la couchette, étonnée d'avoir pu penser qu'elle était assez forte pour retourner dans cet univers. Les barreaux de fer, l'atteinte à l'intimité que constituaient les toilettes ouvertes, l'impression d'être prise au piège, l'abattement qui s'empare à nouveau d'elle tel 'enveloppait comme un brouillard noir.

Mary Higgins Clark, Le démon du passé

 

      Les tinettes de la Bastille servent encore dans les cachots de la caserne de Reuilly à Paris
      Ce sont des pots de grés en forme d'entonnoir renversé d'environ un mètre trente-cinq de haut
      Elles sont au centre des cachots la partie la plus évasée reposant sur le sol et le petit bout la partie la plus étroite en l'air
      C'est dans cette espèce d'embouchure de trompette qui est de beaucoup trop haut placée que le soldat puni de cachot doit réussir à faire ses besoins
      Sans rien laisser choir à l'extérieur sinon il rebiffe pour la même durée de tôle
      C'est le supplice de Tantale à rebours
      Au début de la guerre j'ai connu des poilus qui pour ce motif et de vingt-quatre heures en vingt-quatre heures ont passé des mois au cachot puis ils finissaient par passer au tourniquet comme fortes têtes
      On racontait que ces tinettes étaient les anciennes tinettes de l'ancienne prison de la Bastille

Blaise Cendrars, Au cœur du monde

 

      Il s'était laissé dire, poursuivit Austerlitz, qu'au fil des années, à l'intérieur de ce palais de justice d'une complexité dédaléenne, dépassant effectivement tout ce qu'on pouvait imaginer, avaient pu parfois s'implanter pour un temps, dans l'une ou l'autre des salles inoccupées et des corridors à l'écart, de petits commerces tels que buvette, bureau de tabac ou tripot; on prétendait même qu'au sous-sol des lieux d'aisance pour messieurs avaient un jour été transformés en toilettes publiques accessibles depuis la rue, à l'initiative d'un dénommé Achterbos, venu s'installer là, dans le vestibule, avec une petite table et une sébile ...

W.G. Sebald, Austerlitz

 

      À ces grosses journées de folie, je préfère les petits matins calmes de milieu de semaine où les clients se succèdent avec parcimonie. Dans ces moments-là, il m'arrive de délaisser mes écrits ou les magazines pour me mettre à leur écoute. Respiration suspendue, yeux clos, je fais abstraction du grondement incessant qu'émet le centre commercial pour concentrer toute mon attention sur les bruits qui émanent des toilettes. Mon ouïe s'est affinée avec le temps et je peux à présent sans hésiter analyser chacun des sons qui me parviennent au travers des portes closes, tout feutrés soient-ils. Ma tante, nantie de cette omniscience javellisée qui la caractérise, à classé ces bruits en trois grandes catégories. Il y a tout d'abord ceux qu'elle désigne sous la jubilante appellation de bruits nobles. Le cliquetis discret d'une ceinture que l'on déboucle, le chant léger d'une fermeture éclair que l'on descend, le claquement sec d'un bouton-pression que l'on déverrouille, sans oublier tous ces bruissements d'étoffe, soieries, Nylon, cotons et autres tissus qui chantent contre les peaux en autant de frottements, froissements, froufroutements et autres friselis. Arrivent ensuite ce qu'elle nomme les bruits paravents. Toussotements gènes, sifflement faussement enjoués, activation de chasse d'eau, tous ces sons censés étouffer la troisième catégorie sonore, celle des bruits d'activité: flatulences, gargouillis, clapotis, chant de l'émail, bruits de plongeons de haut vol, dévidage du rouleau de papier, déchirement de la ouate. Enfin, j'ajouterai pour ma part une dernière catégorie, plus rare mais ô combien! intéressante, celle des bruits d'aise, tous ces vagissements et soupirs de contentement qui s'élèvent parfois vers le plafond lorsque s'ouvrent les vannes et que cascade sur l'émail le jet libérateur trop longtemps retenu ou l'avalanche bruyante d'un trop-plein intestinal. Il m'arrive de les aimer, les gens, lorsqu'ils échouent ici, tout vulnérables qu'ils sont dans leur désir de soulager leur vessie ou de vider leur ventre. Et pendant ce court temps où ils se substituent à ma vue derrière la porte des cabinets, quels que soient leur conditions ou leur situation sociale, je les sais revenir à la nuit des temps, dans cette situation du mammifère satisfaisant un besoin naturel, le fessier vissé à la lunette, le pantalon tire-bouchonné autour des mollets, le front dégoulinant de sueur tandis qu'ils ahanent sous l'effort pour ouvrir leur sphincter, tout seuls face à eux-mêmes, loin du monde d'en haut. Attention, les gens ici ne font pas que me laisser le contenu de leur ingestion ou de leur vessie. Il n'est pas rare de voir certains d'entre eux venir s'épancher auprès de moi pour se décharger de tous leurs malheurs. Je les écoute, les gens. Je les laisse vider leur fiel sur le monde, essorer leur petite vie, me baratiner avec leurs problèmes en tout genres. Ça se confie, ça geint, ça pleure, ça jalouse, ça se raconte. (...) Les WC sont des confessionnaux sans curé.

 Jean-Paul Didierlaurent, Le liseur du 6h27

 

Maintenant la salle de bains. La porte. L'interrupteur. Jimmy avait fait installer des barres en acier. Pour les handicapés, disait-il, mais il pensait évidemment à ses frères, incapables de viser droit en dépit des poignées, parce qu'ils étaient pafs et laissaient la preuve de leur soulagement d'ivrognes sur le carrelage bleu clair. Je me félicite maintenant de la présence de ces barres et des bandes antidérapantes. Je réussis à aller jusqu'à la cuvette. 

Louise Erdrich, Le pique-nique des orphelins

 

Hêtres, chênes, épicéas et pins: tous produisent continuellement de nouvelles matières et doivent se débarrasser des anciennes. Le changement le plus évident à lieu chaque année en automne: les vieilles feuilles ont fait leur temps; elles sont usées et criblées de trous d'insectes. Avant de se séparer d'elles, les arbres y injectent leurs déchets: on pourrait aussi dire qu'ils font leur grosse commission. Quand ils en ont fini, une couche d'abscission se forme à la base des feuilles, et le premier coup de vent fait doucement tomber le tout à terre. Les feuilles bruissantes, qui recouvrent alors le sol d'un épais tapis dans lequel on aime traîner les pieds, ne sont au fond rien d'autre que le papier-toilette des arbres. 

Peter Wohlleben, Le réseau secret de la nature

 

 

 

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